Rainer Maria Rilke (1875-1926) : « Tranquille ami des nombreux lointains »

cloche


Tranquille ami des nombreux lointains, sens
comme ton souffle accroît l’espace encore.
Dans la charpente des clochers obscurs,
laisse-toi donc sonner. Ce qui te ronge,

ainsi nourri, en force se transforme.
Va donc et viens dans la métamorphose.
De quelle épreuve as-tu le plus souffert ?
S’il t’est amer de boire, fais-toi vin.

Dans cette nuit de démesure, sois
force magique au croiser de tes sens,
sois sens de leur rencontre inusuelle.

Et si le globe un jour t’a oublié,
à la tranquille terre, dis : Je coule,
à l’eau rapide, parle et dis : Je suis.


Stiller Freund der vielen Fernen, fühle,
wie dein Atem noch den Raum vermehrt.
Im Gebälk der finstern Glockenstühle
laß dich läuten. Das, was an dir zehrt,

wird ein Starkes über dieser Nahrung.
Geh in der Verwandlung aus und ein.
Was ist deine leidendste Erfahrung?
Ist dir Trinken bitter, werde Wein. 

Sei in dieser Nacht aus Übermaß
Zauberkraft am Kreuzweg deiner Sinne,
ihrer seltsamen Begegnung Sinn.  

Und wenn dich das Irdische vergaß,
zu der stillen Erde sag: Ich rinne.
Zu dem raschen Wasser sprich: Ich bin.

(in Sonette an Orpheus, II, 29 [1922])


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

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