Vincenzo da Filicaja (1642-1707) : Sur la mort de son fils

Iseppo da Porto avec son fils Adriano (Véronèse, 1556)

Détail de Iseppo da Porto avec son fils Adriano (Véronèse, 1556)


La plaie ouverte craint la paume bienveillante
Du médecin ; bientôt, voici qu’elle l’endure
Puis qu’elle la recherche, et qu’elle la réclame.
– Mais il ne m’est, à moi, rien de tel arrivé.

J’ai eu jadis deux fils, dont l’un est disparu :
À peine ai-je pleuré, portant avec constance
Son deuil ; la fraîche plaie que mon âme éprouvait
S’est révélée facile et souple aux médecins.

Mais (qui aurait jamais pensé pareille chose ?),
Quatre hivers ont passé, voici la cicatrice
Tout juste refermée, rouverte… La douleur,
Telle le flot battant le rivage batave,

Flue-t-elle et reflue-t-elle ? – ou dirai-je plutôt
Que c’est là le travers du grand âge, qui jauge
Plus justement le mal, et, sot, presque se flatte
De trouver à nos maux certaine dignité…

– Mais où veut en venir cette douleur hostile,
Cette plainte honteuse, et vaine, en venir où ?
S’il faut plainte et douleur, hélas ! pourquoi, pourquoi,
Ne sentir la douleur de ma propre douleur,

Et ne me plaindre pas de ma plainte ? Bonheur !
Importune douleur, fais silence et sois calme.
Je ne suis plus un père, et j’acclame mon deuil,
Et j’acclame la mort, et m’acclame moi-même.

Résister au vouloir de Dieu ? Loin, loin de moi !
À lui seul tout honneur, et devant son autel,
Je lui offre mes biens et le fils qui me reste,
Et m’immole, victime et sacrificateur.


Crudi vulneris est manus amicas
Formidare medentium, pati mox,
Dein ultro petere ac rogare. Verum
Mihi nil simile accidit. Duobus
Olim e filiis ademptus alter
Vix flevi, et patienter orbitatem
Tuli ; et plaga animi recens medenti
Mollem praebuit, obviamque se se.
At (qui tale aliquid putasset unquam ?)
Quartae post hiemis fugam cicatrix
Pene obducta ecruduit. Dolorne
Undae instar Batavam rigantis oram
Fluit nunc, refluitque nunc ? Senectae
An dicam hoc vitium mala aestimantis
Plus aequo, et fatue superbientis
Malorum prope dignitate quadam ?
Sed quorsum dolor iste perduellis ?
Vana haec et petulans querela quorsum ?
Si queri est opus et dolere, quid non,
Heu quid non doleo meum dolorem,
Querelasque meas queror ? bene actum est.
Importune dolor sile, quiesce.
Jam Patrem exuo ; grator orbitati,
Grator morti etiam, et mihi ipse grator.
Mene obsistere Numini ? absit, absit.
Illi soli honor ; illius ad aram
Natum sponte superstitem, measque
Res, meque immolo victima et sacerdos.

(in Opere di Vicenzio (sic) da Filicaja Senatore Ferentino  [1817] tomo secondo, p. 18)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Une réponse

  1. La pire des douleurs humaines serait de voir, démuni, son fils souffrir ou de le perdre. S’y immoler avec obéissance, n’est-ce pas un test de foi réussi avec excellence ?? Quelle médiation !! Merci encore Monsieur Lionel Édouard Martin …

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