Friedrich Nietzsche (1844-1900) : Venise / Venedig

Qui est Friedrich Nietzsche ?

J’étais, il y a peu,
Au pont, dans la nuit sombre.
De loin venait un chant :
Filet de gouttes d’or
Sur la surface qui tremblait.
Gondoles, lumières, musique ‒
Tiraient au large sous la brune…

Mon âme était guitare
Et se chantant, secrète,
Sans qu’on la vît touchée,
Un chant de gondelier,
Tremblait d’une félicité multiple.
Quelqu’un l’écoutait-il ?…


An der Brücke stand
Jüngst ich in brauner Nacht.
Fernher kam Gesang :
Goldener Tropfen quoll’s
Über die zitternde Fläche weg.
Gondeln, Lichter, Musik –
Trunken schwamm’s in die Dämmrung hinaus…

Meine Seele, ein Saitenspiel,
Sang sich, unsichtbar berührt,
Heimlich ein Gondellied dazu,
Zitternd vor bunter Seligkeit.
– Hörte jemand ihr zu ?…

(in Ecce homo [rédaction : 1888 ; publication posthume : 1908] )


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Friedrich Nietzsche (1844-1900) : Au Mistral : chant pour danser / An den Mistral : ein Tanzlied

Qui est Friedrich Nietzsche ?

Mistral, ô vent chasse-nuages,
Tueur de peines, lave-ciel,
Toi le brameur, comme je t’aime !
Ne sommes-nous les premiers dons
D’un même sein, 
d’un même sort
Les éternels déterminés ?

Sur le rocheux glissant chemin
Je cours ici, dansant, vers toi,
Dansant, comme tu siffles, chantes :
Toi qui sans rames ni navire,
De Liberté frère très libre,
Bondis dessus les mers sauvages.

M’éveillant, oyant ton appel,
J’ai couru vers les creux de roches,
Vers la mer et sa paroi fauve.
Salut ! Déjà pareil aux clairs
Adamantins flots des torrents,
Vainqueur, tu venais des montagnes.

Dessus la plate aire du ciel,
J’ai vu tes montures courir,
J’ai vu le char qui te transporte,
J’ai vu jaillir ta propre main
Quand sur le dos de tes montures
Tel un éclair, le fouet frappe, ‒

Je t’ai vu sauter de ton char,
Et t’élancer plus vivement,
Je t’ai vu, court comme une flèche,
Tout droit plonger dedans l’abîme, ‒
Comme un rai d’or qui sur les roses
Se rue à la première aurore.

Danse à présent sur mille dos,
Dos de la vague, vague fourbe ‒
Salut, forgeur de danses neuves !
Dansons, et de mille manières,
Libre ‒ soit appelé notre art,
Et gai ‒ le soit notre savoir !

Subtilisons à chaque fleur
Sa floraison pour notre gloire
Et deux feuilles pour la couronne !
Dansons comme des troubadours
Entre les saints et les catins,
Entre le monde et Dieu, dansons !

Qui point ne danse avec les vents,
Qu’il s’enveloppe de bandages,
Vieillard infirme, emmailloté,
Les papelards et leurs pareils,
Dadais gommeux, oies de vertu,
Oust, hors de notre paradis !

Poussons la poussière des rues
Vers les malades, vers leur nez,
Chassons la tourbe des malades !
Débarrassons toutes les côtes
Du souffle des poitrines maigres,
Et des regards sans énergie !

Faisons la chasse aux trouble-cieux,
Aux souille-monde, aux pousse-nues,
Éclaircissons le paradis !
Bramons… esprit de tous les libres
Esprits, tous deux avec toi brame
Tel un orage mon bonheur.

‒ Et pour pérenniser un tel
Bonheur, prends ce qu’il en subsiste,
Prends ma couronne et jette-la
Plus haut, plus loin, dans le plus large,
Et échelant le haut du ciel,
Accroche-la dans les étoiles !


Mistral-Wind, du Wolken-Jäger,
Trübsal-Mörder, Himmels-Feger,
Brausender, wie lieb’ ich dich!
Sind wir Zwei nicht Eines Schoosses
Erstlingsgabe, Eines Looses
Vorbestimmte ewiglich?

Hier auf glatten Felsenwegen
Lauf’ ich tanzend dir entgegen,
Tanzend, wie du pfeifst und singst:
Der du ohne Schiff und Ruder
Als der Freiheit freister Bruder
Ueber wilde Meere springst.

Kaum erwacht, hört’ ich dein Rufen,
Stürmte zu den Felsenstufen,
Hin zur gelben Wand am Meer.
Heil! da kamst du schon gleich hellen
Diamantnen Stromesschnellen
Sieghaft von den Bergen her.

Auf den ebnen Himmels-Tennen
Sah ich deine Rosse rennen,
Sah den Wagen, der dich trägt,
Sah die Hand dir selber zücken,
Wenn sie auf der Rosse Rücken
Blitzesgleich die Geissel schlägt, –

Sah dich aus dem Wagen springen,
Schneller dich hinabzuschwingen,
Sah dich wie zum Pfeil verkürzt
Senkrecht in die Tiefe stossen, –
Wie ein Goldstrahl durch die Rosen
Erster Morgenröthen stürzt.

Tanze nun auf tausend Rücken,
Wellen-Rücken, Wellen-Tücken –
Heil, wer neue Tänze schafft!
Tanzen wir in tausend Weisen,
Frei – sei unsre Kunst geheissen,
Fröhlich – unsre Wissenschaft!

Raffen wir von jeder Blume
Eine Blüthe uns zum Ruhme
Und zwei Blätter noch zum Kranz!
Tanzen wir gleich Troubadouren
Zwischen Heiligen und Huren,
Zwischen Gott und Welt den Tanz!

Wer nicht tanzen kann mit Winden,
Wer sich wickeln muss mit Binden,
Angebunden, Krüppel-Greis,
Wer da gleicht den Heuchel-Hänsen,
Ehren-Tölpeln, Tugend-Gänsen,
Fort aus unsrem Paradeis!

Wirbeln wir den Staub der Strassen
Allen Kranken in die Nasen,
Scheuchen wir die Kranken-Brut!
Lösen wir die ganze Küste
Von dem Odem dürrer Brüste,
Von den Augen ohne Muth!

Jagen wir die Himmels-Trüber,
Welten-Schwärzer, Wolken-Schieber,
Hellen wir das Himmelreich!
Brausen wir … oh aller freien
Geister Geist, mit dir zu Zweien
Braust mein Glück dem Sturme gleich. –

– Und dass ewig das Gedächtniss
Solchen Glücks, nimm sein Vermächtniss,
Nimm den Kranz hier mit hinauf!
Wirf ihn höher, ferner, weiter,
Stürm’ empor die Himmelsleiter,
Häng ihn – an den Sternen auf!

(in Die fröhliche Wissenschaft / Le  Gai Savoir [1887] )


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

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