Giulio Roscio (1550-1591) : Reflets sur l’eau d’une fontaine

Qui est Giulio Roscio ?

Ici repose au sûr, près de chutes chantantes,
La nymphe de ces lieux sous de souples rameaux.
Un roc saille, luisant, des cristallines eaux,
La vasque resplendit de nuances changeantes.

La source s’enrichit grandement du riant,
Charmant reflet que fait sur l’onde la déesse.
Un berger ébahi les contemple en détresse,
Oubliant d’apaiser sa soif dans le courant :

Tant ce cave reflet l’émeut, tant le fascine
Taillée en marbre dur, la figure divine.


NB1 : Je ne peux guère, sur Internet, renvoyer à une biographie de Giulio Roscio : je m’en tiendrai à ce que dit de lui Charles Nodier, qui le qualifie de « bon critique, élégant prosateur, et poète distingué ».
NB2 : Le thème de la fontaine est très fréquent en poésie néo-latine : une recherche sur ce blog en fera trouver de nombreuses occurrences. Celui du reflet ne l’est pas moins en poésie d’inspiration baroque (cf. ce qu’en dit Jean Rousset).

Hic molli indulgens tamno secura quiescit
__Nympha loci ad murmur dulce cadentis aquae.
Eminet in uitreo pellucens amne lapillus,
__Et concha e uario tincta colore micat.
Additur et fonti decus ingens : ipsa sub undis
__Pulchrior arridens reddit imago Deam.
Hic amens, stupidusque haerens miratur utramque
__Oblitus pastor fonte leuare sitim.
Tantum forma mouet uana sub imagine; tantum
__Excisa in duro marmore Diua potest.

(in Lusus pastorales)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Andrew Marvell (1624-1678) : La rosée / Ros


Vois à l’aube tomber la perle de rosée
‒ Venant d’un sein de rose elle humecte les roses ‒
Et les fleurs se dresser, troublées, cherchant à plaire,
Lutter pour l’attirer chacune en ses pétales.
‒ Mais elle, envisageant la voûte paternelle,
Méprise le seuil peint de ces nouveaux asiles,
Et recluse dans l’orbe éclatant de sa forme,
Mime autant qu’elle peut l’eau de l’orbe éthéré.
Sa noblesse fait fi de la pourpre odorante,
À son souple trajet pèse peu son pas chaste.
Mais en de longs regards fixant le ciel lointain,
Son éclat se consume, elle pend, amoureuse,
S’afflige, et de douleur muée en douleur pure,
S’affaiblit tel un pleur mouillant des joues de rose.
Tremblant de peur devant son nid qui branle, inquiète,
Elle s’enfuit, quand l’air se meut sous le zéphyr :
Comme s’épeure aussi l’innocente fillette
Rentrant de nuit chez soi sans être accompagnée,
Ainsi le vent hérisse en l’agitant la goutte
Qui craint pour sa pudeur de tout son être vierge,
Tant qu’un rayon clément n’évapore sa course
Et qu’à soi le soleil, son père, ne l’attraie.

Telle est, pût-on l’y voir, parmi l’humaine fleur,
L’âme en son long séjour où elle est exilée,
Qui, pensant aux festins du ciel originel,
Écarte les hanaps et la pourpre des couches.
Goutte de la sainte Onde, éclat du Feu pérenne,
Que ne charme habit rouge ou parfum de Saba,
Mais qui, recluse au sein de sa propre lumière,
Converge, sinueuse, en des cercles infimes
Et suivant en esprit la courbe des grands dieux,
Fait un globe étoilé de son orbe restreint.
Close sur son emprunt de la forme opposite,
Dressant ses flancs partout, elle se ferme au monde,
Mais en son rond miroir boit les rayons, parée,
Et s’ouvre en sa splendeur au jour qui l’enveloppe.
L’œil aux dieux : rutilante, obscure, l’œil au sol,
En son mépris du reste et son amour du ciel,
D’un bond ‒ voulant partir d’ici rapidement ‒
Pleinement libérée, en route pour les cieux,
Tendant sa course en l’air, tout entière sphérique,
Elle pointe tout droit, traçant un chemin prompt.
La manne ainsi, couvrant les tables bienheureuses,
Joncha le sol désert, étincelle glacée :
Glacée au sol, mais le Soleil, bon, l’absorbant,
Aux astres d’où tombée, elle revint plus pure.


