Fernand rené roman (à propos de Berline, de Céline Righi, aux éditions du Sonneur)

Je ne sais pas si Céline Righi avait en tête, écrivant son roman, la belle anthologie des poèmes de Milosz intitulée La Berline arrêtée dans la nuit et publiée naguère par Jean Bellemin-Noël. Le titre, évidemment, fait écho, crée comme une continuité, mais fait, me semble-t-il, plus qu’écho, tant la Berline de Céline Righi est elle aussi arrêtée dans la nuit, non pas dans cette nuit où « l’effraie appelle ses filles dans le bocage » (Milosz) mais celle, autrement plus obscure et permanente, de la mine de charbon.

Encore une relation de catastrophe minière, dira-t-on, la mine, ce ventre !, ce gouffre qui broie les hommes !, tout cet imaginaire (un peu d’Épinal) véhiculé par les événements, les romans, les récits de vie, les médias ? Berline en parle sans doute, mais, comme toujours dans les grands romans (et Berline en est un), l’essentiel est ailleurs : non pas à la surface de la narration mais dans ses tréfonds, non pas sur le carreau mais dans les puits.

Si Berline devait se résumer en un seul mot, ce serait, ce mot, re-naissance. Le héros, Fernand, une première fois piètrement rené après le décès de son frère mort-né :

Le prénom qu’il déchiffre sur la tombe [de famille] est le même que le sien. Qu’est-ce que ça veut dire ? Il est vivant et il est mort ? Vertige. Il n’ose rien demander. En lui, ça s’écroule. Au fil du temps, il comprend mieux […]. Il est arrivé au monde pour jouer les remplaçants, un an après la mort du petit. On lui a donné le prénom du mort, pour le souvenir, pire encore : pour donner une seconde vie au mort. (page 35)

le héros, donc, va, selon la belle formule du poète Guy Valensol, « accoucher de lui-même » dans le ventre de la berline renversé qui le protège / l’héberge au fond de la mine ravagée par un coup de grisou. Renaître suppose en un premier temps d’expulser tous ses chyles, de se débarrasser, comme d’un placenta, du corps d’avant :

Ça doit bien en faire deux [jours] qu’il est ici, vidé de tout, de sa pisse, de sa merde, de ses larmes. Il n’a rien pu retenir […] (page 12)

manière aussi de couper tous les cordons subsistants, comme Fernand l’a de longue date pressenti :

Un jour le père va mourir et tu seras tout seul […], Le père mourra et tu ne mangeras plus, tu ne boiras plus, rien n’entrera plus dans ton corps […] . (page 98 ; c’est moi qui souligne)

Mourir pour mieux renaître dans son individualité propre (Fernand, réveille-toi ! : telle est l’injonction répétée dans les toutes premières pages), en se nourrissant des mots que sécrètent les ténèbres auxquelles il est donné (page 10), ces mots qu’il remâche dans sa solitude non voulue mais nécessaire à son accomplissement : comme s’il s’écrivait lui-même, comme s’il écrivait lui-même le roman dont il est le sujet, comme si son corps, lavé de ses souillures internes, pouvait désormais se faire corps de mots, devenir cette berline-ventre qui le contient (comme le « chaud d’un terrier » [page 94]) et ce Berline qui se crée / s’écrit à mesure qu’il ajoute, tout au long de cette centaine de pages, à sa parole imprononcée. Fernand renaîtra corps de mots, neuf de son séjour au fond, Fernand sera roman, après la « délivrance du jour » (page 89) et l’en enfer, comme le veut l’envers de son prénom.

Écrire, si c’est faire naître quelque chose, c’est aussi toujours faire mourir. Berline n’échappe pas à ce principe. Il faut que tout meure autour de Fernand pour que Fernand puisse revivre sous forme, désormais, de roman : après le frère aîné, l’ami d’enfance,

Mario [qui] a dû s’envoler, retomber et probablement crever comme tous les autres (page 8)

le père dans une paronomase (« laminé par la mine » [page 88]), la mère qui

un jour, […] s’était levée du lit en pleine nuit, s’était écroulée, sa tête avait tapé le linoléum. Fin de l’histoire. (page 114)

Fin de l’histoire, ou plutôt début de ce qui la nourrit ? Sans les morts, y aurait-il les mots ? L’aventure de Fernand, c’est celle

[d’]une voix qui lui pousse de l’intérieur et semble le connaître mieux qu’il ne se connaît lui-même, qui lui prête des mots qu’il n’aurait jamais eus en bouche du temps qu’il était à la surface. (page 23 ; je souligne)

c’est cette voix qui, d’êtres normaux, fait des prophètes, des oracles, des personnages investis par une parole qui les dépasse et les transforme ainsi qu’il le ressent :

Avant l’extinction, il avait les pensées d’un gars simple qui n’a pas le temps de penser parce qu’il charge à longueur de journée. Mais ici, sous la chose, dans le silence des morts, sa cervelle joue à saute-mouton, fait des raccords curieux avec ceci, avec cela. Ça se découd, se recoud. Des pans de sa vie se raccommodent. (page 23 ; je souligne)

Écrire, c’est aussi cela, un travail de couture, de ravaudage, impliquant bien plus que la surface du tissu où l’aiguille s’active à boucher les trous : l’histoire de la fibre, des mains qui l’ont plantée, de la bête qui l’a portée ; tout ce qui épure la matière brute, la transforme, la transcende. Céline Righi le sait, qui se révèle d’emblée, avec ce texte magnifique et riche, un très bel écrivain, qui sait descendre au fond (page 29) : là où on aime la retrouver ; là où d’elle, désormais, nous sommes en droit de beaucoup attendre.

