Gerolamo Bologni (1454-1517) : Les ruines de Rome

Paysage avec saint Jérôme et le dieu Tibre (Jérôme Cock, 1552)

Paysage avec saint Jérôme et le dieu Tibre (Jérôme Cock, 1552)


Le motif des ruines a été maintes fois traité à la Renaissance par les poètes (cf. en France, du Bellay, Les Antiquités de Rome). Il a aussi inspiré, à diverses époques, les peintres et les musiciens (même le Métal).

Qui compterait ses pleurs, qui contiendrait ses plaintes,
En voyant ton désastre et ton saccage, Rome !
Parmi l’accablement des ruines navrantes,
Il ne reste un mur droit dans la ville détruite.
Palais, ici, par terre, et colonnes rompues,
Temples précipités du haut des sept collines,
Conduites défoncées à perte d’horizon,
Forums abandonnés, débris d’amphithéâtres,
Statues brisées de dieux, colosses abattus ;
Et les voies transformées, l’écroulement des ponts,
Et les arcs de triomphe éventrés par les ronces,
Les tombeaux renversés, disséminés çà, là.
Tout gît, hélas, confus, sans ordre et à demi
Miné et fissuré avec ignominie.
Le caprifiguier ose, et ses épais buissons,
Tout couvrir, abattant toute la gloire antique.
Vaincu, tout a cédé à la fureur barbare
Avec l’auguste appui du glaive et de la flamme.
De l’ancienne beauté, restent les seuls vestiges
Que le Gète enragé n’a pu anéantir.
Ces bribes cependant montrent quelles merveilles
C’était que ces hauteurs quêtant les astres d’or…
À quoi bon, Destinée, rejeter les Gaulois
Du tonnant Capitole – et donner telle fin ?


Parcere quis lacrimis valeat gemitumque tenere
conspiciens cladem, diruta Roma, tuam ?
Usque adeo gravibus deplorandisque ruinis
angulus eversa nullus in urbe vacat.
Hinc subeunt fractis palatia lapsa columnis
templaque septenis praecipitata jugis,
hinc intercisi longinqua per avia ductus
versaque neglectis amphitheatra foris,
effigies divum lacerae abjectique colossi ;
mutatas ruptis pontibus adde vias,
adde triumphales dumis findentibus arcus,
eruta diversis adde sepulchra locis.
Heu, confusa jacent ulloque sine ordine cuncta
semesa et foedis dimidiata modis.
Omnia cum densis caprificus vepribus audax
occupat, antiquum concidit omne decus.
Omnia barbarico cesserunt victa furori,
sustulit egregias ensis et ignis opes.
Sola manent formae quaedam vestigia priscae
perdere quae rabidi non potuere Getae.
Reliquiae tamen ostentant mirabile quantum
aurea cum peteret sidera culmen erat.
Quid Capitolino Gallos arcere Tonanti
profuit, hunc finem si tibi fata dabant ?

(in Candidae libri tres)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


 

Gerolamo Bologni (1454–1517) : Le temps passe vite, soyons épicuriens !

Les trois âges (détail) Hans Baldung Grien (1510)

Les trois âges (détail) Hans Baldung Grien (1510)


Hélas ! Pauvres mortels, la vie se précipite,
S’écoule tel le cours sans retenue du Tibre,
Comme le vent d’hiver, soufflant du pôle, accourt,
Comme vers l’astre haut va la fumée légère…

Il n’y a guère encore, on me croyait enfant
– Ne portant au visage aucun trait d’homme fait :
Je change, mes amis me remettent à peine
– Eux dont, il y a peu, la foule me flanquait…

M’est venu sur la face un étrange portrait,
A surgi de la barbe, hirsute et indomptable.
Nous qui, il y a peu, goûtions à la jeunesse,
L’heure est proche où serons des vieillards décrépits…

Étapes – qu’y peut-on ? Tous, nous sommes menés
Là où la destinée nous dénie tout retour…


Nous allons, Femme, au terme, et des heures passées
Il ne revient jamais, fût-elle brève, aucune.
Au moins, ces heures-là, vivons-les, qui nous prirent
Naguère tant d’années, tant de nuits, tant de jours.

Apaisons tout d’abord les troubles creux de l’âme,
Dût toute la maison crouler de fond en comble.
Que l’ennemi razzie, qu’en ville erre la troupe,
Bannissons loin de nous toute angoisse de guerre.

N’ayons d’autre désir que du seul nécessaire,
Gardons-nous du péché de la folle avarice.
Nous taillerons la vie, en vivant de la sorte :
S’il faut se soucier, c’est quand on doit mourir.


Me miserum, praeceps aegris mortalibus aetas
Labitur, ut rapidi Thybridis unda fluit,
Ut Scythica Boreas properat brumalis ab Arcto,
Ut suprema levis fumus in astra volat.
En ego, quem puerum cuncti paulo ante putabant
Signaque cui vultus nulla virilis erant,
Immutor possint ut me vix nosse sodales,
Haerebat lateri quae modo turba meo.
Insolitam traxit facies obducta figuram
Surgit et hirsutis hispida barba pilis.
Sic modo qui laeti fuimus juvenilibus annis
Crastina decrepitos efficit hora senes.
Sic demum incauti post haec deducimur omnes
Illuc, unde aliquem fata redire vetant.

(in Candidae libri tres)


Tendimus ad metam, conjux, redituraque numquam est
de semel amissis hora vel una brevis.
Horis saltem aliquot vivamus tot quibus anni,
tot quondam noctes, tot periere dies.
Imprimis animi affectus sedemus inanes,
vel ruat a summo culmine tota domus.
Saeviat hostis agro, miles bacchetur in urbe,
omnis eat belli sollicitudo procul.
Nil nisi quod sit opus nostros quaeramus in usus
absit et insanae crimen avaritiae.
Cum sic vixerimus, poterit tum vita putari ;
vita fovens curas mortis habenda loco est.

(in Epigrammata familiara)


Ces traductions originales, due à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


 

Gerolamo Bologni (1454 – 1517) : Que le temps passe vite ! / Aetatis celeritas

Hélas ! Pauvres mortels, la vie se précipite,
S’écoule tel le cours sans retenue du Tibre,
Comme le vent d’hiver, soufflant du pôle, accourt,
Comme vers l’astre haut vole fumée légère…

Il n’y a guère encore, on me croyait enfant
– Ne portant au visage aucun trait d’homme fait :
J’évolue, mes amis me remettent à peine
– Eux dont, il y a peu, la foule me flanquait…

M’est venu sur la face un étrange portrait,
A surgi de la barbe, hirsute et indomptable.
Nous qui, il y a peu, goûtions la jeunesse,
L’heure est proche où serons des vieillards décrépits…

Étapes – qu’y peut-on ? Tous, nous sommes menés
Là où la destinée nous dénie tout retour…

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Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Me miserum, praeceps aegris mortalibus aetas
Labitur, ut rapidi Thybridis unda fluit,
Ut Scythica Boreas properat brumalis ab Arcto,
Ut suprema levis fumus in astra volat.
En ego, quem puerum cuncti paulo ante putabant
Signaque cui vultus nulla virilis erant,
Immutor possint ut me vix nosse sodales,
Haerebat lateri quae modo turba meo.
Insolitam traxit facies obducta figuram
Surgit et hirsutis hispida barba pilis.
Sic modo qui laeti fuimus juvenilibus annis
Crastina decrepitos efficit hora senes.
Sic demum incauti post haec deducimur omnes
Illuc, unde aliquem fata redire vetant.

(in Candidae libri tres)

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