Ovide, Les Tristes, III, 3 / Publius Ovidius Naso, Tristes, III, iii

Malade, en exil loin des siens, le poète, s’adressant à son épouse demeurée à Rome, envisage sa mort.

[…] Alité, épuisé, dans mon éloignement,
Perclus, j’ai souvenir de tout ce qui me manque.
Mais sur ces souvenirs tu règnes, ô ma femme,
Et tu tiens dans mon cœur la place la plus grande.
Absente je te parle, et toi seule j’appelle,
Il n’est de nuit sans toi passée, sans toi de jour.
– Même, j’ai, ce dit-on, déparlant en délire
D’une voix de dément prononcé ton prénom !
Fussé-je à l’agonie, et dût ma langue inerte
Ne pas se dégourdir sous l’effet du vin pur,
À l’annonce de ta venue, je revivrais,
Retrouvant ma vigueur en espérant te voir. […]
Si les ans que le sort m’a comptés touchent terme
Si la fin de ma vie rapidement s’approche,
Que n’avez-vous, grands dieux, fait grâce au moribond
D’une inhumation dans sa terre natale
– Différant mon arrêt jusqu’à ce que je meure
Ou hâtant mon trépas afin de m’y soustraire ?
J’aurais naguère encor pu rendre une âme pure :
En vie je fus gardé pour m’éteindre en exil.
Je mourrai sur ces bords inconnus et lointains
D’une aussi triste mort qu’est triste ce pays,
Je ne m’expirerai pas sur un lit familier
Et nul ne sera là pour pleurer ma dépouille.
Mon âme n’ira pas, fugitive, au devant
Des pleurs de mon aimée tombant sur mon visage,
Et pas de testament, ni à l’instant suprême
De paume amie pour clore un regard qui défaille. […]


[…] Lassus in extremis jaceo populisque locisque,
et subit adfecto nunc mihi, quicquid abest.
Omnia cum subeant, vincis tamen omnia, conjunx,
et plus in nostro pectore parte tenes.
Te loquor absentem, te vox mea nominat unam;
nulla venit sine te nox mihi, nulla dies.
Quin etiam sic me dicunt aliena locutum,
ut foret amenti nomen in ore tuum.
Si jam deficiam, subpressaque lingua palato
vix instillato restituenda mero,
nuntiet huc aliquis dominam venisse, resurgam,
spesque tui nobis causa vigoris erit. […]
Si tamen inplevit mea sors, quos debuit, annos,

et mihi vivendi tam cito finis adest,
quantum erat, o magni, morituro parcere, divi,
ut saltem patria contumularer humo?
Vel poena in tempus mortis dilata fuisset,
vel praecepisset mors properata fugam.
Integer hanc potui nuper bene reddere lucem;
exul ut occiderem, nunc mihi vita data est.
Tam procul ignotis igitur moriemur in oris,
Et fient ipso tristia fata loco;
nec mea consueto languescent corpora lecto,
depositum nec me qui fleat, ullus erit;
nec dominae lacrimis in nostra cadentibus ora
accedent animae tempora parva meae;
nec mandata dabo, nec cum clamore supremo
labentes oculos condet amica manus […]

(in Les Tristes, III, 3 [vers 13-24 ; 29-44])


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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