Cervelles bancroches, cœurs à l’avenant (à propos de « Mangés par la terre » de Clotilde Escalle, aux éditions du Sonneur)

mangés par la terreQuelque chose comme une embrouille d’embrouilles, un grand pêle-mêle baroque dans les têtes, dans les corps, dans les voix : parce que les personnages de ce roman sont dingues, tous autant qu’ils sont, d’une dinguerie différente, mais dingues, comme ces « deux abrutis » (p. 82), Patrick et Robert, au QI inversement proportionnel à leur désir de faire le mal, et qui dans le domaine, sont experts ; comme ces adolescentes, Caroline et Jeanne, lesquelles, sans avoir une case de vide, sont emportées par les affres et les bouillonnements exaspérés de leur âge ; comme le notaire qui, signe sans doute symbolique d’un pet au casque, est affligé de calvitie pour s’être, enfant, vautré sans le vouloir dans de l’urine de chat.
Et, à tous, cette folie cérébrale est passée dans le corps, les imprégnant de la tête aux pieds. C’est, la folie des corps, le sexe, le sexe qui mène la danse, SECSSE, comme écrivent les deux « demeurés » « sur le mur d’un immeuble voué à la démolition » (p. 54) : rien qui, localement, ne se dégrade (« décor qui s’effondre, la maison familiale sous les vestiges », p. 161), l’orthographe comme les bâtisses (c’est d’ailleurs une des activités nocturnes de Patrick et de Robert que de desceller les pierres du mur entourant la maison du notaire) ; et le sexe est ce qui signe cette dégradation comme il en est le moteur, quand les deux idiots font, sadiques, subir à Caroline tout ce que le sexe peut avoir de plus dégradant :

Te labourer, te défoncer, te faire saigner. / Chaque fois un peu plus / Sans oublier ce qu’on veut. / Te pénétrer jusqu’à l’os. / Si on pouvait t’entrer par le bas et ressortir par la bouche, t’enfiler comme une perle, on serait fiers, fous de bonheur. (p. 50)

Pour Jeanne, c’est du pareil au même, en une version quelque peu atténuée parce que son amant n’a de violente que la crudité de ses mots, assez puissants malgré tout pour couper court à toute illusion, à toute effusion, sentimentales :

T’aimes sucer ? / Elle avait ricané. Puis, tout simplement, par curiosité de ce qui adviendrait, cassant son petit cœur de coquelicot en mille morceaux, elle avait murmuré : oui, j’aime ça. Oui, je pourrais te sucer, ça me ferait plaisir. (p. 32)

Pas mieux de la part du notaire, pourtant grand lecteur de Chateaubriand, quand il entreprend Agathe (elle-même grande lectrice de Balzac), la mère de Caroline, dont l’étreinte se solde par ce charmant tableau :

Pas besoin de tendresse, ni d’un côté, ni de l’autre. Peut-être une vague envie de dormir. / […] Leurs cuisses poisseuses, amidonnées par le sperme. (p. 155)

C’est peut-être bien, l’amour, le thème principal de ce très beau livre, ce qui lui donne une unité à chercher ailleurs que dans une intrigue qui ne s’y développe guère, la préférence scripturale allant à une succession de tableaux : mais un amour qui, s’il se rêve (on pense, dans un registre totalement différent, aux Grosses rêveuses, de Paul Fournel), n’a jamais l’occasion de se manifester comme les protagonistes féminins du roman voudraient qu’il se montre, avec tout l’attirail « des petits mots d’amour, la romance, tout le tintouin des jeunes filles » (p. 32), du « petit cirque du désir » (p. 169), parce que ce n’est pas ainsi que, pour de vrai, va la vie, laquelle, à l’heure de toutes les désillusions, se résume peut-être à :

être assise dans un canapé, comme sa vieille poupée de mère, tournant entre le pouce et l’index, pour les arracher, les petites peluches rouges de sa robe de chambre. (p. 74)

On peut dès lors comprendre qu’on soit plus proche d’Artaud, de Cioran (tous deux d’ailleurs cités) que des romantiques auxquels se pâme le notaire, dans ces pages dont le réalisme cru, grinçant, ne concède pas grand-chose à cette poésie qu’il m’arrive d’apprécier chez d’autres auteurs : mais l’intérêt styliste est bien suscité (au plus haut point, même) par une écriture sans effets de toge, hors norme (comme toujours chez Clotilde Escalle), aux antipodes et en contre-projet de ce que préconise à Jeanne un « jeune imbécile» « de professeur de français » :

