Ausone (309 – 394) : La naissance des roses / De rosis nascentibus

Printemps : haleine douce du matin, mordante
Fraîcheur, tout exhalait le retour d’un jour d’or.
Une brise un peu froide, en amont de l’aurore,
Laissait bien augurer de la chaleur du jour.

Errant dans les carrés de jardins irrigués,
Désirant me refaire en ce jour à son plein,
Je vis la pruine lourde aux herbes qui ployaient
Pendre, ou bien dominer le faîte des légumes,
Et sur les larges choux jouer à gouttes rondes.
Je vis les roseraies qu’on cultive à Salerne
S’égayer, détrempées, de la venue de l’aube,
– Et çà, là, sur les arbres embrumés, des perles
Blanches brillaient que minerait le point du jour.

L’aurore emprunte-t-elle aux roses sa rougeur ?
La leur confère-t-elle à la montée du jour ?
Même rosée, même couleur, même matin :
Car la même Vénus régit l’astre et la fleur.
Peut-être même odeur : mais l’une dans les airs
Élevés se dissipe, et l’autre nous est proche.
Déesse de l’étoile et de la fleur, Vénus
A voulu leur donner un même habit de pourpre.

Était venu l’instant où, naissants,  les bourgeons
Des fleurs allaient s’ouvrir d’un même mouvement.
Telle verdoie, sous un étroit bonnet de feuilles,
Telle dévoile à peine un filet rouge pourpre,
Telle ouvre le sommet de son premier bouton
Et libère à son faîte une tête vermeille,
Telle déplie le voile assemblé sur son front,
Et déjà se prépare à compter ses pétales.
Révélant sans tarder son beau, riant calice,
Elle arbore l’or fauve enclos dans son cœur dense.

Telle dont flamboyait la chevelure en feu,
Ses pétales tombés l’abandonnent livide.
Si rapide est le rapt des heures fugitives !
À peine née la rose est déjà défraîchie.
Je parle, et la fleur courbe au sol sa tête rouge
La terre resplendit sous la jonchée vermeille.
Formes, naissances, multiples métamorphoses
Issues d’un même jour qu’un même jour consume !

Grâce des fleurs si courte, et navrante, ô Nature
Tu montres tes présents pour sitôt les ravir !
Autant que dure un jour la vie des roses dure,
Et leur adolescence est proche du grand âge.
Celle que l’astre rouge a vu naître au matin,
S’en revenant le soir, il la retrouve vieille.
Mais de devoir mourir en un si court espace,
Qu’importe : ses enfants prolongent sa présence.

Cueille la rose fraîche, ô fraîche jeune fille :
Ton âge, souviens-t ’en, comme elle est éphémère.

***

Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.
Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

***

Ver erat et blando mordentia frigora sensu
spirabat croceo mane revecta dies.
Strictior Eoos praecesserat aura iugales,
aestiferum suadens anticipare diem.

Errabam riguis per quadrua compita in hortis,
maturo cupiens me vegetare die.
Vidi concretas per gramina flexa pruinas
pendere aut holerum stare cacuminibus,
caulibus et patulis teretes conludere guttas.
Vidi Paestano gaudere rosaria cultu
exoriente novo roscida Lucifero.
Rara pruinosis canebat gemma frutectis
ad primi radios interitura die.

Ambigeres raperetne rosis Aurora ruborem
an daret et flores tingeret orta dies.
Ros unus, color unus, et unum mane duorum:
sideris et floris nam domina una Venus.
Forsan et unus odor: sed celsior ille per auras
difflatur, spirat proximus iste magis.
Communis Paphie dea sideris et dea floris
praecipit unius muricis esse habitum.

Momentum intererat quo se nascentia florum
germina comparibus dividerent spatiis.
Haec viret angusto foliorum tecta galero,
hanc tenui filo purpura rubra notat,
Haec aperit primi fastigia celsa obelisci,
mucronem absolvens purpurei capitis.
Vertice collectos illa exinuabat amictus,
iam meditans foliis se numerare suis.
Nec mora: ridentis calathi patefecit honorem,
prodens inclusi stamina densa croci.

Haec, modo quae toto rutilaverat igne comarum,
pallida conlapsis deseritur foliis.
Mirabar celerem fugitiva aetate rapinam,
et dum nascuntur consenuisse rosas.
Ecce et defluxit rutili coma punica floris
dum loquor, et tellus tecta rubore micat.
Tot species tantosque ortus variosque novatus
una dies aperit, conficit ipsa dies.

Conquerimur, Natura, brevis quod gratia florum:
ostentata oculis illico dona rapis.
Quam longa una dies, aetas tam longa rosarum,
quas pubescentes iuncta senecta premit.
Quam modo nascentem rutilus conspexit Eoos,
hanc rediens sero vespere vidit anum.
Sed bene quod paucis licet interitura diebus
succedens aevum prorogat ipsa suum.

Collige, virgo, rosas dum flos novus et nova pubes,
et memor esto aevum sic properare tuum.

(in Les Idylles [l’attribution à Ausone est toutefois incertaine])

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