Girolamo Fracastoro (1478-1553) : extrait de La Syphilis ou Le Mal français (1530)

Fracastoro recense ici les aliments dont les personnes atteintes du « mal français » doivent s’abstenir. On trouvera à la suite de cet extrait d’autres traductions du même passage, et reposant sur des principes différents de ceux auxquels j’essaie, pour ma part, de me tenir. Ainsi la traduction de Prosper Yvaren, en alexandrins rimés, interprète-t-elle le texte original pour des raisons, semble-t-il, liées à la versification ; les deux autres, en prose,  paraissent vouloir en restreindre la portée poétique pour le contenir, vaille que vaille, dans le cadre d’un exposé scientifique dans le domaine de la médecine. 

[…] Les poissons de rivière et ceux des marécages,
Ceux qui vivent en mer et dans le clair des lacs,
On s’abstiendra de tous. De certains, tout de même,
On peut modérément consommer, s’il le faut :
Ceux dont la chair est blanche, et sans dureté, molle,
Que lassent récifs, mers, et remontées de fleuves :
Dorades argentées, mostelles pélagiques,
Goujons, perches aimant les parages rocheux,
Scare qui, solitaire, au bout des fleuves lents,
Rumine entre les rocs les herbes qu’il pâture.

Je déconseille aussi les oiseaux aquatiques
Vivant près des cours d’eau profonds, cherchant pitance
Dans l’eau claire. Évitez canard gras, oie trop peu
Digeste – laissons-lui garder le Capitole ! –,
Caille lente du fait de son engraissement.
Lard tendre et intestins du porc arqué d’échine,
Côtes de porc : à fuir ! et dos de sanglier
– Dût-on, chasseur, tuer souvent des sangliers. […]

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Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

[…] Principio, quoscumque amnes, quoscumque paludes,
Quosque lacus liquidi pascunt, quosque aequora pisces,
Omne genus procul amoveo. Sunt quos tamen usus
Liberius, cum res cogit, concedere possit.
Omnibus his est alba caro, non dura tenaxque,
Quos petrae et fluviorum adversa marisque fatigant.
Tales nant pelago phycides, rutilaeque per undas
Auratae, gobiique, et amantes saxea percae.
Talis dulcifluum fluviorum scarus ad ora
Solus saxa inter depastas ruminat herbas.

Sed neque quas stagnis volucres, quaeque amnibus altis
Degere amant, liquidisque cibum perquirere in undis,
Laudarim. Tibi pinguis anas, tibi crudior anser
Vitetur, potiusque vigil Capitolia servet :
Viteturque gravi coturnix tarda sagina.
Tu teneros lactes, tu pandae abdomina porcae,
Porcae heu terga fuge, et lumbis ne vescere aprinis,
Venatu quamvis toties confeceris apros. […]

(in Carmina illustrium poetarum italorum tome 5 [Florence, 1720] page 17)

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D’autres traductions du même extrait :

Je conseille d’abord de rejeter absolument les poissons de toute espèce que nous tirons des fleuves, des étangs, des lacs et de la mer. Ce n’est qu’en cas de nécessité qu’on peut faire usage de ceux qui vivent dans des eaux pierreuses, ou qui luttent sans cesse contre le courant des rivières et des mers, et dont la chair est blanche et facile à digérer. Tels sont les phycides, les dorades, les goujons, et la perche qui aime les endroits pierreux. Tel est encore le scarus, qui se plait à ruminer seul , entre les rochers, les plantes marines dont il se repaît à l’embouchure des fleuves. Je rejette aussi les oiseaux qui habitent les bords des étangs et  des rivières  où ils vont chercher leur nourriture. La chair du canard est lourde ; celle de l’oie l’est aussi ; laisse cet oiseau veiller en paix à la garde du Capitole. Les cailles grasses, les intestins et le lard de pore ne doivent point paraître sur votre table ; évitez surtout le jambon, et ne mangez jamais de sanglier , quoique sans doute il vous arrivera souvent d’en tuer à la chasse.

