Qui est Pline le Jeune ?
Jamais je ne me suis tant plaint de mes occupations, qui n’ont pas souffert que je te suive partant pour la Campanie pour raison de santé – ou, partie, de t’y suivre sans attendre. C’est surtout maintenant₁ que je voudrais que nous soyons ensemble, pour de mes yeux m’assurer que tu recouvres tes chères forces et qu’entre plaisirs de ta retraite et richesse de la région tu vaques sans encombre₂. Pour ma part, fusses-tu rétablie que j’aurais de toi un amoureux souci : car on s’inquiète, s’angoisse, quand on est quelque temps sans nouvelles de qui l’on chérit ardemment. Pour l’heure, penser tour à tour à ton absence et à ton mal me tourmente de toutes sortes d’incertitudes et me terrifie. Je crains tout, j’imagine tout, et comme le veut la nature des anxieux, je me figure les pires choses des pires que j’abomine. Aussi je t’en prie instamment : prends mes frayeurs en compte, et écris-moi une fois par jour, voire deux : car rasséréné te lisant, je retomberai tout de suite dans mes peurs t’ayant lue. Bien à toi.
1 De nombreux traducteurs traduisent ici nunc par alors, au motif qu’il est employé avec cupiebam. Je préfère lui garder son sens habituel de maintenant, et donner à cupiebam la valeur d’un optatif – cela sans compter que, sur les quelque 200 emplois de nunc dans ce qu’il nous reste des œuvres de Pline, il est, dans l’immense majorité des cas, presque toujours employé au présent (ou à l’accompli du présent). Il me semble du reste que la signification du texte en gagne en clarté.
2 Transmittere est à prendre au sens de passer à travers.
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Tu m’écris n’être pas, de mon absence, médiocrement touchée et n’avoir pour unique réconfort que de tenir, m’y substituant, mes livres contre toi – souvent même de les mettre à ma place. J’aime te manquer, j’aime que ces remèdes t’apaisent. En retour, je lis, relis tes lettres, les prends sans cesse en main comme de nouvelles : mais ce faisant je ne m’embrase que davantage de ton désir : car celle dont la correspondance a autant de douceur, autant de charme réside en sa conversation. Écris-moi malgré tout le plus souvent possible, mon plaisir dût-il me conduire à la souffrance. Bien à toi.
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On ne peut croire quel désir de toi me tient. En cause : l’amour, d’abord, puis notre inhabitude à être séparés. De là vient que mes nuits, pour une grande part, c’est, t’imaginant, à veiller que je les passe ; de là que de jour, aux heures où j’avais coutume d’aller te voir, c’est vers ta chambre que d’eux-mêmes, comme on dit à raison, mes pieds me portent ; qu’ensuite souffrant et triste et comme exclus je me retire de la pièce vide. N’échappe à ces tourments que le temps que je passe au forum et aux procès de mes amis. Prends la mesure de ma vie : le repos : dans le travail ; dans l’inquiétude et les tracas : le réconfort. Bien à toi.
Numquam sum magis de occupationibus meis questus, quae me non sunt passae aut proficiscentem te valetudinis causa in Campaniam prosequi aut profectam e vestigio subsequi. Nunc enim praecipue simul esse cupiebam, ut oculis meis crederem quid viribus quid corpusculo apparares, ecquid denique secessus voluptates regionisque abundantiam inoffensa transmitteres. Equidem etiam fortem te non sine cura desiderarem; est enim suspensum et anxium de eo quem ardentissime diligas interdum nihil scire. Nunc vero me cum absentiae tum infirmitatis tuae ratio incerta et varia sollicitudine exterret. Vereor omnia, imaginor omnia, quaeque natura metuentium est, ea maxime mihi quae maxime abominor fingo. Quo impensius rogo, ut timori meo cottidie singulis vel etiam binis epistulis consulas. Ero enim securior dum lego, statimque timebo cum legero. Vale.
Livre 6, 4
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Scribis te absentia mea non mediocriter affici unumque habere solacium, quod pro me libellos meos teneas, saepe etiam in vestigio meo colloces. Gratum est quod nos requiris, gratum quod his fomentis acquiescis; invicem ego epistulas tuas lectito atque identidem in manus quasi novas sumo. Sed eo magis ad desiderium tui accendor: nam cujus litterae tantum habent suavitatis, hujus sermonibus quantum dulcedinis inest! Tu tamen quam frequentissime scribe, licet hoc ita me delectet ut torqueat. Vale.
Livre 6, 7
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Incredibile est quanto desiderio tui tenear. In causa amor primum, deinde quod non consuevimus abesse. Inde est quod magnam noctium partem in imagine tua vigil exigo; inde quod interdiu, quibus horis te visere solebam, ad diaetam tuam ipsi me, ut verissime dicitur, pedes ducunt; quod denique aeger et maestus ac similis excluso a vacuo limine recedo. Unum tempus his tormentis caret, quo in foro et amicorum litibus conteror. Aestima tu, quae vita mea sit, cui requies in labore, in miseria curisque solacium. Vale.
Livre 7, 5
Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.
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