Catulle (84-54 av. J.-C.) : Homme du monde et poète exécrable (poème 22)

bissac 1


Ce Suffenus, Varus, que tu connais fort bien,
Est un homme charmant, verveux et distingué,
Et il écrit des vers, en très, en très grand nombre,
Il en a bien dix mille ou plus, comme je pense,
À son actif ; et pas transcrits sur du papier
Recyclé : sur vélin, avec jaquettes neuves,
Des dos neufs, des étuis à fermeture rouge,
Massicotés bien droit, et parés à la pierre*.
Ces vers, quand tu les lis, ce beau, ce distingué
De Suffenus : bonjour le chevrier, le plouc !
Ce n’est plus le même homme, il y a désaccord.
Que faut-il en penser ? Tenu pour bel esprit
Tout à l’heure ‒ ou bien mieux : pour expert en finesses ‒,
Le voici plus grossier que grossier péquenaud
Dès qu’il touche au poème ‒ et le même jamais
Ne se sent plus heureux qu’écrivant des poèmes :
Plein de béatitude, il s’admire lui-même.
‒ On est sa propre dupe, et il n’y a personne
En qui l’on ne remarque un peu de Suffenus.
On a chacun sa part d’illusion, sans voir
La poche du bissac qui pend sur notre dos.

* J’ai adapté à nos livres actuels la description de Catulle, qui est celle du volumen.

Suffenus iste, Vare, quem probe nosti,
homo est venustus et dicax et urbanus,
idemque longe plurimos facit versus.
puto esse ego illi milia aut decem aut plura
perscripta, nec sic ut fit in palimpsesto
relata: cartae regiae, novi libri,
novi umbilici, lora rubra membranae,
derecta plumbo et pumice omnia aequata.
haec cum legas tu, bellus ille et urbanus
Suffenus unus caprimulgus aut fossor
rursus videtur: tantum abhorret ac mutat.
hoc quid putemus esse? qui modo scurra
aut si quid hac re tritius videbatur,
idem infaceto est infacetior rure,
simul poemata attigit, neque idem umquam
aeque est beatus ac poema cum scribit:
tam gaudet in se tamque se ipse miratur.
nimirum idem omnes fallimur, neque est quisquam
quem non in aliqua re videre Suffenum
possis. suus cuique attributus est error;
sed non videmus manticae quod in tergo est.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

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