Hermann Hesse (1877-1962) : Vie d’une fleur / Leben einer Blume

Qui est Hermann Hesse ?

Hors du vert verticille, enfantine, angoissée,
regardant autour d’elle, elle ose à peine voir,
et sent une clarté l’accueillir, enjouée,
et jour, été, bleuir – sans en rien concevoir.

La flattent la clarté, le vent, le papillon,
en son premier sourire elle ouvre à l’existence
son cœur craintif, apprend à livrer sa présence
aux rêves successifs de sa courte saison.
Désormais, son teint brûle, elle rit pleinement,
et le pollen doré gonfle ses étamines,
elle s’instruit du feu des midis étouffants,
puis épuisée, au soir, vers les feuilles s’incline.

Sa corolle ressemble à la bouche ridée
qui tremble de vieillir des femmes d’âge mûr ;
son rire chaud s’évase, au fond duquel l’idée
se devine déjà d’excès, de dépôt sur.
Maintenant desséchés, pendent, s’effilochant
les pétales lassés au-dessus du carpelle.
Spectrales, les couleurs s’affadissent : le grand
secret tient la mourante et se presse contre elle.


Aus grünem Blattkreis kinderhaft beklommen
blickt sie um sich und wagt es kaum zu schauen,
fühlt sich von Wogen Lichtes aufgenommen,
spürt Tag und Sommer unbegreiflich blauen.

Es wirbt um sie das Licht, der Wind, der Falter,
im ersten Lächeln öffnet sie dem Leben
ihr banges Herz und lernt, sich hinzugeben
der Träumefolge kurzer Lebensalter.
Jetzt lacht sie voll, und ihre Farben brennen,
an den Gefäßen schwillt der goldne Staub,
sie lernt den Brand des schwülen Mittags kennen
und neigt am Abend sich erschöpft ins Laub.

Es gleicht ihr Rand dem reifen Frauenmunde,
um dessen Linien Altersahnung zittert;
heiß blüht ihr Lachen auf, an dessen Grunde
schon Sättingung und bittre Neige wittert.
Nun schrumpfen auch, nun fasern sich und hangen
die Blättchen müde überm Samenschoße.
Die Farben bleichen geisterhaft: das große
Geheimnis hält die Sterbende umfangen.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

L’herbe de la pampa (inédit)


Geyser ? jet d’eau ? mais pour eau des couteaux.
____La bise y perd de sa matière :
lisse au visage on conçoit que son fer
s’enfonce plus fluide au cou des animaux
____que l’on immole dans les fermes
____ensanglantées durant l’hiver :

rien qu’une herbe pourtant mais le monde
____à son contact se fait plus tendre
____s’ébarbe se polit se monde
arrondit l’âpreté de décembre
____à nos doigts doux comme une amande.

(© LEM 02 10 2018)

Les giroflées (inédit)


___Elle est, la multitude hirsute,
issue d’un seul organe actif sous les lilas :
___cœur ni poumon, mais foie, mais rate,
___on sent quelque densité rude
à l’œuvre dans la terre ‒ au-dessous des lilas ‒,
___qui pousse & voudrait mordre aux thyrses
___de ses multiples mufles d’hydre
___et tend ses mufles vers l’arbuste ‒
___mais l’arbre se rétracte et fane
la grappe ultime et drue soustraite encore aux drames
___d’un printemps primitif.

(© LEM 14 08 2018)

L’ althæa (inédit)


___Qu’une fleur d’althæa te sourie,
___tu la crois amoureuse & t’écries :
___« Halte au feu de ton œil melliflu,
___Créature ! & me laisse à mon aise
en cette solitude où rien ne m’importune ‒
que l’ample canicule où jappe un chien céleste
___que l’on choie toutefois d’une paume
prudemment revêtue de la même manicle
___que quand fond sur la main le gerfaut
___dont la serre aussi mord la peau nue. »

(© LEM 26 07 2018)

Rainer Maria Rilke (1875-1926) : Fleurs / Blumen


Fleurs, parentes enfin des mains qui vous disposent
(de virginales mains, jadis comme à présent)
au jardin, sur la table où elles vous déposent,
bord à bord, affaiblies et blessées doucement

dans l’attente de l’eau qui d’un commencement
de mort vous sauvera encore ‒, soulevées
une nouvelle fois par les pôles fluants
de doigts sensibles, plus jaloux qu’en vos pensées

de ne point altérer votre délicatesse,
quand dans l’eau de nouveau, fraîchissant sous l’apport,
vous épanchez un chaud, de même qu’à confesse,

de vierge ayant péché, trouble faute lassante,
pour vous avoir cueillies, comme dans un rapport
qui la lierait à vous, de nouveau, florissante.


Blumen, ihr schließlich den ordnenden Händen verwandte,
(Händen der Mädchen von einst und jetzt),
die auf dem Gartentisch oft von Kante zu Kante
lagen, ermattet und sanft verletzt,

wartend des Wassers, das sie noch einmal erhole
aus dem begonnenen Tod –, und nun
wieder erhobene zwischen die strömenden Pole
fühlender Finger, die wohlzutun

mehr noch vermögen, als ihr ahntet, ihr leichten,
wenn ihr euch wiederfandet im Krug,
langsam erkühlend und Warmes der Mädchen, wie Beichten,

von euch gebend, wie trübe ermüdende Sünden,
die das Gepflücktsein beging, als Bezug
wieder zu ihnen, die sich euch blühend verbünden.

(in Die Sonette an Orpheus [II, 7] 1923)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

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