Rainer Maria Rilke (1875-1926) : Les hommes la nuit / Menschen bei Nacht

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Les nuits ne sont pas faites pour la foule,
De ton voisin, la nuit est là qui te sépare
et tu n’as point pourtant devoir de le chercher.
Et si pendant la nuit tu éclaires ta chambre
afin d’envisager des hommes,
tu dois te demander : qui donc ?

Les hommes sont terriblement défigurés par la lumière,
qui leur ruisselle du visage ;
et qu’ils s’assemblent dans la nuit :
tu vois un monde qui chancelle
dans un tumulte de fatras.
Ils ont au front une lueur
jaune à la place des pensées,
dans leur regard tremble le vin,
à leurs mains pend
le geste lourd dont ils se servent
pour se comprendre quand ils parlent ;
alors ils disent : moi et moi,
et signifient : n’importe qui.


Die Nächte sind nicht für die Menge gemacht.
Von deinem Nachbar trennt dich die Nacht,
und du sollst ihn nicht suchen trotzdem.
Und machst du nachts deine Stube licht,
um Menschen zu schauen ins Angesicht,
so musst du bedenken: wem.

Die Menschen sind furchtbar vom Licht entstellt,
das von ihren Gesichtern träuft,
und haben sie nachts sich zusammengesellt,
so schaust du eine wankende Welt
durcheinandergehäuft.
Auf ihren Stirnen hat gelber Schein
alle Gedanken verdrängt,
in ihren Blicken flackert der Wein,
an ihren Händen hängt
die schwere Gebärde, mit der sie sich
bei ihren Gesprächen verstehn;
und dabei sagen sie: Ich und Ich
und meinen: Irgendwen.

(in Das Buch der Bilder, 1902)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

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