
Autoportrait aux symboles de vanité (David Bailly, 1651)
La vie s’enfuit si vite ? et les jours volatils
Se liguent donc toujours afin que de me nuire ?
Le temps toujours voleur me dérobe à moi-même,
La mort vient à moi, sombre, et d’un pas que j’ignore.
Lentement je me meurs, en vain le cacherais-je.
Je ne suis aujourd’hui qui je crus être hier.
Le meilleur de moi mort, me reste mon malheur.
Me reste ? Eh non, se meurt tandis que je m’exprime.
Fanée, la fleur ; mon feu voit tiédir son ardeur,
Et ma tête blanchit sous un précoce hiver.
Consulté-je mon cœur et mes forces ? Je sens
Que je meurs peu à peu, que la vie m’abandonne.
Je me plaindrais moins fort, pouvant « J’ai vécu » dire,
Pouvant dire « La Mort, tu me viens sur le tard ;
Dussé-je mesurer l’écoulement du temps,
Combien, combien de jours ont pour moi trépassé ! »
Mais ma vie ne fut rien, honteusement vendue
À l’encan pour le prix du mécontentement.
Mécontentement, oui ; cris, mais deuil sans pareil,
À mes yeux faillit l’eau qui pourvût à mes larmes…
Mais point tout expiré : l’ultime douleur veut
Sa pitance, et de moi se souvient volontiers :
Dans un cœur bourrelé habite la vengeance ;
Les crimes sont pour l’âme eux-mêmes un supplice.
Chargé de tous ces maux, en craignant de plus lourds,
Ô Déesse, je pèse à trente-neuf hivers.
Que faire ? nulle voie pour fuir, pour me sauver ;
Le dernier jour est proche : apporte-moi ton aide,
Ton aide, tu le peux, Déesse aux mille grâces,
Aux mille panacées : apporte-moi ton aide…
Vouloir être sauvé, c’est être sauvé presque :
Je veux être sauvé, non flatter mes souffrances.
La neige s’éternise, épaisse, au haut des Alpes,
Et disparaît plus vite en plaine cultivée :
Le désir effréné de pécher tient de même
L’âme rustre, et ne fait qu’effleurer l’âme noble. […]
Siccine tam velox vitae fuga ? siccine semper
Conjurant volucres in mea fata dies ?
Meque mihi semper fur surripit hora, mihique
Non intellecto mors venit atra pede ?Paullatim morior : frustra id celare quid ausim ?
Non sum hodie, fueram qui mihi visus heri.
Optima pars nostri periit, manet altera fatum ;
Sed manet ? immo etiam, dum loquor, ista perit.Extincto jam flore vigor tepet igneus ; et jam
Anticipata meo vertici candet hiems ;
Et si forte animum, viresque interrogo, vita
Sentio me sensim deficiente mori.Haec levius quererer possem si dicere, vixi
Dicere si possem : mors mihi sera venis.
Quot mihi, si lapsi rationem temporis ipse
Mecum recte ineam, quot periere dies !Quam nihil heu vixi ! Turpe mea vita sub hasta
Veniit et pretium paenituisse.fuit.
Paenituit, fateor, gemuique, sed impare luctu,
Et lacrimis certe defuit unda meis ;Necdum animam effavi totam ; dolor ultima quaerit
Pabula ; neque mei nunc meminisse pudet :
Ultricesque habitant laniato in pectore poenae ;
Ipsaque sunt animo crimina supplicium.His me, Diva, malis pressum, et graviora timentem
Juncta quater nonae tertia portat hiems.
Quid faciam ? Effugii nulla est via, nulla salutis ;
Jamque extrema dies imminet : affer opem.Affer opem, nam Dea potes : tibi mille juvandi,
Mille medendi artes ; ah precor, affer opem.
Magna salutis enim pars est voluisse salutem;
Hanc volo, nec morbis blandior ipse meis.Ac veluti alpinis nix alta diutius haeret
Verticibus, cultos at cito linquit agros;
Haud aliter mentes peccandi effrena cupido
Obsidet agrestes, transilit ingenuas. […]
(in Opere di Vicenzio (sic) da Filicaja Senatore Ferentino [1817] tomo secondo, pp. 14-15)
Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.
Nulle personne ne saurait si sa fin s’approche , qu’elle soit « vieille » ou « jeune ». La victoire de notre vie consiste à gagner sa place dans la « vie éternelle » !! Merci Lionel Edouard Martin …
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Merci à vous, de votre lecture. S’il est parfois rhétorique (et en cela bien de son époque) Filicaja est aussi le plus souvent sincère, et nous offre ici une belle (et très baroque) méditation. Je suis heureux qu’elle vous ait plu.
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