Alexandre Neckam (1157-1217) : Petit bestiaire

héron

Héron (Ardea) médiéval


Le héron :

Prédicteur de la pluie, le héron fuit forêts,
Marais, étangs – ses nids –, pour gagner l’empyrée.
Le ciel et l’air pour aire, il erre dans les nues
Errant tant qu’à grande erre il n’est rôti tout crû.
Il est prisé des grands pour son goût délectable,
Plus délectable oiseau peine à parer leur table.

NB : Ce sixain est fondé, en latin, sur un jeu de mots portant sur ardea (le héron), mis en rapport étymologique avec ardeo (je brûle) et arduus (haut). Pour tâcher de le rendre en français, j’ai pris sur moi de rapprocher, en français, héron de errer, air, etc., et de trahir consciemment le sens pour mieux respecter le processus créatif du poète.

Le becfigue :

Bien qu’il tire son nom de la fameuse figue,
Le raisin est un mets friand pour le becfigue :
S’il préfère à la figue, et de loin !, le raisin,
On eût dû, de raisin, le nommer « becraisin ».
– Mais quoi ! L’humus à l’homme a bien donné son nom,
Or, son esprit domine, et nourrit son limon.


La seiche :

La seiche, comme on sait, n’est munie que d’un os
De la forme, dit-on d’un pas très grand bateau.
Quand rage la tempête où l’horreur s’accumule,
Elle s’agrippe aux rocs avec ses tentacules.
Froidissant l’estomac, il faut boire dessus,
Dès que mangée, du vin de puissante vertu.


La raie :

De blêmes maladies la raie fameuse est mine
Si on ne la consomme avecque du vin blanc.
À défaut y supplée Cérès, bonne maman :
Quand le frère est absent, la sœur fait bonne mine.
Mais quoi ? Goûtant chair ferme et plaisante saveur,
Je me fie à moi-même, et plus qu’à mon docteur.


Le congre :

Le congre est congruent à des repas superbes,
L’habile cuisinier l’apprête avec des herbes.


L’oursin :

L’emportant en douceur sur le rayon de miel,
Tu fleuris à l’étroit d’un corps, oursin, bien fait.
Pour résister aux coups de la forte tempête,
Tu portes dans ta bouche un poids précis de lest,
Et ce caillou te guide en mer grosse d’orages
– Tu traînes, ô stupeur, ton guide dans ta bouche !
Le marin prévoyant charge ainsi son bateau
Afin que ni les flots, ni les vents ne le freinent.


Ardea praedicit imbres, quia stagna, paludes,
Silvas cum nidis deserit, alta petens.
Ardet adire Jovem, petit ardua, nubibus ardet,
Ardet ne citius ardeat assa cocus.
Judicio procerum grati solet esse sparis ;
Vix horum mensas gratior ornat avis.


Quamvis ficedulae det nomen gloria ficus,
Uva tamen cibus deliciosus ei.
Sed cum ficu sit multo pretiosior uva,
Debuerat nomen uva dedisse tibi.
Sed qui ? Humus nomen homini dedit, et tamen ipsum
Corpus praedominans spiritus intus alit.


Siccam vix uno munitam novimus osse,
Quod formam modicae fertur habere ratis.
Cum furor exagitat plenas horrore procellas,
Fimbriolis haeret rupibus illa suis.
Infrigidat stomachum, si non virtute potentis
Bacchi confestim subveniatur ei.


Pallentes generat famosa ragadia morbos,
Si non est albo succiduata mero.
Sed tamen alma Ceres defectum supplet Iacchi ;
Frater abest, facies grata sororis erit.
Sed quid ? dum solidam carnem gratumque saporem
Perpendo, medico quam mihi credo minus.


Divitibus mensis congrus bene congruit, ipsum,
Herbis servatum praeparat arte cocus.


Vincis, echine, favum mellis dulcedine magna ;
Corporis exigui calliditate viges.
Insultu validae ne concutiare procellae,
Libramen certi ponderis ore geris.
Te regit in tumido pelagi fervore lapillus,
Miror rectorem tu vehis ore tuum.
Sic bene prospiciens sibi navim nauta saburrat,
Ne fluctus vel vis aeris obstet ei.

(in De Laudibus divinae sapientiae)


Ces traductions originales, dues à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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