Jean-Antoine de Baïf (1532-1589) : 5 épigrammes bachiques

Qui est Jean-Antoine de Baïf ?

Tantale ne mangeait rien de rien ; il quêtait
bouche ouverte les fruits qui pendent aux ramures
flexibles ‒ vainement. Mais à jeun il avait
moindre soif. Car eût-il mangé des pommes mûres,
des figues : quelle soif auraient en son bedon
bien plein¹ pu déclencher les dons que l’arbre porte !
J’ai, moi, goûté à table à mainte salaison,
du jambon, des tripous, d’autres de même sorte
et là-dessus n’ai bu, misère, qu’un gorgeon !
‒ Tantale, il est bien pis, le mal je supporte !

¹ : C’est ainsi qu’il faut, me semble-t-il, comprendre l’expression peu claire employée par Baïf : corpore functis, qu’il emprunte vraisemblablement, en la reformulant, à Horace (Odes, IV, 15, 29) et qui mot à mot signifie : « à ceux qui s’acquittent de leurs devoir envers leur corps ». Les deux vers peuvent d’ailleurs paraître confus : on attendrait plutôt corpore functo (au singulier, puisqu’il s’agit de Tantale) et, pour respecter la concordance modale, quirent au lieu de queant.

Tantalus haud quidquam comedebat ; quippe volantes
___pendula per ramos poma petebat hians,
sed frustra : leviore tamen jejunus anhelat
___ille siti. Quod si dulcia poma etiam
esset vel ficus, quam tantam corpore functis
___arbore carpta queant munera ferre sitim ?
Ast adcumbentes gustavimus omnia salsa,
___pernas, cordillas, cetera idemque genus ;
et super haec solam miseri potamus amystin.
___Tantale, nos passi te graviora sumus.


‒ Les satyres m’extraient des amis de Bacchus :
Seule façon d’avoir l’esprit point trop perclus.
Moi qui lampais du vin, chez les Nymphes je crèche,
Et me fais maintenant majordome d’eau fraîche.
‒ Qu’on marche à pas de loup, que Cupidon, tiré
De son calme sommeil, ne te provoque, armé.


Me Bromii comitem satyrum manus exprimit arte,
___qua sola lapidi spiritus inseritur.
Cum Nymphis habito ; qui quondam vina solebam
___fundere, nunc gelidae fio minister aquae.
Sensim ferto gradum, somno ne sorte quieto
___hic puer excitus, te petat arma movens.


Ô mon bon, tu t’endors : mais ce flacon t’appelle !
Debout, sans succomber à de pauvres travaux !
Ne plains pas, Dieudonné, le vin : mais à pleins seaux
Bois-en jusqu’à sentir ton genou qui chancelle !
Un jour viendra que nous ne boirons plus : allons !
Déjà la neige blanche éclaircit notre front.


O bone dormiscis, verum haec tibi pocula clamant.
___Surge, neque oblectes te studio misero.
Tu ne parce, sed in largum Diodore Lyaeum
___lapsus genua tenus lubrica, vina liques.
Tempus erit quo non potabimus. Ergo age, perge :
___jam canent alba tempora nostra nive.


Buvant hier soir j’étais humain :
mais au lever, point trop solide,
ayant encor le ventre vide,
j’ai tout d’un fauve, ce matin.


Vespere nos homines potavimus. At male mane
___jejuni in nosmet surgimus usque ferae.


Et donc, lierre rampant, tu danses d’un pied tort,
étouffant de Bacchus le pampre vinifère ?
C’est à toi, pas à nous, que tu causes du tort :
avant de chopiner, nous nous coiffons de lierre.


Sic ne hedera adrepens sinuoso dum pede saltas
___hos Bromii ramos opprimis uviferos ?
Non tu nos vincis, te perdis. Nostra quod omnes
___ante coronati vina bibent hedera.

(in Carmina [1577])


Ces traductions originales, dues à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

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