[…] Là-bas, c’est la Gartempe qui coule, et ce n’est pas une grande rivière ; elle est de celles qui se jettent câlinement dans les bras d’une autre un peu plus abondante, mais guère, plutôt que d’aller donner d’elle-même de la tête dans le ventre d’un fleuve. Cela convient à notre tempérament : gens de plaine, comme elle, nous cultivons une même tendresse, une même modestie ; malgré quelques collines – mais elle a râpé presque tous nos raidillons, nous vivons à son étale, elle nous donne un avant-goût de l’océan : masse dormante affalée de tout son poids dans son lit, quelque chose d’une paresse, rarement tumultueuse. Je dis bien par chez nous, je parle de notre monde, qui est de calcaire et d’argile ; maintenant, vers les montagnes du Limousin, plus haut, qu’elle mène une autre vie, nul n’en doute, nous savons qu’elle traverse des gouffres de granit, fait la culbute avec les roches – qu’elle travaille au corps les paysages et les parlures d’amont, mine les à-pics et les diphtongues. Peu nous importe, d’ailleurs, nous héritons d’un calme, d’une quiétude sereine, comme d’un animal après quelque folie, et d’une langue assagie, presque plate. […]
(in Deuil à Chailly, éd. Arléa, 2007)