Contentez-vous de la linéarité, faites évoluer le récit, au lieu de piétiner sur place. écrivez un bon devoir, bien construit, une bonne dissertation, introduction, thèse, antithèse, conclusion, faites comme tout le monde. (p. 126)

C’est qu’il s’agit de pulvériser (comme sont, dans Mangés par la terre, pulvérisées l’intrigue, les bonnes manières des romans bien plan-plan cousus de bon gros fil) les différents modes de l’écriture, au point que tout semble brouillé (embrouille d’embrouilles, ai-je dit plus haut) des repères habituels : ainsi, discours direct et indirect, monologue intérieur, focalisations interne, externe, se mêlent à la narration dans le continuum d’une même phrase ou d’un même paragraphe, les dialogues (comme dans La Route, de McCarthy) ne sont pas autrement signalés que par des retours à la ligne, souvent sans précision du locuteur. C’est là, entre autres caractéristiques formelles sur lesquelles je ne peux m’étendre ici, ce qui donne au phrasé de Clotilde Escalle ce ton si frappant dans sa modernité, et qui modèle si remarquablement les mondes toujours un peu bancals où évoluent ses personnages : comme si ces derniers sécrétaient une écriture à leur image, à moins que ce ne soit, allez donc savoir, le contraire. 

Accouchement de mort-né (à propos de Des carpes et des muets, par Edith Masson, aux éditions du Sonneur)

des-carpes-et-des-muetsLes rivières sont des ventres, d’ailleurs elles ont un lit, comme le rappelle Édith Masson (« comme une eau sortie de son lit », p. 151) : pour accueillir leurs eaux dormantes, dormant si bien (ou si mal, quand l’insomnie gagne, comme dans le roman, tout un village ?) qu’elles transforment leur lit en bauge  ‒ vous savez ? cette cache de sanglier que la bête s’aménage en se vautrant à plein corps dans la bourbe. Des carpes et des muets, ça commence comme ça : par une bauge, le lit de la rivière, dont le cours, qu’on devine calme en temps normal, est entravé, dans le bourg qu’il arrose, par une écluse. Le matin qu’il s’agit de curer (on parle de curage, on dirait curetage, dans d’autres circonstances) « le canal vide et gras de boue luisante », on y trouve du beau monde : « bouteilles, plastiques, bottes molles, tubes crevés », tout est « gluant », hommes, enfants, on « s’agglutine » (p. 9) autour du ventre de la bête, et le texte dit « glu » autant qu’il peut le dire en une espèce d’écho très significatif.

C’est que tout colle, dans cette campagne, façon papier tue-mouches, sauf un détail qui, lui, ne colle guère avec la feinte tranquillité pateline : parmi la pourriture et la gluance, ne voilà-t-il pas qu’on repêche un mort ! Point un mort tout entier, mais ‒ c’est normal, pour un mort tiré d’un ventre ‒ un mort digéré, mangé par quels sucs ?, dont il ne reste que les os, un mort inidentifiable, parfaitement anonyme, un mort mort depuis longtemps sans doute.

Ce squelette ‒ même pas complet, « Il en manque beaucoup » (p.18)  ‒, c’est qui donc ? Telle est la question que bien sûr on se pose : du corps mort d’une rivière, on ne tire pas un mort-né sans chercher à savoir d’où provient le cadavre, et ce ne sont pas les identités possibles qui lui manquent ni les mères potentielles, ou les amantes (mais c’est un peu pareil), dans ce village à, semble-t-il, coucheries secrètes et  passions mal cicatrisées.

Je n’en dirai pas plus de l’intrigue ‒ si ce n’est qu’elle est fort bien ficelée : la trame narrative me semble accessoire dans ce roman qui ‒ à mon sens avec beaucoup d’à propos ‒ suggère bien plus qu’il ne raconte, et met en œuvre quelques thèmes qui s’y développent moins en décor qu’en premier plan.

Au fond, le personnage principal de cette histoire, c’est le ventre gigantesque, la rivière en ses différents avatars, gluante quand on l’accouche de ses tréfonds (« l’odeur poisseuse de l’eau stagnante, chargée d’algues et de végétaux en décomposition », p. 90), sournoise en son essence hydrologique (« la rivière torse et son canal droit », p. 46), d’une pureté douteuse et dangereuse quand elle est « saisie à l’aube d’un gel vif » (« On appuie, on pèse sur l’auréole moins trouble où la glace fragile se devine, jusqu’au point de rupture, où elle crève. Une eau laide et sale émerge alors. Un mélange de boue et d’herbe molle. », p. 41). Ce qu’à la décrire de la sorte on nous dit, c’est : N’appuyez pas trop sur l’abdomen, il en sort de la mouscaille, des morts, de même qu’il ne faut guère presser la  panse du village pour qu’en sourde un passé peu ragoûtant.

