C’est un jour de rivière… (inédit)


C’est un jour de rivière et tes petons d’enfant
barbotent sur les bords drus d’iris des marais,
tu as combien, cinq ans ? d’une existence pâle
où la terre a mangé ton grand-père,

tu jouais près du corps encor chaud, les voisins
l’ondoyaient d’eau bénite, un croc d’averse brune
mordait les toits d’ardoise avec pigeons lugubres.

Là c’est l’été frugal, la Gartempe a grand faim,
pourrait bien te croquer, t’avaler Pinocchio,
la vase sent le sang du tout proche abattoir,
l’écrevisse à tes pieds t’électrise,

aussi la libellule accrue d’un bruit d’élytres,
et tu la suis des yeux dans le ciel où les morts
se gorgent du murmure apprivoisé des astres.

(© LEM 31 juillet 2017)

 

« Crois-tu que la ville ourle au point de ton impact… »


Crois-tu que la ville ourle au point de ton impact
ses cycles de parole et que pierre où bâtir
l’à-peu près du murmure (offerte à fleur de fleuve)
tu troues le cours des mots ourdis dans les jardins ?

Bêche en main pour le chou, la courge ou l’artichaut,
pas d’écho de ton nom dans la garenne fouie
ni plus haut sur la place où beuglent les bestiaux
– rien non plus pour troubler le babil des souillardes.

Ta voix ricoche sur l’écorce de l’eau sourde,
pas d’autre barde ici que la barque au licou
mufle annelé piaffant cularde sur son ru(t);

Et si la rivière ouvre à l’occasion la bouche,
c’est pour gober tout crû la goûteuse hirondelle,
sans remous au pourtour de la proie qu’elle engouffre.

(© LEM 28 août 1996)

 

La Gartempe


[…] Là-bas, c’est la Gartempe qui coule, et ce n’est pas une grande rivière ; elle est de celles qui se jettent câlinement dans les bras d’une autre un peu plus abondante, mais guère, plutôt que d’aller donner d’elle-même de la tête dans le ventre d’un fleuve. Cela convient à notre tempérament : gens de plaine, comme elle, nous cultivons une même tendresse, une même modestie ; malgré quelques collines – mais elle a râpé presque tous nos raidillons, nous vivons à son étale, elle nous donne un avant-goût de l’océan : masse dormante affalée de tout son poids dans son lit, quelque chose d’une paresse, rarement tumultueuse. Je dis bien par chez nous, je parle de notre monde, qui est de calcaire et d’argile ; maintenant, vers les montagnes du Limousin, plus haut, qu’elle mène une autre vie, nul n’en doute, nous savons qu’elle traverse des gouffres de granit, fait la culbute avec les roches – qu’elle travaille au corps les paysages et les parlures d’amont, mine les à-pics et les diphtongues. Peu nous importe, d’ailleurs, nous héritons d’un calme, d’une quiétude sereine, comme d’un animal après quelque folie, et d’une langue assagie, presque plate. […]

(in Deuil à Chailly, éd. Arléa, 2007)

 

L’éternité dans la Gartempe


‒ Tu verras, le néant c’est néant, sous la terre
il n’y a rien, que de la terre et des licoches,
tessons gaulois, romains, gallo-romains,
c’est tout néant et compagnie, rien qui remue,
fouette le sang, le muscle y perd son élastique…

‒ Je n’y veux rien qu’une rivière,
moi, sans barque ou pêcheur à cuissardes,
ou le nocher, le passeur d’âmes
guignant de son œil à glaucome
une île potentielle entourée par des joncs,
des gens, des ombres, on reconnaît quand on approche
celle arrachée à la Gartempe
(elle a saigné de l’avorton),
avec son saule thaumaturge, on en soignait
verrues, vieillards en nage et les chaleurs des bêtes :

envie de cette éternité fluviale,

d’y être carpe ou nénuphar
quitte à gésir dans un carnier.

(© LEM 1er juillet 2017)

 

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