L’économie de la spirale : Gabriel Josipovici, Tout passe

Une fois n’est pas coutume : pour rendre compte du texte magnifique (je pèse mes mots) de Gabriel Josipovici, Tout passe (Quidam éditeur, 2012 ; traduction de l’anglais par Claro), c’est à ma spécialité universitaire que je me référerai – qui n’est pas la littérature, comme on pourrait croire, mais la didactique des langues vivantes –, pour en extraire le concept de « progression en spirale ».

Ce dernier définit le processus d’enseignement selon lequel une notion, plutôt que d’être entièrement dévoilée du premier coup, va, au fil de ses reprises, gagner lentement en substance, s’enrichir pas à pas de tous ses développements possibles jusqu’à les épuiser ; revenant donc constamment sur elle-même pour mieux se déployer, se nourrir de sa matière antécédente, pour croître, s’étendre, gagner en volume : la spirale, l’hélicoïde coquille de l’escargot sécrétée par le mollusque à mesure qu’il grandit – et qu’il avance, comme avance à son rythme le vivant, laissant au sol sa trace (appelons « texte » cette trace).

La coquille d’escargot, oui, la spire. Mais une coquille en coupe, comme on parle de coupe anatomique, désemplie de toute chair mollasse (appelons ça « concision »), amputée, même, de brisures (appelons ça « blancs typographiques »), mais dont la forme demeure, clairement définie dans son dess[e]in, et qui tourne, tourne encore et toujours, gravite autour du point central pour mieux s’en éloigner : dans Tout passe, ces quelques mots fondateurs — Tout passe. Le bien et le mal. La joie et la peine. — qui, par leur reprise obsessionnelle, rythment le texte et, à mesure qu’y avance le lecteur, s’écartent de l’origine (titre ; premier paragraphe) tout en restant les mêmes sans demeurer les mêmes (opposition, si on veut, de la forme et du fond, du dire et du dit), et s’enrichissent, s’imprègnent, au fil de leurs occurrences, de la matière sémantique par où elles sont passées.

Qu’on ne s’y trompe pas : il n’en va pas du leitmotiv pour autant, cette simple reprise mélodique (certes bien présente aussi, du fait de l’effet produit), mais bien plutôt d’une variante de cette bonne vieille figure de la répétition (« antanaclase », pour faire savant), qui répète mais sans dire la même chose (écoutons Pascal : « le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point »[1]) – et qui, là, dans Tout passe, généralisée à tout le texte, à l’extrême, pourrait-on dire, ne cesse de répéter mais sans jamais répéter la même chose, augmentée des scènes, des paroles précédentes –, comme une sorte d’écho boule de neige, si on veut, qui, au rebours de l’écho physique, à chaque renvoi gagnerait en épaisseur, en expansion de sa matière. Si bien qu’entre la première occurrence du motif (premier paragraphe) et sa dernière (dernier paragraphe), ledit motif s’est accru de tout le poids des mots qui les séparent, qu’il pèse à la fin autrement plus lourd qu’au commencement : pareil mais plus dense, l’impondérable goutte d’eau transmuée en mercure.

C’est sans doute là ce qui m’a le plus impressionné dans ce texte très court (une cinquantaine de pages, ponctuées de blancs), constitué (théâtre ?) de dialogues et d’éléments se rapprochant de la didascalie : concision, certes, incroyable économie des moyens, au point que la substance proprement narrative est comme amenuisée, réduite à presque rien (mais on trouverait tout cela dans n’importe quelle nouvelle bien troussée), mais surtout – surtout – ce sens inouï, proprement époustouflant, de la composition, articulée, me semble-t-il, autour de cette figure de la spirale que je viens de tenter de décrire.

