Hilde Domin (1909-2006) : Bâtis-moi une maison / Bau mir ein Haus

Qui est Hilde Domin ?

Voici venir le vent.

Le vent qui peigne les corolles,
qui des fleurs fait des papillons,
qui lance des pigeons de vieux papier 
dans les ravins de Manhattan
vers le ciel, jusqu’au dixième étage
et qui contre les tours des gratte-ciels fracasse
les oiseaux migrateurs.

Voici venir le vent, le vent salé,
qui nous pousse sur la mer
et nous jette sur une grève
pareils à des méduses
qu’entraînera la marée de nouveau.
Voici venir le vent.
Retiens-moi fermement.

Ah, mon clair corps de sable,
à l’accord de l’image éternelle, rien que
de sable.
Voici venir le vent
qui emporte un doigt,
voici venir l’eau
qui sur moi creuse des sillons.
Mais le vent
libère le cœur
– l’oiseau rouge qui gazouille
derrière les côtes –
et de son souffle de salpètre
me brûle la peau du cœur.

Ah, mon corps de sable !
Retiens-moi fermement,
retiens
mon corps de sable.

Gagnons le pays intérieur,
où la terre est ancrée par les herbes menues.
Je veux un sol ferme,
vert, noué de racines
comme une natte.
Scie l’arbre,
prends des pierres
et bâtis-moi une maison.

Une petite maison
avec un mur blanc
pour le soleil du soir
et avec un puits pour servir de miroir
à la lune,
afin que comme en mer
elle ne se
perde pas.

Une maison
près d’un pommier
ou d’un palmier,
contre duquel
le vent passe
comme un chasseur dont la chasse
ne nous
concerne pas.


Der Wind kommt.

Der Wind, der die Blumen kämmt
und die Blüten zu Schmetterlingen macht,
der Tauben steigen lässt aus altem Papier
in den Schluchten Manhattans
himmelwärts, bis in den zehnten Stock,
und die Zugvögel an den Türmen
der Wolkenkratzer zerschellt.

Der Wind kommt, der salzige Wind,
der uns übers Meer treibt
und uns an einen Strand wirft
wie Quallen,
die wieder hinausgeschwemmt werden.
Der Wind kommt.
Halte mich fest.

Ach, mein heller Körper aus Sand,
nach dem ewigen Bilde geformt, nur
aus Sand.
Der Wind kommt
und nimmt einen Finger mit,
das Wasser kommt
und macht Rillen auf mir.
Aber der Wind
legt das Herz frei
– den zwitschernden roten Vogel
hinter den Rippen –
und brennt mir die Herzhaut
mit seinem Salpeteratem.

Ach, mein Körper aus Sand!
Halte mich fest,
halte
meinen Körper aus Sand.

Lass uns landeinwärts gehn,
wo die kleinen Kräuter die Erde verankern.
Ich will einen festen Boden,
grün, aus Wurzeln geknotet
wie eine Matte.
Zersäge den Baum,
nimm Steine
und bau mir ein Haus.

Ein kleines Haus
mit einer weißen Wand
für die Abendsonne
und einem Brunnen für den Mond
zum Spiegeln,
damit er sich nicht,
wie auf dem Meere,
verliert.

Ein Haus
neben einem Apfelbaum
oder einem Ölbaum,
an dem der Wind
vorbeigeht
wie ein Jäger, dessen Jagd
uns
nicht gilt.

(in Nur eine Rose als Stütze [2001])


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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