On parle d’Icare au labyrinthe
Entretien avec Pierre Perrin : « Vous savez, on est toujours des héritiers : on ne peut pas écrire ex nihilo, sans avoir lu, et l’avantage de mon âge ‒ je vais avoir soixante ans ‒, c’est qu’on a eu le temps de beaucoup lire et de beaucoup relire. J’ai pleinement conscience que mon écriture est aux marges de ce qu’on publie de nos jours, et de ce qu’on lit. C’est aussi là que je situe mon Icare : dans les marges, dans les limbes ; dans les coulisses d’un opéra que Gaston Leroux savait peuplé de machineries et de fantômes ‒ « fantômes » c’est d’ailleurs le dernier mot du livre. »
Jacques Josse : Lionel-Édouard Martin conduit son récit à sa main, le frottant aux paysages, à l’étymologie des noms de lieux, aux plaisirs du palais et à certains faits rattachés à l’histoire des localités traversées. […] Les dialogues fusent. Qui rythment une narration bien moins désinvolte qu’il n’y paraît. L’écrivain la manie à la perfection. Il s’y montre à son aise, brouillant les pistes ou clarifiant les choses, selon l’envie ou la nécessité.
Zazymut : La nostalgie y est légère avec l’autodérision qui lui sied à merveille. La vigueur des éclats de rire, des échanges verbaux se font un beau chemin dans le labyrinthe de l’auteur. Lionel-Edouard Martin tisse les mots pour relier les géographies, lier les opposés.
Grégory Mion : Voici peut-être l’une des questions les plus délicates de la création littéraire : comment le personnage vient à l’esprit du romancier et comment ce même romancier finit par s’en défaire après l’avoir longuement apprécié ? Loin de proposer un traitement scolaire de cette énigme, Lionel-Édouard Martin, dans son nouveau roman, emploie un dispositif habile où il se met lui-même en scène en train de dialoguer avec son personnage, comme une sorte de Socrate qui inventerait son propre interlocuteur après avoir éprouvé toute la jeunesse philosophique d’Athènes.
Pierre-Charles Kaladji : Cette écriture « qui fait la boule », vivant de mouvements ophidiens, se rétractant et se dénouant dans la phrase au rythme des syllabes, peu à peu, nous fait entrer dans autre chose qu’un simple effet de style. Progressivement, on s’aperçoit qu’Icare au labyrinthe est une tentative de poème dans le roman. On a pu aimer le style poétique de Céline, Proust, Aragon, Gracq, Giono ou Cendrars mais il me semble ici qu’on avance un cran plus loin, cette invention de la langue (au sens religieux et au sens technique du terme) au sein de la narration d’un roman qui apprend à naître, tout cela pourrait nous conduire à abuser du vocable de « proème » inventé par Francis Ponge pour tenter de révéler le genre littéraire auquel appartient Icare au labyrinthe.
Michel Gros-Dumaine : Et çà dit, çà s’accroche au souvenir, çà collectionne les lieux, les itinéraires comme un retour à une psychogéographie oubliée, çà rempli l’espace laissé vide par l’arbre mort et abattu, çà gronde la beauté du monde, çà dépèce le vivant, tripes et boyaux, çà rechigne au grand vide contemporain des arts et des lettres, çà mange, çà boit.
Pierre-Vincent Guitard : Un roman qui contribue à donner à la littérature française des perspectives que l’on croyait disparues.
Marc Villemain : Ce qu’il y a de très beau dans ce roman, c’est cela : tout ce qui persiste à lier, relier ces deux êtres qu’en apparence tout oppose. Que le vieil homme ait un faible pour la jeunesse, voilà qui ne surprendra personne ; il était moins évident que cette jeune fille aussi moderne trouvât autant d’agrément à la présence du vieil homme. Or, Lionel-Edouard Martin a su montrer que la chose était possible : que les générations ne s’opposent peut-être pas autant qu’on veut bien le dire, et qu’elles s’épient plutôt, se dévisagent, se jaugent dans un mouvement mutuel d’apprivoisement. D’où la grande beauté, la grande sensibilité de cette relation.