C’est que la rivière n’est pas circonscrite à son seul lit, ni à son seul rôle d’élément du paysage : elle imprègne de sa présence et de ses chyles toute cette campagne, en ses débordements (« Ce matin de grande crue […] il avait longuement contemplé la vallée, lisse, grisâtre, mer figée, crevée de troncs étranglés, broussailles noires, poteaux électriques. », p. 41) et en ses résurgences (« les mares (des poches remplies d’une eau montée de la rivière toute proche, par des chemins souterrains, et retenue dans les anfractuosités du sol). », p. 87).

Cela va même plus loin, elle s’infiltre jusque dans les arbres, elle imprègne les oiseaux (« Un vieux cerisier criaillait, secoué comme une cervelle folle, il était plein de ces gros oiseaux sombres qui tournoyaient en bande, dans le ciel […]  Parfois ils se taisaient tous en même temps. Y avait-il un maître parmi eux ou était-ce un élan aveugle et collectif, une houle partie d’un frisson qui les parcourait tous d’aile en aile, comme une onde électrique ? », p. 59 [c’est moi qui souligne, comme dans les citations qui suivent]). Dans Des carpes et des muets, la métaphore aqueuse est essentielle et omniprésente (« le toit de racines enchevêtrées, calamar étendant ses tentacules au-dessus de leurs têtes. », p. 122) et développe, dans l’inconscient du lecteur et dans un imaginaire partagé, le thème de la pieuvre et du Kraken.

La rivière est ainsi partout, tentaculaire, elle jette partout son encre et son ombre, son noir de seiche : une bonne partie du roman se déroule d’ailleurs de nuit, dans la lumière (artificielle et municipale) qu’il faut (tenter de) faire pour éclairer l’histoire, mais cette lumière, comme la rivière gelée quand la glace crève sous les patineurs avec « des bruits de brisures complexes qui dessin[ent] dans [la] pensée les ramifications d’une destruction subtile » (p.41), c’est un « trou grondant et lumineux que les réverbères et le brouhaha des conversations creusaient dans la nuit. » (p. 119). Même l’éclairage « creuse », sape, mine, relève, amputé de quelques syllabes, d’une «rage» où s’impliquent « La contraction des mâchoires qu’on sent rouler sous les joues. L’électricité qui court au ras du crâne. Les dents qu’on serre. Les poings. Les ongles. » (p. 108).

Rien, dans ce très beau livre, qui soit clair, qui soit net. Tout est entaché par la rivière, comme, dans un autre roman, Bruges par ses canaux morts ‒ il y a d’ailleurs, chez Edith Masson, quelque chose d’une écriture symboliste, sonore, de magnifique maîtrise stylistique. La leçon peut-être à tirer de ce monde aqueux et grisâtre, c’est, sur le plan littéraire, qu’une histoire est vaine si elle n’est orchestrée par une thématique récurrente sur laquelle elle s’appuie pour ne pas faire que raconter ; et, sur le plan de notre humanité, qu’il faut tâcher de s’accommoder de ce qui poisse, comme ce poisson que l’on sort « de ces eaux […] avec ses yeux ronds, sa bouche orange, ses écailles irisées, poisseuses, luisantes » (pp. 155-6) : éclair jeté, vivant, dans la lumière du jour, au bout d’une canne à pêche, et qu’on a soin de remettre à l’eau, parmi les «pâtes épaisses versées au milieu des arbres agrippés aux bords penchés comme sur le point de tomber. » (p. 90). Qui seront là, toujours, quoi qu’y fassent toutes nos explorations d’eaux troubles, et qui, malgré l’urgence dont elles nous pressent, ne nous empêchent pas d’accéder à certaine forme de « bonheur » : c’est là, page 156, le fin mot de cette très belle histoire.

 

A propos de Mousseline et ses doubles pour la librairie Mollat

MARTIN-Mousseline-1re-90x141Mollat

Je parle, dans un court entretien donné à la librairie Mollat,
de Mousseline et ses doubles.

Sur youtube, c’est ici ; c’est sur dailymotion.

Mousseline et ses doubles lu/vu par Anne Bolenne (sur Babelio)

MARTIN-Mousseline-1re-90x141« Vers midi partout cette odeur de bougeoir, on mangeait de la lumière » : et voilà, je suis partie dans le roman. Immédiatement, j’ai envie de me plonger dans la lecture de Mousseline et ses doubles. Je sais que j’aime déjà les mots – pas l’histoire, non, les mots du roman. L’écriture de Lionel-Édouard Martin, je la reçois comme une force, de plein fouet. Quelque chose qui est de l’ordre du rythme, du son. C’est beau, les mots s’enroulent, se nouent se dénouent, s’agrippent, se tordent, se déchirent, happent, montent, descendent, crescendo, decrescendo, se cristallisent, s’immobilisent, s’enracinent puis reprennent leur route, leur course, parlent, se taisent, s’écoutent même dans le silence.

« Tu n’as pas bien dormi, le silence est un silence que tu ne connais pas. Les silences ne sont pas tous les mêmes: c’est un silence, ici, de voitures et de machines, de foules, jamais complet, tandis que chez toi, c’est un silence de bête. » Il y a, chez l’auteur, une appréhension subtile des théories, des sensations, de la génération qui l’a précédé, et j’ai envie de dire que j’ai abordé la méthode de l’écrivain (et je prends le risque d’être dans l’erreur du monde du lecteur) comme celle des peintres ou des musiciens pour faire le portrait (multiple) de Mousseline (Mousseline, Marielle, Marie).

Des portraits de mots ?

Des portraits de femmes ?

Le portrait d’une femme comme l’auteur sait si bien le faire (je pense aussi à La Vieille aux buissons de roses, à Anaïs ou les gravières). Des noms inventés, des êtres de fiction ? Mousseline offre généreusement au portraitiste sa personne bien incarnée pour l’aider à mettre en pleine lumière l’indéchiffrable continent des femmes qui n’a pas fini de mettre en émoi le continent des hommes. Toutes forment cette chaîne d’êtres singuliers qui ont mis en situation un homme, un écrivain parmi les femmes, la femme.

Je détourne volontiers la citation de Simone de Beauvoir, « On ne naît pas homme, on le devient… » Par quel chemin, par quelles voies semées d’amour, de rêveries, d’embûches, un homme est-il devenu homme, un homme est-il devenu écrivain ? – Et cet homme-écrivain, et cet écrivain-homme c’est Michel, Michel et son double.

*

Une histoire triste, des obstacles à franchir par l’enfant promis à sa carrière d’homme. La profondeur, la musique, le corps viscéral, la belle singularité de l’écriture de Lionel-Édouard Martin, m’entraînent toujours vers cette magie de la lecture, une lecture de transport, à cette capacité étrange que possèdent certains livres de nous faire voyager sur une barque et suivre une rivière ou une machine à explorer le temps. Un autre espace et un autre temps, dans un autre paysage, dans une autre langue. Je pense ici à cette citation de Proust : « En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L’ouvrage d’un écrivain n’est qu’une espèce d’instrument optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que sans le livre il n’eût peut-être pas vu en soi-même. » Les cinq sens sont stimulés tour à tour selon les chapitres qui nous font vivre l’expérience, les désirs (conscients ou inconscients) du corps. Le livre s’offre au lecteur dans une juste et touchante dimension sensible.

Mousseline est une écorce, Michel un arbre. Le lecteur ramène la vie sous l’écorce. La lecture en est la sève. Mousseline n’est pas double, elle est multiple ! Trois M, Marielle, Mousseline, Marie Une trinité : Marie, Joseph, Michel.

Il n’y a donc pas besoin d’être savant pour lire, il faut sentir les mots quand ils vous appellent, vous emportent : c’est cela, la lecture d’un beau livre.

Sincèrement, je pense que Mousseline, à travers le contact et la pulsation des phrases de « Michel », découvre ou retrouve charnellement quelque chose de lui, et plus précisément de son expérience du monde.

Ma petite touche, ma petite note (atonale) : j’ai eu le sentiment que Mousseline et ses doubles était un roman écrit pour les femmes.

Anne Bolenne est peintre.
(posté sur Babelio)

Mousseline et ses doubles (éd. du Sonneur) est en librairie

Bannière Mousseline

Ce qu’en dit Marc Villemain sur son blog : « […] une écriture à nulle autre pareille, où les à-coups de la respiration viennent se nicher dans une phrase de grande amplitude, où la justesse du mot et la suggestivité de la syntaxe donnent aux images tous leurs échos, toutes leurs résonances, et où s’entend le rythme ténu mais obsédant d’une gorge qui palpite, d’une voix qui, pour énoncer précisément, n’est jamais loin de trembler. L’écriture romanesque de Lionel-Edouard Martin, dont on sait que la poésie occupe la moitié de l’œuvre, n’aura peut-être jamais été aussi évocatrice ; populaire et savant, d’une composition dont la minutie n’altère jamais l’intensité de personnages très touchants, ce drame de l’amour en témoigne de manière aussi sensible que magistrale. »

La forme à l’oeuvre (à propos de Kaddish pour un orphelin célèbre et un matelot inconnu, d’Emmanuel Ruben, aux éditions du Sonneur)

Kaddish.-E-Ruben-220x353Comment vivre avec la mort d’un proche que l’on n’a pas connu, dont personne ne vous parle, mais qui vous hante, et qui résume en son être et en son trépas la part la plus cruelle de l’histoire de la première moitié du XXe siècle, entre pogroms de Juifs, Shoah – quand on est soi-même juif, même agnostique –, et décolonisation, – quand on est soi-même Pied-Noir, comme l’était ce grand-père maternel, Shalom, le « matelot inconnu » dont le suicide résonne encore et toujours, « PAN, à bout portant – dans la nuit » (p. 7) ?

