Lucain : La Pharsale, parallèle entre Pompée et César

Qui est Lucain, qu’est-ce que La Pharsale ?

NÎMES César face à Pompée ! – Objectif Gard


[…] Leur choc est inégal. De l’un¹ les années touchent
au grand âge : quiet, coutumier de la toge,
manquant d’être, en paix, chef, il cherche le renom,
se prodigue au commun dont les souffles l’entraînent,
jouit de son théâtre où il est acclamé,
ne se restaure pas, croit en son ancienne
fortune. D’un grand nom ne demeure que l’ombre :
de même un chêne altier dans un champ frugifère
portant d’un peuple ancien dépouilles et offrandes²
consacrées par les chefs, sans robustes racines
ne tient que par sa masse, éployant ses ramures
nues dans l’air – son tronc seul ombrageant, point ses feuilles –
et quoique près de choir au premier coup d’Eurus,
quand tant d’arbres puissants l’entourent dans les bois,
lui seul est vénéré. César, lui, n’avait pas
qu’un nom ni qu’un renom : mais inapte au repos,
honteux de rien sinon de vaincre sans combattre,
ardent, sans frein, portant la main où l’appelaient
ire, espoir, toujours prêt à souiller son épée,
il hâte ses succès et brusque la faveur
divine, repoussant tout obstacle à sa soif
de grandeur et jouit de détruire en chemin :
ainsi l’éclair, tiré des nuées par les vents,
parmi l’air mu qui tonne et le fracas du monde
fulgure et fend le jour, épouvante les peuples
interdits, éblouis par son tors flamboiement,
se déchaîne en ses lieux³ sans que rien lui résiste
et tombant, remontant, fait de grands, fait de vastes
ravages, regroupant les feux qu’il a semés. […]

¹ : Il s’agit de Pompée (106-48 av. J.-C.). IL avait 57 ans au début des guerres civiles.
² : Il en va du rituel des dépouilles opimes.
³ : L’expression latine sua templa peut signifier « ses temples » ou la partie du ciel du ciel où paraît l’éclair. Je m’en tiens à une traduction volontairement neutre (et vague).

Voici la traduction du même passage, en prose, par Marmontel :
Les forces ne sont pas égales. Pompée, sur le déclin des ans, amolli par le long usage des dignités pacifiques, avait oublié la guerre au sein du repos, tout occupé de sa renommée, soigneux de plaire à la multitude, poussé par le vent de la faveur populaire, et flatté de recueillir les applaudissements de son théâtre, il se reposait sur son ancienne fortune, sans se préparer des forces nouvelles : il lui restait l’ombre d’un grand nom.
Tel, au milieu d’une fertile campagne, un chêne superbe, chargé des dépouilles des peuples et des trophées des guerriers. Il ne tient à la terre que par de faibles racines ; son poids seul l’y attache encore. Il n’étend plus dans les airs que des branches dépouillées, c’est de son bois, non de son feuillage, qu’il couvre les lieux d’alentour. Mais quoiqu’il chancelle, prêt à tomber sous le premier effort des vents, quoiqu’il s’élève autour de lui des forêts d’arbres robustes, c’est lui seul qu’on révère. 
Au nom, à la gloire d’un grand capitaine, César joignait une valeur qui ne souffrait ni repos, ni relâche, et qui ne voyait de honte qu’à ne pas vaincre dans les combats. Ardent, infatigable, où l’ambition, où le ressentiment l’appelle, c’est là qu’il vole, le fer à la main. Jamais le sang ne lui coûte à répandre. Mater ses succès, les poursuivre, saisir et presser la fortune, abattre tout ce qui s’oppose à son élévation, et s’applaudir de s’être ouvert un chemin à travers des ruines : telle était l’âme de César.
Ainsi la foudre que le choc des vents fait jaillir des nuages, brille et remplit l’air d’un bruit qui fait trembler le monde. Elle sillonne le jour, répand la terreur au sein des peuples pâlissants que sa flamme éblouit, frappe et détruit ses propres temples, perce les corps les plus durs, marque sa chute et son retour par un vaste ravage, et rassemble ses feux dispersés.

[…] nec coiere pares. alter uergentibus annis
in senium longoque togae tranquillior usu
dedidicit iam pace ducem, famaeque petitor
multa dare in uolgus, totus popularibus auris
inpelli plausuque sui gaudere theatri,
nec reparare nouas uires, multumque priori
credere fortunae. stat magni nominis umbra,
qualis frugifero quercus sublimis in agro
exuuias ueteris populi sacrataque gestans
dona ducum nec iam ualidis radicibus haerens
pondere fixa suo est, nudosque per aera ramos
effundens trunco, non frondibus, efficit umbram,
et quamuis primo nutet casura sub Euro,
tot circum siluae firmo se robore tollant,
sola tamen colitur. sed non in Caesare tantum
nomen erat nec fama ducis, sed nescia uirtus
stare loco, solusque pudor non uincere bello.
acer et indomitus, quo spes quoque ira uocasset,
ferre manum et numquam temerando parcere ferro,
successus urguere suos, instare fauori
numinis, inpellens quidquid sibi summa petenti
obstaret gaudensque uiam fecisse ruina,
qualiter expressum uentis per nubila fulmen
aetheris inpulsi sonitu mundique fragore
emicuit rupitque diem populosque pauentes
terruit obliqua praestringens lumina flamma:
in sua templa furit, nullaque exire uetante
materia magnamque cadens magnamque reuertens
dat stragem late sparsosque recolligit ignes. […]

(La Pharsale, livre I, vers 129-157)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


 

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