Poésie ? — d’autres avant moi l’ont dit. Indubitablement, oui, si la poésie est à mes yeux (j’en ai parlé ailleurs) une structure essentiellement rythmique. Mais aussi peinture, dans l’équilibre des moyens qu’elle se donne, dans les renvois de couleurs, dans les effets de miroirs (on penserait à un Cimabue, à ses effets de symétrie amplifiant les personnages sans arrière-fond – ou presque). Mais peu importe, en fait, la nature de ce livre indéfinissable : seul compte que l’on se précipite sur ce très grand texte, et qu’on le lise pour ce qu’il est, me semble-t-il : le modèle d’une forme achevée, réfléchie, rythmée – et la source d’un immense plaisir esthétique.


[1] Le même phénomène, peu ou prou, se trouve employé par Shakespeare (dans Jules César) dans la fameuse tirade d’Antoine (acte III, scène 2)  : la répétition de « honourable man/men » changeant progressivement de sens, en fonction du contexte, à mesure qu’Antoine s’exprime (cf. Jakobson, Eléments de linguistique générale).

Un discours de la méthode

C’est que Montebello ne va pas en écriture du pas direct et tendu de qui marche pour avancer, pour foncer droit à un but défini : il muse en polyglotte (qu’il est) parmi les langues (français, italien, piémontais, latin…) et les souvenirs « 

Aux éditions LE TEMPS QU’IL FAIT, Tous les deux comme trois frères, dernier récit de Denis Montebello.

Chronique en écho sur Exigence Litterature, par Lionel-Édouard Martin.

Dans nos intérieurs / Romain Fustier

si Romain Fustier a l’oreille fine, il a tout l’œil du voyant rimbaldien – de celui qui sait percevoir, sous le quotidien le plus trivial, ces formes latentes que seul le poète peut y débusquer « 

*

Dans nos intérieurs, revue Triages (Tarabuste) N° 23, volume Voix unes & premières

Romain Fustier, sous le regard de Lionel-Édouard Martin, sur Exigence Litterature

Au plus loin du tropique / Jean-Marie Dallet

Le phrasé plus que la phrase, oui : Dallet vous rythme à la diable ses courts chapitres, vous les ponctue comme il lui chante, au grand dam de la virgule attendue, du point en souffrance, dans une respiration globalisante où tout se mêle, s’emmêle – présent, passé, ici, là-bas, haut, bas, devant, derrière, monologues intérieurs et poussée narrative »

.

Jean-Marie Dallet, Au plus loin du tropique, aux Éditions du Sonneur, 2005.

Chronique de Lionel-Édouard Martin sur LE VAMPIRE RE’ACTIF.

Dépendances de l’ombre / Véronique Gentil

Dépendances de l’ombre est d’évidence un recueil très accompli. Le terme de recueil, d’ailleurs, ne convient peut-être pas : sa composition fait du livre un itinéraire dans un espace de vie, ponctué d’étapes, enclos, au début et vers la fin, de proses courtes comme pour en délimiter la géographie. ».

Dépendances de l’ombre, Véronique Gentil, aux éditions Pierre Mainard, 2008.

Regard, par Lionel-Édouard Martin sur LE VAMPIRE RE’ACTIF

Cloués au port / Jacques Josse

Les poètes – dont est Jacques Josse, excellemment –, quand ils glissent, insidieux, vers la prose, demeurent foncièrement des poètes. On reste donc, chez Josse, dans l’humain noué au mythe en « ces scènes qui surgissent épisodiquement du fond des âges sans crier gare »

Cloués au port, de Jacques Josse, aux éditions QUIDAM, 2011.

Chronique de Lionel-Édouard Martin sur Exigence Litterature.

Philoctète Magnifique

C’est que, poésie de la tendresse et de l’amour d’autrui, la poésie de Philoctète est aussi, fondamentalement, une poésie de la vigueur ; d’où cette coloration singulière qui l’imprègne et lui confère son timbre « 

Un retour sur Poèmes des îles qui marchent  de René Philoctète, aux éditions Actes Sud, 2003, Préface Lyonel Trouillot.

Par Lionel-Édouard Martin sur Exigence Litterature

%d blogueurs aiment cette page :