Telle est, dans Kaddish, la question fondamentale que se pose Emmanuel Ruben, y répondant par l’écriture, l’écriture nécessaire, cathartique : « C’est ce silence, cette chape de plomb que je veux entailler » (p. 7).

Mais qu’écrire, et surtout comment, dès lors que la matière est tue, comme intangible, qu’on n’a dessus que le peu de prise de ce qui se murmure, chuchote, dans les assemblées de famille ? Prendre à témoin le mort : « Mais sois rassuré. Tu ne seras pas un personnage. D’où ce que je veux te donner, d’où ce monologue que sur du papier je veux t’adresser » (p. 8), pour exclure d’emblée l’hypothèse du roman (p. 9), pour emboîter le pas d’un autre genre, de hasardeuse définition, où l’imagination (p. 9) certes aura sa part et cette intuition portée par les gênes :

« J’ai la bêtise de croire que, sauf à vivre à l’écart des siens, loin de leur ombre portée ; que sauf à grandir en batifolant dans la jungle, en tétant de la louve étrusque, en feulant une grammaire tigre, l’hérédité a ses lois ; le sang, le sperme et le lait mêlés ont des voix qui se reconnaissent tôt ou tard ou se nient jusqu’à la tombe. » (p. 22).

Faire confiance au ressenti, donc, donner libre cours à la maîtresse d’erreur et de fausseté, selon les termes de Pascal, aux « hypothèses haillonneuses, infantiles » (p. 78) tout en les contraignant quand même dans les bornes de l’Histoire, de ce qu’on sait, qu’on a lu – à défaut d’y avoir jamais vécu ou même d’y être allé –, de cette Algérie qui se décline en paysages, en noms propres, fussent-ils de boutiques (pp. 51-52), et en événements, puisqu’on est au creux de ces années cinquante où la guerre ne porte pas son nom, mais est euphémisée par les pouvoirs publics. Et, puisqu’on est écrivain, se rattacher, vaille que vaille, à un autre destin, celui de l’« orphelin célèbre », né la même année que le grand-père, au « frère de bled et de tourment » – Albert Camus, dont on a lu tous les ouvrages, et figure tutélaire de la famille pied-noir.

C’est là sans doute l’originalité majeure de ce grand texte, d’une magnifique maîtrise, tant sur le plan de l’écriture que sur celui de la composition : l’entrecroisement, par le biais de l’invention, de deux destins noués par des correspondances fictives, et qui bride cependant l’imagination sinon trop prolifique, qui lui impose un moule – car au moins la vie de Camus nous est connue, comme les circonstances précises de sa mort. Dès lors, le projet de Ruben m’a rappelé celui, sous une autre forme, de la chère Michèle Desbordes dans son très beau Un été de glycines (aux éditions Verdier, 2005), où la propre vie de l’auteur s’enchevêtre – glycines… – à celle de Faulkner en constants va-et-vient fondés sur des similitudes, ou des similitudes qu’on tente d’extraire par la réinterprétation des faits, tâchant de trouver une cohérence biographique là où peut-être, et même sans doute, il n’y en a pas.

En ce sens, on est, dans Kaddish, face à un propos d’essence poétique, si on donne à poétique son acception première de création : il en va bien d’une forme à l’œuvre, créant sa matière à mesure qu’elle évolue, cette forme, quitte à ce qu’à la fin le projet initial se voie malmené, pour ne pas dire perverti, par l’évidence :

« Un écrivain qui fait le serment de ne pas tomber dans le roman est comme un dormeur solitaire qui jure la nuit : Promis, ni rêve ni cauchemar. Le roman nous tient depuis trop longtemps. Nous cerne aux quatre coins de la littérature. Tout homme n’est qu’ombre ou rêve ; au mieux il devient poème ou, ce qui revient au même, roman. » (p. 116).

Justification, bien sûr, comme on peut, comme la branche à laquelle on s’agrippe, comme le filet salvateur de l’équilibriste instable : on n’a pas tenu sa promesse de départ, on se doit d’en faire le constat, dût-on s’en morigéner, battre sa coulpe :

« J’ai honte […] car j’ai inventé des vies. Et j’ai honte […], car j’ai inventé une mélancolie qui n’était pas toujours tienne ; l’écho final d’une vie fournit peu d’indices de ce qu’elle fut en vérité. » (p. 118)

