Rainer Maria Rilke (1875-1926) : La licorne / Ein Horn


Ô c’est là l’animal qui n’a pas d’existence.
Ils n’en savaient, eux, rien, et l’avaient en tout cas
‒ son allure, son cou, la façon de son pas ‒
aimé, jusqu’au regard, calme et plein de brillance.

Certes, il n’était pas. Pourtant, comme on l’aimait,
il devint pure bête. Il avait de l’espace,
et dans l’espace clair, pour lui gardé, levait
la tête avec aisance en laissant peu de place

au besoin d’exister. Nul grain pour l’animal,
continûment nourri de la faculté d’être.
Et elle lui donna une puissance telle

qu’il lui crût une corne, unicorne, au frontal.
S’approchant d’une vierge il vint, tout blanc, paraître ‒
et fut dans le miroir d’argent et fut en elle.


O dieses ist das Tier, das es nicht giebt.
Sie wußtens nicht und habens jeden Falls
– sein Wandeln, seine Haltung, seinen Hals,
bis in des stillen Blickes Licht – geliebt.

Zwar war es nicht. Doch weil sie’s liebten, ward
ein reines Tier. Sie ließen immer Raum.
Und in dem Raume, klar und ausgespart,
erhob es leicht sein Haupt und brauchte kaum

zu sein. Sie nährten es mit keinem Korn,
nur immer mit der Möglichkeit, es sei.
Und die gab solche Stärke an das Tier,

daß es aus sich ein Stirnhorn trieb. Ein Horn.
Zu einer Jungfrau kam es weiß herbei –
und war im Silber-Spiegel und in ihr.

(in Die Sonette an Orpheus [II, 4] 1923)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

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