Martial (40-104 ap. J.-C.) : Épitaphe de la petite Érotion

Qui est Martial ?

Fronton et Flaccilla, à vous deux, ses parents,
Je remets ma bisette et mes joies : cette enfant,
Ce chou d’Érotion¹, pour que les ombres noires²
Ne l’effraient, ni le chien monstrueux du Tartare.
De solstices d’hiver³, c’est six qu’elle aurait vus
Si six ‒ aussi ‒ de jours elle eût vécu de plus.
Entre ses vieux patrons puisse-t-elle s’ébattre
Et bredouiller mon nom dans son bagou folâtre… !
Que le gazon soit mol sur son corps tendre, et sois
-Lui, terre, sans lourdeur : elle l’était pour toi.

¹ : Il faut comprendre qu’Érotion (en grec : « Petite chérie ») était une fillette esclave. Elle vient de mourir, et Martial confie son âme aux parents, morts, de l’enfant, pour qu’ils l’accompagnent sur le chemin des Enfers et lui évitent la peur des monstres qu’elle est appelée à rencontrer.
² : Il s’agit des âmes des morts.
³ : Je prends bruma dans son sens étymologique (brevissima [dies]) tel qu’il est donné par Varron : il s’agit du jour le plus court de l’année, celui du solstice d’hiver (21 décembre) : sans cette référence à ce jour précis, et en traduisant, comme on lit parfois, frigora brumae par la froidure d’hiver, on ne peut comprendre pourquoi Martial souligne qu’il aurait eu 6 ans dans 6 jours. La petite Érotion était donc née un 15 décembre.

L’excellent Vojin Nedeljkovic, de l’Université de Belgrade (Serbie) en donne ici, de cette épigramme, une très belle lecture, qui respecte le scansion originelle du distique élégiaque et la prononciation du latin classique telle qu’on la reconstitue de nos jours.
Michel de Marolles, quant à lui, en a donné (1655) la traduction suivante, que je trouve charmante (avec toutefois une interprétation des premiers vers différente de la mienne) :


Hanc tibi, Fronto pater, genetrix Flaccilla, puellam
____Oscula commendo deliciasque meas,
parvola ne nigras horrescat Erotion umbras
____Oraque Tartarei prodigiosa canis.
Inpletura fuit sextae modo frigora brumae,
____Vixisset totidem ni minus illa dies.
Inter tam veteres ludat lasciva patronos
____Et nomen blaeso garriat ore meum.
Mollia non rigidus caespes tegat ossa nec illi,
____TTerra, gravis fueris: non fuit illa tibi.

(in Epigrammaton liber V, 34)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

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