Le lecteur doit-il s’en plaindre ? – Le lecteur en sourit, bien plutôt, s’en délecte, y trouvant pleinement son compte, mieux, sans doute, avec plus d’intense intérêt, voire de fascination (on lit Kaddish en une nuit, sans pouvoir s’en défaire), qu’à la recension fidèle d’une existence somme toute assez pauvre et commune, si elle n’avait trouvé son terme dans le PAN final – à l’initiale du livre. Poème ou roman, puisque « cela revient au même » ? Poème et roman, et c’est cela qui nous retient, nous accroche, c’est cela qui cerne au plus près ce que nous cherchons dans la littérature : le roman poétique, où Ruben excelle, et qui est peut-être la marque de fabrique du roman contemporain, tel qu’on le voit, çà et là, se développer (cf. mes autres chroniques). Les quelques citations de cet article le montreraient suffisamment : mais qu’on lise donc aussi – pour mieux s’en convaincre, s’il le fallait – la magnifique évocation de l’exode des Pieds-Noirs courant sur 5 pages (pp. 80-85), bien trop longue, donc, pour être ici retranscrite, mais dont j’extrais ces passages :

« Le paquebot siffle son tocsin d’exil, le panache noir de la fumée s’élève dans un ciel sans couleur, et la mer s’ouvre, et bouillonne, la mer gloutonne […]. Les voilà partis pour la Thulé hexagonale, où il n’y a pas d’oasis, où la nuit vient plus tôt, où le brouillard couve été comme hiver les plaines mornes où ne poussent pas de jujube. […] Les hommes fument leurs dernières gauloises comme ils ont bu la veille, pour se cautériser l’âme, pour avoir des raisons viriles de vomir toutes leurs tripes, ils se cherchent une contenance, titubent, ont le visage fermé, les yeux qui clignent, les paupières qui se plissent sous le soleil faute de s’autoriser la moindre larme. »

*

 Je me suis laissé dire que l’édition de ce texte n’est pas allé sans souffrance pour Emmanuel Ruben, ce dont tout écrivain a fait l’épreuve, au moins à ses débuts – d’ailleurs, notre auteur paraîtle confesser : « Écrire a, sur la bande dessinée ou sur le cinéma, l’avantage d’autoriser les repentirs. Écrire, c’est s’attacher à l’ombre, assumer ses échecs, se vouer à l’obscur. » (p. 79) Il se trouve qu’en d’autres circonstances, j’ai pu lire, de lui, des nouvelles inédites : je connais ses qualités aussi bien que ses petits défauts originels. S’il a souffert, c’est pour son bien, et la confrontation avec le regard d’un éditeur de haute exigence n’est jamais stérile, bien au contraire : on y apprend beaucoup. À lire Kaddish, j’ai eu cette certitude que Ruben, de ce travail difficile et tumultueux, avait tiré la graine, et la bonne, et l’excellente, celle qui donne la belle gerbe, le bon pain. C’est dans cette voie qu’il lui faut continuer d’avancer. J’attends avec quelque impatience la suite : les vrais écrivains se font rares, de nos jours, Emmanuel Ruben est un vrai, et un bel, écrivain.

Comme du pain mûr (à propos de « Ils marchent le regard fier », de Marc Villemain [éd. du Sonneur, 2013])

Ils-marchent-le-regard-fierToute première phrase de roman – de bon roman s’entend, bien écrit, bien conçu – en constitue, dit Doubrovsky dans La Place de la madeleine, cette matrice dont découle tout le reste, un peu comme le bout de pain mâché laisse augurer du reste de la miche (j’en ai moi-même souvent fait le constat, comme ici, par exemple).

Or elle est bonne, pleine de sucs, cette première bouchée que d’un geste nourricier nous tend Villemain comme dans ces dégustations offertes à l’occasion dans ces « maisons de confiance » où n’est pas sujette à caution la qualité d’un produit dont on peut être légitimement fier : on sait le travail bien fait, on ne craint pas d’affronter les papilles, mêmes les plus exigeantes ; et cela sans emphase de décorum, sans appellations tarabiscotées, sans esbroufes superfétatoires : le produit, rien que le produit, tel qu’il est, naturel, franc, sans chichi, atemporel, dépourvu des foucades et des affûtiaux du moment.

Prenez-la donc en bouche, cette première phrase, mâchez-la, imprégnez-vous de ses saveurs, sans l’avaler goulûment – il en va d’une lenteur obligée :

Il était comme raidi sur son banc, retiré de tout, lançant aux bestioles du canal ou de la contre-allée des bouts de miche du matin, chaque jour reprenant les mêmes clichés de ce qui pourtant jamais ne s’en irait, les campanules, les jonquilles, les hortensias, toutes ces foutues générations de moineaux et de passereaux, et des fois quand la chance lui souriait il tombait sur un bouvreuil, une mésange, la trogne d’un bruant ou le ventre blanc d’un pouillot.

Fermez les yeux, voyez, entendez-en le goût : goûtant, vous voyez, vous entendez – « l’œil écoute », on est dans du visuel, avec derrière discret petit orchestre, genre joueur de flûtiau rustique mais qui sonne juste, sans excès de virtuosité, avec celui qui frappe d’une paume presque silencieuse le tambour de basque, et en sourdine le pinceur de cordes pour l’épaisseur rythmique et harmonique. Un goût de mélodie hors temps, dès cette première phrase : on pense aux Chants d’Auvergne, de Canteloube, du populaire d’antan revisité par l’orchestration classique. N’en doutez pas : celles qui suivent, de phrases, sont à l’avenant, il n’y a pas tromperie sur la marchandise.

