Marion Poschmann (née en 1969) : paysage artificiel 2 / künstliche Landschaften 2

Qui est Marion Poschmann ?


nous restons encore la lumière du soir
pend à la branche haute du cerisier
les hirondelles piquent encore un peu du bec
dans le brasier
le bleu de là-haut requiert le
restant des témoins
le vieux photographe céleste
flashe sans bruit la terre chaude
où l’on chuchote à l’ombre
de plants de maïs
et où le portail menant à la nuit
n’est qu’une sombre fissure
un portail de grange agité par de vieux vents
rien d’autre
si à cette heure le soir régurgite ses boulettes
reste un papier
plus blanc que la peau
demeurera si peu
les pays que tu as vus
cousent leurs coups
sous forme rêvée d’oiseaux
et de première brume
après une longue averse
demeura si peu
quand nous roulerons dans le noir
et qu’à voix basse nous nous parlerons.

nous faisons des copies de nous-mêmes en noir et blanc
nos signatures branlent au bas de contrats pointilleux
comme hochent la tête résignés les dignitaires
tandis qu’à l’extérieur la pluie s’abat
puissante et toute prête, comme toujours


lang und breit hat uns jeder gewarnt
so hätte man es machen können, hieß es
zu jener Zeit da Einkaufen im Supermarkt bereits als kreativer Akt galt
freihändige Mahlzeiten waren damals wenig gefragt
noch weniger als jetzt, da alle Linkshänder sein wollen

wir machen Schwarzweißkopien von uns selbst
unsere Namenszüge unter kleinteiligen Verträgen schwingen
wie ein resigniertes Kopfschütteln von Würdenträgern
während draußen der Regen niederstürzt
mit freihändiger Wucht, wie immer

(inédit)



					

Sms d’amour en latin


Comme c'est sur ce blog un objet de recherche récurrent, 
voici, pour dépanner qui pourrait en avoir besoin
et favoriser les études classiques,
quelques sms d'amour en latin, 
inspirés des meilleurs auteurs.

Te amo, lux mea, quantum amabitur nulla. = Je t’aime, ma chérie, comme aucune autre ne sera aimée. On écrira, s’adressant à un garçon : Te amo, lux mea, quatum amabitur nullus.

Quotiens te specto, quotiens tibi adsum, lux mea, mihi videor par esse deo. = Chaque fois que je te vois, que je suis auprès de toi, ma chérie, il me semble être l’égal d’un dieu. On écrira, s’adressant à un garçon Quotiens te specto, quotiens tibi adsum, lux mea, mihi videor par esse dea.

Si tu me tantum amas quantum ego te amo, amor noster infinitus est. = Si tu m’aimes autant que je t’aime, notre amour est infini.

Tam multa tibi basia dabo, ocelle, quae nemo pernumerare possit. = Je te donnerai tant de baisers, ma chérie / mon chéri, que personne ne pourra les compter.

Cum te specto, miror quod tam acer ignis ardeat, ocelle, mollibus in medullis meis ut mihi videar aetna simul et vesuvius fieri. = Quand je te vois, je m’étonne que, ma chérie / mon chéri, brûle au plus profond de mon être un feu si puissant qu’il me semble devenir à la fois l’Etna et le Vésuve.

Corollam tibi mitto intextam amore basiisque ut scias te semper in corde meo adesse. = Je t’envoie un bouquet d’amour et de baisers pour que tu saches que tu es toujours dans mon cœur.

Amo te quantum non est comprehendere cuiquam. = Je t’aime si fort que personne ne peut le comprendre.

Anthologie latine (Antiquité) : Vénus et Bacchus, c’est du pareil au même.

Ne te laisse asservir par Vénus ni Bacchus,
Car Vénus et le vin mêmement sont nuisibles.
Si Vénus nous épuise, un excès de boisson
Ruine notre maintien, nous coupe les jarrets.
L’amour aveugle pousse à dire des secrets :
L’ivresse, en sa folie, divulgue des mystères.
Cupidon, le cruel !, souvent cause des guerres ;
Souvent, pareillement, Bacchus appelle aux armes.
Vénus a perdu Troie dans une guerre horrible,
En un puissant combat, toi, Bacchus, les Lapithes.
– En somme, ils font tous deux déraisonner les hommes,
Et bannissent pudeur, droiture, anxiété.
Entrave donc Vénus, à Bacchus mets des chaînes :
Nul des deux ne te nuise avec ce qu’il t’apporte.
Le vin calme la soif, mère Vénus nous sert
À faire des enfants : ne franchis point ces bornes.


Nec Veneris nec tu Bacchi tenearis amore;
Vno namque modo uina Venusque nocent.
Vt Venus eneruat uires, sic copia Bacchi
Et temptat gressus debilitatque pedes.
Multos caecus amor cogit secreta fateri:
Arcanum demens detegit ebrietas.
Bellum saepe ciet ferus exitiale Cupido:
Saepe manus itidem Bacchus ad arma uocat.
Perdidit horrendo Troiam Venus improba bello:
At Lapithas bello perdis, lacche, graui.
Denique cum mentes hominum furiauit uterque,
Et pudor et probitas et metus omnis abest.
Conpedibus Venerem, uinclis constringe Lyaeum,
Ne te muneribus laedat uterque suis.
Vina sitim sedent, natis Venus alma creandis
Seruiat: hos fines transiluisse nocet.

