Vinzenz Heidecker (Vincentius Opsopoeus) ( ?-1539) : Portraits d’ivrognes en bêtes

Détail du Jardin des délices (Jérome Bosch, 1503)

Détail du Jardin des délices (Jérome Bosch, 1503)


Dans son long poème De arte bibendi (L’Art de boire) Vincentius Opsopoeus évoque, au livre deux, les mauvais buveurs et buveuses, auxquel[le]s il prête des traits d’animaux. Le tableau qui suit évoque assez facilement ceux de Jérôme Bosch.

[…] Mais quel ignoble amas, quel grand nombre de bêtes,
Et dont l’aspect traduit la vie intérieure !
Mêlées, on les voit rire ensemble, à rires larges,
On les entend crier, toutes, à cris discords.
– Mais ailleurs, les brebis, rendant gorge, vomissent,
Ivres, du vin, prouvant leur ingénuité ;
Les chiens ravalent vite – et en vain – leur ordure,
Et vautrées à plein dos dans la fange, les truies
Vomissent d’effrayants serpents, des lézards verts
– Ah, je veux bien mourir, si ces vers sont un jeu !
On voit vaches et veaux vomir crapauds, cigales,
Et vomir des bijoux à des boucs octipèdes ;
Plus loin : des livres, l’âne ; et l’ours : épées, gourdins ;
Souris et chats : c’est là ce que vomit le loup.
Les singes font des sauts irrévérencieux,
Portant pour la plupart des couronnes de fleurs ;
Près des autres assis, les ours font du carnage,
La conjuration des loups est déchaînée.
Rage et fureur aidant, les coups sont réciproques
– On dirait deux armées combattant durement.
Mais au bout du jardin, sur la gauche qu’on voit,
Sur l’allée mal famée, par les petites portes,
Dans la boue, le vomi, les corps mêlés des bêtes,
Hideux, sont étendus, et dorment pêle-mêle.
Les uns sont accablés de plaies, d’autres de vin,
On dirait un amas de morts de male mort.
D’un sommeil agité, certains sortent sans force,
Retournent aux orgies d’une marche rapide ;
D’autres, ayant visage humain, mais recouverts
De peaux de bêtes, vont, sobres, aux portillons :
Ils quittent le jardin d’un pas mal assuré,
Et titubent en foule, infirmes de leurs membres. […]


[…] At quae multiplicum confusio foeda ferarum !
Quae vitae facies interioris erat !
Nam mixtim patulis visae sunt rictibus una
Omnes discordi vociferare sono.
Ex alia sed parte vomunt de gutture vinum
Vinosae indicium simplicitatis oves.
Quae egessere canes eadem mox frustra resorbent
In caeno volvunt dum sua terga sues,
Serpentesque vomunt diros, viridesque lacertas,
Dispeream si e carmine ludo meo.
Vaccas et vitulos, ranas vomere atque cicadas
Vidisses, gemmas octipedesque capros.
Porro asini libros, enses cum fustibus ursi,
Mures et cattos evomuere lupi.
Indecores saltus exercent cercopitheci,
Quorum pars maior florea serta gerunt.
Nec procul altemis laniant sedentibus ursi,
Et furiunt multa seditione lupi.
Quos furor et rabies in mutua vulnera trudunt,
Ceu geminas acies quae fera bella gerunt.
Parte sed in laeva qua cernitur exitus horti,
Et via per modicas non bene trita fores
In caeno in vomitu mixtorum foeda animantum,
Corpora confuso strata sopore jacent,
Partim vulneribus, partim quoque saucia vino,
Tanquam caesorum mortua turba foret.
Quorum pars surgit discusso languida somno
Et repetit celeri lustra priora pede.
Pars nacta humanam faciem, sed pelle ferina
Tecta, petit tenues sobria facta fores,
Hortoque egreditur pedibus male firma, graduque
Incerto, membris mutïla turba suis. […]

(in De arte bibendi libri tres [1536], livre deux, vers 191-222)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

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