Sénèque : Thyeste (tragédie), vers 903 – 1009

Thyeste (Sénèque) — Wikipédia


(Par vengeance, Atrée, roi d’Argos, a tué les enfants de son frère Thyeste, et les lui a fait manger à son insu lors d’un banquet donné en son honneur ; la coupe que Thyeste s’apprête à porter à ses lèvres contient du vin mêlé au sang de ses enfants)

Thyeste :
Mais que se passe-t-il ? Mes mains, mes mains refusent

D’obéir, le poids croît, m’alourdissant la paume,
Approchée de mes lèvres la coupe s’enfuit,
Près de ma bouche coule et me frustre la gorge !
Et la table, la table se met à trembler !
Le flambeau brille à peine ; et le ciel lourd lui-même
Sans lumière est frappé de stupeur : jour ou nuit ?
Quoi ? Proie d’une spirale de terreur, la voûte
Céleste oscille, l’ombre épaissie devient denses
Ténèbres et la nuit se cache dans la nuit :
Tous les astres ont fui. – Qui que tu sois, épargne
Mon frère et mes enfants, détourne ton orage
Sur ma personne impie !
(s’adressant à Atrée)
                                                  Ah, rends-moi mes enfants !

Atrée :
Tu les auras, à tout jamais tu les auras !

Thyeste :
Quel est ce trouble qui m’agite les entrailles ?

Que sens-je trembler dans mon ventre ? Un poids m’écrase,
Ma poitrine gémit de gémissements tiers.
Venez, ô mes enfants, votre malheureux père
Vous appelle, venez, apaisez sa douleur !
Mais d’où me parlent-ils ?

Atrée, apportant les restes des enfants de Thyeste :
                                                      Ouvre tes bras de père :

Les voici. Tes enfants, les reconnais-tu bien ?

Thyeste :
Je reconnais mon frère ! Ô Terre, peux-tu donc

Porter forfait si monstrueux sans le plonger
Aux enfers avec nous, et par la faille immense
Jeter dans le chaos ce royaume et son roi ?


(Thyestes) Capio fraternae dapis
donum. Paternis vina libentur deis,
tunc hauriantur. Sed quid hoc? Nolunt manus
parere, crescit pondus et dextram grauat;
admotus ipsis Bacchus a labris fugit
circaque rictus ore decepto fluit,
et ipsa trepido mensa subsilvit solo
vix lucet ignis; ipse quin aether gravis
inter diem noctemque desertus stupet.
Quid hoc? Magis magisque concussi labant
convexa caeli; spissior densis coit
caligo tenebris noxque se in noctem abdidit:
fugit omne sidus. Quidquid est, fratri precor
natisque parcat, omnis in vile hoc caput
abeat procella. Redde iam natos mihi!

(Atreus) Reddam, et tibi illos nullus eripiet dies.

(Thyestes) Quis hic tumultus viscera exagitat mea?
Quid tremuit intus? Sentio impatiens onus
meumque gemitu non meo pectus gemit.
Adeste, nati, genitor infelix vocat,
adeste. Visis fugiet hic vobis dolor.
Unde obloquuntur?

(Atreus) Expedi amplexus, pater;
venere. Natos ecquid agnoscis tuos?

(Thyestes) Agnosco fratrem. Sustines tantum nefas
gestare, Tellus? Non ad infernam Styga
te nosque mergis rupta et ingenti via
ad chaos inane regna cum rege abripis?


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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