(in Poetae latini minores, éd. Baehrens, volume III [1881])


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Mousseline et ses doubles dans Transfuge de ce mois

Transfuge 2

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Sur Mousseline et ses doubles, un très bel article — et d’une pleine page — signé de Sophie Pujas dans la livraison de novembre du magazine culturel Transfuge : « Une saga familiale au XXe siècle, de racines paysannes à la conquête de la capitale. Le projet pourrait sembler désuet ou étriqué. Il est ample, subtil, passionnant, par la grâce de la plume puissante de Lionel-Édouard Martin ».

Mousseline et ses doubles lu/vu par Anne Bolenne (sur Babelio)

MARTIN-Mousseline-1re-90x141« Vers midi partout cette odeur de bougeoir, on mangeait de la lumière » : et voilà, je suis partie dans le roman. Immédiatement, j’ai envie de me plonger dans la lecture de Mousseline et ses doubles. Je sais que j’aime déjà les mots – pas l’histoire, non, les mots du roman. L’écriture de Lionel-Édouard Martin, je la reçois comme une force, de plein fouet. Quelque chose qui est de l’ordre du rythme, du son. C’est beau, les mots s’enroulent, se nouent se dénouent, s’agrippent, se tordent, se déchirent, happent, montent, descendent, crescendo, decrescendo, se cristallisent, s’immobilisent, s’enracinent puis reprennent leur route, leur course, parlent, se taisent, s’écoutent même dans le silence.

« Tu n’as pas bien dormi, le silence est un silence que tu ne connais pas. Les silences ne sont pas tous les mêmes: c’est un silence, ici, de voitures et de machines, de foules, jamais complet, tandis que chez toi, c’est un silence de bête. » Il y a, chez l’auteur, une appréhension subtile des théories, des sensations, de la génération qui l’a précédé, et j’ai envie de dire que j’ai abordé la méthode de l’écrivain (et je prends le risque d’être dans l’erreur du monde du lecteur) comme celle des peintres ou des musiciens pour faire le portrait (multiple) de Mousseline (Mousseline, Marielle, Marie).

Des portraits de mots ?

Des portraits de femmes ?

Le portrait d’une femme comme l’auteur sait si bien le faire (je pense aussi à La Vieille aux buissons de roses, à Anaïs ou les gravières). Des noms inventés, des êtres de fiction ? Mousseline offre généreusement au portraitiste sa personne bien incarnée pour l’aider à mettre en pleine lumière l’indéchiffrable continent des femmes qui n’a pas fini de mettre en émoi le continent des hommes. Toutes forment cette chaîne d’êtres singuliers qui ont mis en situation un homme, un écrivain parmi les femmes, la femme.

Je détourne volontiers la citation de Simone de Beauvoir, « On ne naît pas homme, on le devient… » Par quel chemin, par quelles voies semées d’amour, de rêveries, d’embûches, un homme est-il devenu homme, un homme est-il devenu écrivain ? – Et cet homme-écrivain, et cet écrivain-homme c’est Michel, Michel et son double.

*

Une histoire triste, des obstacles à franchir par l’enfant promis à sa carrière d’homme. La profondeur, la musique, le corps viscéral, la belle singularité de l’écriture de Lionel-Édouard Martin, m’entraînent toujours vers cette magie de la lecture, une lecture de transport, à cette capacité étrange que possèdent certains livres de nous faire voyager sur une barque et suivre une rivière ou une machine à explorer le temps. Un autre espace et un autre temps, dans un autre paysage, dans une autre langue. Je pense ici à cette citation de Proust : « En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L’ouvrage d’un écrivain n’est qu’une espèce d’instrument optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que sans le livre il n’eût peut-être pas vu en soi-même. » Les cinq sens sont stimulés tour à tour selon les chapitres qui nous font vivre l’expérience, les désirs (conscients ou inconscients) du corps. Le livre s’offre au lecteur dans une juste et touchante dimension sensible.

Mousseline est une écorce, Michel un arbre. Le lecteur ramène la vie sous l’écorce. La lecture en est la sève. Mousseline n’est pas double, elle est multiple ! Trois M, Marielle, Mousseline, Marie Une trinité : Marie, Joseph, Michel.

Il n’y a donc pas besoin d’être savant pour lire, il faut sentir les mots quand ils vous appellent, vous emportent : c’est cela, la lecture d’un beau livre.

Sincèrement, je pense que Mousseline, à travers le contact et la pulsation des phrases de « Michel », découvre ou retrouve charnellement quelque chose de lui, et plus précisément de son expérience du monde.

Ma petite touche, ma petite note (atonale) : j’ai eu le sentiment que Mousseline et ses doubles était un roman écrit pour les femmes.

Anne Bolenne est peintre.
(posté sur Babelio)