Cernis ut Eio descendat Gemmula Roris,
__Inque Rosas roseo transfluat orta sinu.
Sollicita Flores stant ambitione supini,
__Et certant foliis pellicuisse suis.
Illa tamen patriae lustrans fastigia Sphaerae,
__Negligit hospitii limina picta novi.
Inque sui nitido conclusa voluminis orbe,
__Exprimit aetherei qua licet Orbis aquas.
En ut odoratum spernat generosior Ostrum,
__Vixque premat casto mollia strata pede.
Suspicit at longis distantem obtutibus Axem,
__Inde & languenti lumine pendet amans,
Tristis, & in liquidum mutata dolore dolorem,
__Marcet, uti roseis Lachryma fusa Genis.
Ut pavet, & motum tremit irrequieta Cubile,
__Et quoties Zephyro fluctuat Aura, fugit .
Qualis inexpertam subeat formido Puellam,
__Sicubi nocte redit incomitata domum.
Sic & in horridulas agitatur Gutta procellas,
__Dum prae virgineo cuncta pudore timet.
Donec oberrantem Radio clemente vaporet,
__Inque jubar reducem Sol genitale trahat.

Talis, in humano si possit flore videri,
__Exul ubi longas Mens agit usque moras;
Haec quoque natalis meditans convivia Coeli,
__Evertit Calices, purpureosque Thoros.
Fontis stilla sacri, Lucis scintilla perennis,
__Non capitur Tyria veste, vapore Sabae.
Tota sed in proprii secedens luminis Arcem,
__Colligit in Gyros se sinuosa breves.
Magnorumque sequens animo convexa Deorum,
__Sydereum parvo fingit in Orbe Globum.
Quam bene in adversae modulum contracta figurae
__Oppositum Mundo claudit ubique latus.
Sed bibit in speculum radios ornata rotundum;
__Et circumfuso splendet aperta Die.
Qua Superos spectat rutilans, obscurior infra;
__Caetera dedignans, ardet amore Poli.
Subsilit, hinc agili Poscens discedere motu,
__Undique coelesti cincta soluta Viae.
Totaque in aereos extenditur orbita cursus;
__Hinc punctim carpens, mobile stringit iter.
Haud aliter Mensis exundans Manna beatis
__Deserto jacuit Stilla gelata Solo:
Stilla gelata Solo, sed Solibus hausta benignis,
__Ad sua qua cecidit purior Astra redit.

(in Works of Andrew Marvell in two volumes, London, 1772, p. 163 et sq.)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Ignjat Đurđević [dit aussi Ignazio Giorgi] (1675-1737) : Fontaine prenant sa source dans un tombeau

tombeau fontaine

Tombe romaine devenue fontaine


De ce vers quoi tout court, toi tu nais : il n’est d’eau
Qu’avec plus de justesse on n’appelle éternelle.
Dans la mort tu prends vie et lies tombe à berceau
Sans redouter la mort – envers toi maternelle.

Froide – car au travers de corps froids tu jaillis –
Et pure – le trépas purgeant toute substance –,
Procyon ni l’été naissant ne te tarit
– Le ciel bien plutôt craint l’endroit de ta naissance.

Plonge en cette eau ton front bouffi d’orgueil, passant :
Ton front s’y empreindra de cette antinomie :
« Je meurs de vivre et vis de mort ». Tu vis autant
Pour ne pas vivre et meurs pour aller à la vie¹.

¹: Ces vers sont à comprendre au sens de la doctrine chrétienne voulant que la vie sur terre ne soit pas la vraie vie, cette dernière ne pouvant être pleinement vécue qu’après la mort.

Omnia quo properant, tu nasceris inde, nec ulla
__Iustius hoc nomen lympha perennis habet.
Viva e morte venis, finem coniungis et ortum,
__Nec mortem metuis, quae tibi facta parens.

Et gelida, haud mirum, gelidos si transilis artus,
__Pura es, nam sordes tergere fata solent.
Non Procyon, non te validi Canis hauriet ortus,
__Formidant ortus nam magis astra tuos.

Quisquis ades, tali tumidum caput ablue lympha,
__Dogmata nam capiti suggeret ista tuo:
Dat mihi vita necem, mors vitam; te quoque certum est
__Vivere, ne vivas, ne moriare, mori.

(in Poetici lusus varii [1700] épigramme 82)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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