Giovanni Battista Evangelista (XVIe siècle ? Italie) : Deux épigrammes passionnément amoureuses

Pourquoi briser un cœur brisé, cruel Amour,
L’arracher, le broyer – lui bourrelé de flèches –,
Ajouter peine à peine, et douleur à douleur,
Et blessure à blessure, et des flammes aux flammes,
Et redoubler tes coups, darder tes traits qui volent ?

– Arrête, je me meurs, arrête, enfant barbare !
Ces blessures en nombre, et récentes, sont vaines :
Traits, feux ne trouveront de place encore libre.
Je te suis, moi ta proie : dépose ici tes flèches.
Épargne un innocent, ta gloire en grandira.

*

Ainsi, aux vieilles plaies et aux anciennes flammes,
Tu joins, cruel Amour, des traits, des feux nouveaux ?
L’amoureux qui brûlait pour Phyllis, pour Cassandre,
Brûle d’un tiers amour pour Lucie, le pauvret !
Cassandre avec Phyllis fendait son cœur blessé :
C’est Lucie depuis peu qui fend son cœur impie.

Phyllis, ce sont ses yeux, Cassandre ses cheveux
Qui m’ont séduit, Lucie – jolie – son beau visage.
Mais ce nouvel amour n’a pu chasser les autres :
Il donne un feu nouveau sans éteindre les vieux.
Je les veux toutes trois – je meurs, même supplice !
C’est le même délice et le même plaisir.

Désirant ce feu triple et ces triples blessures,
À moi seul je serai la proie, las !, d’elles trois.


Quid lacerum laceras pectus ? quid corda sagittis
Improbe contundens saucia vellis Amor ?
Quid poenam poena, cumulasque dolore dolorem ?
Quid flammas flammis, vulnera vulneribus ?
Quid geminas ictus ? quid tela, volantia torques ?

Desine, jam morior, desine saeve Puer.
Quae modo multa facis, sunt irrita vulnera, nullum
Inveniunt vacuum tela facesque locum.
Te sequimur, tua praeda sumus, depone sagittas :
Servasse insontem gloria major erit.

*

Ad veteres igitur plagas, flammasque vetustas
Saeve Amor adjicies tela facesque novas ?
Urebat Phyllis, Cassandra urebat amantem;
Lucia nunc miserum tertius urit Amor.
Saucia caedebat Cassandra, et pectora Phyllis:
Impia nunc caedit Lucia corda recens.

Luminibus Phyllis cepit, Cassandra capillis :
Lucia formosa pulcrior ore capit.
Non novus antiquos potis est detrudere amores :
Non tollit priscas, sed nova flamma facit.
Hanc cupio ; opto illas, pariter cruciatque necatque ;
Delectant pariter, proh pariterque placent.

Vulnere sic triplici, triplici sic igne petitus,
Unus ero infelix apta rapina trium.

(in Carmina illustrium poetarum italorum tomus quartus [1719] p. 124)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :