Julio Cortázar : extrait de trois sonnets érotiques (in Salvo el crepúsculo, Crépuscule d’automne, 1984)

A sonnet is a pensive mood.

Sa salopette bleue lui serre la ceinture,
lui morcèle le corps en fesses et en seins,
la mue en petit homme et lui donne les pleins
pouvoirs d’une délicate architecture.

Parmi la brise va la chevelure obscure,
tout entière elle est fruit, tout entière venin ;
de ses cuisses ramant – de genre mal certain –,
elle invente une éphémère pisciculture.

Amazone à la salopette bleutée, l’art
la fige dans ce parallèle rituel,
mouvant sillage à l’abri des migrations ;

vieux poète, vois-la te jeter ses regards
de ses yeux piquetant d’astres un autre ciel
où il n’est pas de port pour tes ambitions.

***

Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.
Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

***

A sonnet is a pensive mood. 

Su mono azulle ciñe la cintura,
le amanzana las nalgas y los senos,
la vuelve un muchachito y le da plenos
poderes de liviana arquitectura.

Al viento va la cabellera oscura,
es toda fruta y es toda venenos;
el remar de sus muslos epicenos
inventa una fugaz piscicultura.

Amazona de mono azul, el arte
la fija en este rito paralelo,
cambiante estela a salvo de mudanza;

viejo poeta, mírala mirarte
con ojos que constelan otro cielo
donde no tiene puerto tu esperanza.

Julio Cortázar : Final (in Salvo el crepúsculo, Crépuscule d’automne, 1984)

Ainsi, lorsque la vie arrêtée en chemin
s’en retourne légère, à peine passagère
fugace d’un souffle, d’un nuage, d’un verre
irisant au soleil la courbe de son rien,

ainsi, mélancolie du tout petit matin
ombre de quelque oiseau traversant la verrière
moins qu’une image ou que ce qui demeure, erre
du baiser sur la bouche au souvenir éteint,

je te regarde, à l’origine de l’absence,
mandorle du jeu d’eau parmi lequel tu joues
avec l’enfance impondérable du reflet,

et se rehausse l’être dur de ton essence
en cette solitude à quoi tu me dévoues,
ô mon amour, vain dévouement de la psyché.


 

Así, cuando la vida rezagada
retorna leve, apenas en el paso
breve de un aire, de una nube, un vaso
que irisa al sol la curva de su nada,

así, grisalla de la madrugada,
sombra del ave por el cielorraso,
menos que imagen o recuerdo, paso
del beso por la boca ya olvidada,

te contemplo, naciendo de la ausencia,
halo de juego de agua donde juegas
con la infancia liviana del reflejo,

y alza otra vez su duro ser tu esencia
sobre esta soledad donde me entregas,
oh amor, la vana entrega del espejo.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Julio Cortázar : À une femme / A una mujer (in Salvo el crepúsculo, 1984)

Pas de larmes si les plantes poussent sur ton balcon, pas de tristesse
si de nouveau la course blonde des nuages t’est donnée pour preuve de l’immobilité,
de cette permanence parmi tout ce qui fuit. Car le nuage sera ici, constant dans son inconstance, quand toi, quand moi – mais à quoi bon nommer la poussière et la cendre.

Oui, nous nous abusions, croyant que passer dans le jour
relevait de l’éphémère, l’eau qui glisse sur les feuilles jusqu’à se perdre dans le sol.
N’a de durée que l’éphémère, cette plante idiote que ne connaît pas la tortue,
cette tortue qui lambine et tâtonne dans l’éternité, l’œil creux,
et le son sans la musique, la parole sans le chant, l’étreinte sans le cri d’agonie,
les silos à maïs, les montagnes aveugles.
Nous autres, assujettis à une conscience – le temps –,
nous ne nous soustrayons pas à la terreur et au plaisir
et leurs bourreaux non sans délicatesse nous arrachent les paupières pour nous montrer interminablement la façon dont poussent les plantes du balcon,
dont courent les nuages vers l’avenir.

Le sens de tout cela ? Rien, une tasse de thé.
Pas de drame dans le murmure, et tu es la silhouette en papier que les ciseaux vont tirant de l’informe : ô qu’il est vain de croire
que l’on naît ou que l’on meurt
quand il n’est de réel que le creux demeurant sur le papier,
le golem qui nous suit en sanglots dans les rêves et dans l’oubli.

***

Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.
Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

***

No hay que llorar porque las plantas crecen en tu balcón, no hay que estar triste
si una vez más la rubia carrera de las nubes te reitera lo inmóvil,
ese permanecer en tanta fuga. Porque la nube estará ahí, constante en su inconstancia cuando tú, cuando yo – pero por qué nombrar el polvo y la ceniza.

Sí, nos equivocábamos creyendo que el paso por el día
era lo efímero, el agua que resbala por las hojas hasta hundirse en la tierra.

Sólo dura la efímero, esa estúpida planta que ignora la tortuga,
esa blanda tortuga que tantea en la eternidad con ojos huecos,
y el sonido sin música, la palabra sin canto, la cópula sin grito de agonía,
las torres del maíz, los ciegos montes.
Nosotros, maniatados a una conciencia que es el tiempo, no nos movemos del terror y la delicia,
y sus verdugos delicadamente nos arrancan los párpados para dejarnos ver sin tregua cómo crecen las plantas del balcón, cómo corren las nubes al futuro.

¿Qué quiere decir esto? Nada, una taza de té.
No hay drama en el murmullo, y tú eres la silueta de papel que las tijeras van salvando de lo informe:
oh vanidad de créer
que se nace o se muere, cuando lo único real es el hueco que queda en el papel,
el golem que nos sigue sollozando en sueños y en olvido.

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