Sylvana Périgot : 3 balles perdues (éditions Éolienne, 2012)

Disons-le d’emblée : l’intrigue de ce premier roman de Sylvana Périgot n’est pas ce qui m’a le plus retenu. La matière narrative peut se résumer en quelques termes : un lieu (un lac dans une forêt peu fréquentée), un personnage principal (et son point de vue, peut-être un peu court, de narrateur unique), une rencontre, un meurtre, deux temporalités croisées.

Il n’est pas certain que tout cela, mis en scène dans une composition souffrant, m’est avis, de quelques maladresses, suffise à vous emporter dans une de ces lectures qui vous incite, pris d’une fringale insatiable, à vous goinfrer d’un texte. Non : il n’en va pas ici d’une dévoration mais d’une de ces dégustations qui impose la mâche lente pour en saisir toutes les saveurs, et les saveurs les plus subtiles : l’amateur de ces « polars » évoqués dans la quatrième de couverture peut aller chercher ailleurs sa pitance.

Car, en dépit de quelques facilités qui irritent çà et là, 3 balles perdues (titre, il me semble, indu, trop accrocheur et qui circonscrit mal la tonalité très particulière de ce roman) est une de ces petites merveilles que l’on savoure avec lenteur, et pour ce qu’il est dans son essence : un long, magnifique, poème en prose, magistralement orchestré. Dès la première phrase : « Devant le lac, le ponton fait une ligne nette et lisse, une petite architecture impeccable », on sait qu’avec Sylvana Périgot on est en présence d’un auteur qui écrit à l’oreille, doué de cette capacité, rare chez trop d’écrivains contemporains, à mettre en musique des éléments visuels.

La suite ne dément pas, tant s’en faut, cette impression liminaire : Sylvana Périgot sait construire un monde où les sens – la vue, l’ouïe – les plus impliqués dans l’écriture et la lecture ne cessent d’être sollicités, pour notre plus grand plaisir : en témoigne, par exemple, ce passage, vers la fin (page 121)  – mais tant d’autres pourraient faire l’objet d’une citation ! –, où s’exprime, au service de la description, une admirable science du rythme et des sonorités : « J’ai rouvert les yeux à travers un prisme qui divisait et multipliait chaque image de mon passé pour l’incorporer au tain miroitant du présent. Un silence absolu absorbe la forêt. La surface du lac est comme une vitre piquée de lumière devant la chair trouble du fond, plus sombre, presque sourde et marbrée de veines phosphorescentes. Chaque feuille de bouleau tremble dans le jour comme une goutte d’eau et chaque goutte d’eau contient dans un effet de loupe un événement microscopique. »

Un-œil-une-oreille : c’est, en substance, sous la forme de cette association qu’avec son habituelle acuité Rémy de Gourmont, dans son Problème du style (un livre essentiel [Mercure de France, 1902]), définissait le don d’écrire. Nul doute que ce don, Sylvana Périgot ne le possède, manifestant dans 3 balles perdues ce qu’elle est, foncièrement : une artiste. Je ne suis pas sûr que le roman soit la forme littéraire la plus propre à la mise en oeuvre de ses qualités stylistiques : peut-être le poème en prose y serait-il plus propice. Quoi qu’il en soit de cette réserve – à laquelle fait d’ailleurs pièce le concept de roman poétique illustré par les Gracq et autres Alain-Fournier : ce premier texte publié révèle un sacré coup de patte,  et un auteur à suivre, indubitablement.

Une autre recension, sous la plume d’Angèle Paoli, à lire ici, sur Terres de femmes.

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