Thomas Bernhard (1931-1989) : Avec ce ciel déchiré dans la bouche / Diesen aufgerissenen Himmel im Mund

Qui est Thomas Bernhard ?

Avec ce ciel déchiré dans la bouche
maint se meurt en pensant à un jour
achevé sur tables vertes
et en assiettes froides
de jambon rose
par un soupir.

Cependant leur amour est perdu
comme le vent s’enroulant autour
du pied d’arbres pourris
dans le blanc de la neige du nord.

Leur amour est perdu
dans des forêts obscures
vieillissant dans les pleurs de chevreuils égarés
de nuage en nuage.


Diesen aufgerissenen Himmel im Mund
sterben viele und denken an einen Tag
der auf grünen Tischen
und in kalten Tellern
rosigen Schinkens endete
mit einem Seufzer.

Doch ihre Liebe ist verloren
wie der Wind der die Füße
morscher Bäume
in das Weiß des Nordschnees wickelt.

Ihre Liebe ist verloren
in finsteren Wäldern
die im Schluchzen verirrter Rehe altern
von Wolke zu Wolke.

(in Hora mortis [1958])


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Thomas Bernhard (1931-1989) : Mes parages / Mein Weltenstück

Qui est Thomas Bernhard ?

Même œil jeté, des mille fois,
Par la fenêtre, à mes parages.
Pâle verdure d’un pommier
Avec ses mille et mille fleurs
Et qui se penche sur le ciel…
Une nuée au loin s’étire,
L’après-midi, les cris d’enfants,
N’est-il, le monde, rien qu’enfance ? :
Une auto roule, un vieux attend
Debout que passe sa journée.
Dessus le toit, notre fumée
Flotte légère et suit les nues…
Un oiseau chante, et deux puis trois,
Le papillon passe, véloce.
Les poules mangent, les coqs crient,
Nombre, il est vrai, d’étrangers passent
Sous le soleil, bon an, mal an,
Devant notre vieille maison.
Au fil clapote la lessive,
Un homme rêve de bonheur.
Un autre pleure dans la cave :
Le pauvre ne peut plus chanter…
C’est la journée, ou à peu près,
Et tout coup neuf de cloche entraîne
Même œil jeté, des mille fois,
Par la fenêtre, à mes parages…


Vieltausendmal derselbe Blick
Durchs Fenster in mein Weltenstück
Ein Apfelbaum im blassen Grün
Und drüber tausendfaches Blühn,
So an den Himmel angelehnt,
Ein Wolkenband, weit ausgedehnt …
Der Kinder Nachmittagsgeschrei,
Als ob die Welt nur Kindheit sei;
Ein Wagen fährt, ein Alter steht
Und wartet bis sein Tag vergeht,
Leicht aus dem Schornstein auf dem Dach
Schwebt unser Rauch den Wolken nach …
Ein Vogel singt, und zwei und drei,
Der Schmetterling fliegt rasch vorbei,
Die Hühner fressen, Hähne krähn,
Ja lauter fremde Menschen gehn
Im Sonnenschein, jahrein, jahraus
Vorbei an unserem alten Haus.
Die Wäsche flattert auf dem Strick
Und drüber träumt ein Mensch vom Glück,
Im Keller weint ein armer Mann,
Weil er kein Lied mehr singen kann …
So ist es ungefähr bei Tag,
Und jeder neue Glockenschlag
Bringt tausendmal denselben Blick,
Durchs Fenster in mein Weltenstück …

(in Auf der Erde und in der Hölle [1957])


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

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