Petite musique du pain bien boulangé, lentement fermenté, qui sent bon le levain, une bonne pâte à l’ancienne. Comme sont de bonnes pâtes d’hommes et de femmes les personnages principaux de cette histoire – presque tous de ces « anciens », d’ailleurs, qu’on appelle aujourd’hui seniors, à croire que les plus jeunes seraient juniors : mais faut-il nommer ces derniers, ont-ils besoin d’un nom, quand les caprices de l’époque et de la mode ont d’eux fait la norme, l’étalon à l’aune duquel, dans nos sociétés contemporaines, tout se mesure et paraît prendre sens ? Pour Villemain, ce sont les Jeunes, avec une majuscule. Capables de tout, ces petits monstres d’égoïsme – et même, disons-le sans trop dévoiler l’intrigue, du pire, quand ils ont en pognes les rênes du pouvoir politique, peu soucieux de solidarité intergénérationnelle – vous pourrez toujours repasser pour la compassion.

Fiction certes.
À moins qu’anticipation  – on sent l’auteur un chouïa pessimiste, très moyennement confiant en notre devenir. Tremblez, seniors,  dans vos chaumières et vos maisons de retraite : l’avenir, s’il devait ainsi prendre corps un jour, ne serait pas tout rose pour les grisons.

Où, quand tout cela se passe-t-il ? Il est bien trop futé, Villemain, pour nous le dire, laissant à chaque lecteur la possibilité de se projeter en ces croûtons rebelles, aussi âpres à donner de la voix contre le jeunisme actif que l’eau-de-vie de prune qu’ils sirotent comme du petit lait. Pas d’ancrage géographique bien défini : la campagne, certes, et partant, la province. À une époque qui pourrait bien être la nôtre, empreinte d’une vague modernité électronique, ordinateurs, téléphones portables. Mais rien de vraiment situé : à chacun, présent comme à venir, de se sentir impliqué, concerné. Tout cela servi par une narration quasi linéaire, sans esbroufes de composition : on n’entre pas dans le récit par la grande scène inaugurale, cela file tout doux dans la bouche du narrateur, un homme modeste qui raconte comme il parle, sans prétendre avoir en paume ces ficelles d’écrivain qui parfois sentent un peu l’artifice. Non, du naturel, qui coule de source, qui suit son cours, qui progressivement gagne en intensité : le ruisseau devient fleuve – disons la Seine, on est vite à Paris –, fleuve humain, des centaines de milliers de personnes qui défilent, manifestant, « flots roulant au loin », avec d’un coup, à l’embouchure,  la jetée dans la mer, la confrontation avec la grande bleue rugissante que la déferlante d’eau douce ne pénétrera pas impunément. On n’en dira pas plus du choc final, la menée romanesque, de grande maîtrise, conduisant à une de ces fins de texte de forte concentration, dans laquelle le début vient se refléter, trouver son sens : et le fleuve, pour ainsi dire, mord la queue du ruisseau pour former le beau cercle.

Beau cercle avec, au centre, ce point de compas générateur qu’on appelle émotion. Car Villemain est un tendre. Comme sont des tendres ses Donatien, Marie et consorts. Il vous distille de l’émotion, de la tendresse, à toutes les pages. C’est ça qui fait du bien dans ce monde de brutes. Il paraîtrait qu’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments ? Resterait à faire la preuve qu’émotion, tendresse, relèvent de ces derniers. D’ailleurs : on s’en fiche bien. Ce qui compte, c’est le ressenti – et croyez-m’en, on ressent.

*

Ce texte court, à l’opposé des grosses machineries de bien des romans indigestes, adipeux de boursouflures, me paraît illustrer la maturité de son auteur. Mûrir en écriture, c’est peut-être accepter d’écrire en marge des conventions du jour, du charivari de la mode, loin du vacarme et des stridences de ce style débraillé où beuglent les trompettes mal embouchées par on ne sait trop quelle gueule de bois, et dont l’originalité supposée se dilue dans un pareil au même dix mille fois ressassé. Après quelques errances, on trouve un jour sa voix, pleinement sa voix, sa juste tessiture, et il me semble qu’avec ce livre, Marc Villemain accède à son registre. C’était bien sûr en graine dans ses ouvrages précédents, mais, je crois, comme quelque chose encore en devenir, comme une mue encore inachevée qui laissait attendre ce ton de l’homme dont on pressentait la prochaine venue. J’ai eu le sentiment, lisant et relisant Ils marchent le regard fier, d’avoir assisté à l’avènement d’une voix, à sa révélation. C’est cet avènement que je voudrais ici saluer. Et par là-même, saluer Marc Villemain, et d’un bon coup de chapeau.

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