Rainer Maria Rilke (1875-1926) : Vois les fleurs / Siehe die Blumen


Vois les fleurs, elles sont au terrestre fidèles,
on leur prête un destin sur le bord du destin, ‒
mais qui sait ! se faner : le regretteraient-elles
que ce serait à nous que leur regret revient.

Tout veut voler. Et nous, partout, sur tout, à poses
pesantes de poser, ravis de pesanteur ;
Ô quels maîtres minants sommes-nous pour les choses,
qui font de l’éternelle enfance leur bonheur.

Qui les prendrait dans son sommeil, dans son profond,
son intime sommeil, ô qu’il s’allègerait,
nouveau dans le jour neuf, né des communs tréfonds.

Ou il demeurerait, peut-être : elles, fleuries,
loueraient le converti, et il égalerait
toutes les calmes sœurs sous le vent des prairies.


Siehe die Blumen, diese dem Irdischen treuen,
denen wir Schicksal vom Rande des Schicksals leihn, –
aber wer weiß es! Wenn sie ihr Welken bereuen,
ist es an uns, ihre Reue zu sein.

Alles will schweben. Da gehn wir umher wie Beschwerer,
legen auf alles uns selbst, vom Gewichte entzückt;
o was sind wir den Dingen für zehrende Lehrer,
weil ihnen ewige Kindheit glückt.

Nähme sie einer ins innige Schlafen und schliefe
tief mit den Dingen –: o wie käme er leicht,
anders zum anderen Tag, aus der gemeinsamen Tiefe.

Oder er bliebe vielleicht; und sie blühten und priesen
ihn, den Bekehrten, der nun den Ihrigen gleicht,
allen den stillen Geschwistern im Winde der Wiesen.

(in Die Sonette an Orpheus [II, 14] 1923)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

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