(Traduction de Philippe Macquer et Jacques Lacombe ; Jacques-François Quillau éditeur, Paris, 1753)

*

J’interdis tout poisson, d’un lac ou d’un étang,
D’un fleuve ou de la mer indigeste habitant.
Il en est cependant que l’on pourrait permettre,
Si la nécessité l’exigeait, ceux peut-être
Dont la chair blanche et tendre offre un mets plus léger,
Qui sur un lit pierreux se plaisent à nager,
Ou remontent le cours d’une onde tourmentée ;
Le goujon, la dorade à l’écaillé argentée,
La phycide, la perche amante des rochers,
Et le scarus qui seul, au dire des nochers,
Fréquentant les abords des fleuves, y rumine
L’aliment qu’il emprunte à quelque herbe marine.
Je te signalerai comme étant défendus
Les oiseaux de marais qui, chasseurs assidus,
À de stagnantes eaux vont dérobant leur proie ;
Abstiens-toi de canard, surtout rejette l’oie,
Sauveur du Capitole elle y doit vivre en paix :
Leur chair est trop compacte et leur sang trop épais.
Sans regret, loin de toi laisse émigrer les cailles ;
Repousse au loin du porc les flancs et les entrailles ;
Au fougueux sanglier va porter le trépas,
Mais qu’il soit pour longtemps banni de tes repas.

(Traduction de Prosper Yvaren ; Jean-Baptiste Baillère éditeur, Paris, 1847)

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En premier lieu, bannissez de votre table tous les poissons, quels qu’ils soient, poissons de rivière ou d’étang, d’eau douce ou d’eau salée. Tout au plus pourrez-vous, au besoin, vous permettre ceux que l’on pèche près des falaises ou des brisants et dont la chair est blanche, molle et délicate ; tels sont, par exemple, la phycide, la dorade, le goujon, la perche amie des rives rocheuses, et le scare, solitaire ruminant des ondes et hôte habituel de l’embouchure des fleuves. — Abstenez-vous aussi des oiseaux  aquatiques qui, vivant sur le bord des rivières ou dans les marais, ne se nourrissent que de poisson. Évitez de même le canard aux chairs chargées de graisse, l’oie, qui sauva jadis le Capitole, la caille replète, le lard et les entrailles du porc, le filet des sangliers tombés sous vos coups dans vos chasses meurtrières.

(Traduction de Alfred Fournier ; Adrien Delahaye éditeur, Paris, 1869)

Girolamo Fracastoro (1478-1553) : scènes rustiques

Surtout connu pour son long poème (en trois chants) sur la syphilis (Syphilidis, sive de Morbe Gallico libri tres [1530]), Fracastoro est aussi l’auteur de poésies portant sur des thèmes variés (tel que l’élevage des chiens de chasse).  Les deux textes qui suivent montrent son intérêt pour certaines formes de réalisme.

La pluie cloître au matin les paysans robustes,
On tue la truie bouffie qu’ont engraissée les glands.
Demeure en joie ! la mère est aux boudins, mêlant
Le neigeux gras de porc à des morceaux de hure,
À la pourpre du sang le lait couleur de neige ;
Met des grains de fenouil et de sarriette sèche,
Puis, saupoudrant de sel, embosse les boyaux.

*

La nuit vient, et repues aux toits rentrent les chèvres.
Devant : le bouc, à barbe autoritaire,  aux cornes
Recourbées, aux longs poils pendant d’un corps puant,
Puis la jeune Upilion, cuirassée de lainages,
Qui pousse – en le triquant – le reste du troupeau.
La vieille mère, au coin du feu braisant des choux,
Portant le seau, trait aux pis lourds le lait tout frais.
Le paysan a récolté l’olive grasse,
Pendant ce temps ; chez lui, à la brune, est rentré
Le robuste bouvier : dans l’énorme amas d’orne,
De hêtre, de rondins de chêne, le feu brûle.
Les flammes montent, gaies, s’étalent, resplendissent.

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Ces traductions originales, dues à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Mane domi validos pluvia ut conclusit agrestes,
Caeditur iliceo distenta sagimine porca.
Laeta domus, tum sollicita in farcimine mater,
Pingue suis niveum, et dissecti frusta cerebri,
Et niveum lac purpureo cum sanguine miscet,
Tum semen marathri , atquc arentis gramina thymbrae
Adjicit, et coli insperso sale concava complet.

*

Nox venit, et pastae redeunt ad tecta capellae.
Prae caper it, cui barba jubat, cui cornua pendent
Intorta, et grandes olido de corpore setae.
Pone gregem reliquum compellit arundine virgo
Upilio , multo armantur cui baltea fuso,
At mater longaeva, igni dum brassica fervet,
Mulctra effert, gravidoque recens lac ubere mulget.
Rusticus interea pinguis collector olivae,
Interea et validus prima de nocte bubulcus
Advenere domum : congesta tum focus orno
Ingenti, aut fago, vel fragmine roboris, ardet.
Tolluntur laetae flammae, lateque relucent.

(in Carmina illustrium poetarum italorum tome 5 [Florence, 1720] pp. 113 et 114)

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