Angelo Poliziano (1454-1494) : Lamento de la mort de Laurent de Médicis

Le Vieil Homme triste (Van Gogh, 1890)


La métrique de cette ode, composée à l’occasion de la mort de Laurent de Médicis (1449-1492), semble ne correspondre à aucune de celles répertoriées chez les poètes antiques : elle me paraît fondée moins, comme de coutume, sur l’alternance des syllabes longues et brèves que sur leur nombre (strophe de 3 octosyllabes suivis de 2 pentasyllabes) et des effets de sonorités. J’en ai tenu compte dans ma traduction, j’essaie de le rendre sensible dans mon enregistrement :
Le lamento a été mis en voix et orchestré par Heinrich Isaac (1450-1517) sous forme de motet

Qui changera ma tête en eau,
Qui me transformera les yeux
En une source de sanglots
__Que de nuit je pleure
__Que de jour je pleure ?*

Ainsi la tourterelle veuve,
Ainsi le cygne qui se meurt,
Ainsi se plaint le rossignol,
__Las, malheur, malheur,
__Ô douleur, douleur !

Le laurier** frappé par la foudre,
Ce laurier, oui, sitôt se couche,
Ce laurier fréquenté de toutes
__Les Muses qui dansent,
__Les Nymphes qui dansent.

Sous l’étendue de sa ramure
La lyre tendre de Phébus
Et la voix douce retentissent ;
__Et là : tout se tait,
__Et là : tout est sourd.

Qui changera ma tête en eau…

* Paraphrase de Jérémie, 9, dans le texte de la Vulgate
** Jeu de mots sur Laurus (laurier) et Laurentius (Laurent) ; selon certaines croyances, la foudre ne frappait jamais le laurier : la mort de Médicis relève en quelque sorte de l’exception.

Quis dabit capiti meo
aquam, quis oculis meis
fontem lacrimarum dabit,
__ut nocte fleam ?
__Ut luce fleam ?

Sic turtur viduus solet,
sic cycnus moriens solet,
sic luscinia conqueri.
__Heu miser, miser !
__O dolor, dolor !

Laurus impetu fulminis
illa illa jacet subito,
Laurus omnium celebris
__Musarum choris,
__Nympharum choris.

Sub cujus patula coma
et Phoebi lyra blandius
et vox dulcius insonat ;
__nunc muta omnia,
__nunc surda omnia.

Quis dabit capiti meo…

(in Epigrammata)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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