Richard Crashaw (1613 [?] – 1649) : Une épitaphe / Epitaphium

Toi qui goûtant, paisible, à l’âge de nectar,
Et, reflet de l’espoir doré de la jeunesse,
Ignores que s’en vont les purpurins soleils,
Ignores les carcans, la nuit ferrugineuse
Des geôles des Enfers et leur terrible maître,
Et regardes de loin la tremblante vieillesse :

Apprends ici les pleurs, ici faisant ta halte.
Ici, oui, sache-le, ici, dans ce réduit,
Des espoirs par milliers et par milliers des joies
Se vêtirent de longue, hélas !, trop longue nuit,
La torchère enflammée de l’ardente jeunesse
Fut noyée sous les eaux des infernaux paluds.

– Tu peux te refuser aux pleurs de la douleur :
Ici tu subiras les pleurs de l’épouvante.

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Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Quisquis nectareo serenus aevo
Et spe lucidus aurea juventae
Nescis purpureos abire soles,
Nescis vincula, ferreamque noctem
Imi carceris, horridumque Ditem,
Et spectas tremulam procul senectam,
Hinc disces lacrimas, et hinc repones.
Hic, o scilicet hic brevi sub antro
Spes et gaudia mille, mille longam
(Heu longam nimis) induere noctem.
Flammantem nitidae facem juventae,
Submersit Stygiae paludis unda.
Ergo si lacrimas neges doloris
Huc certe lacrimas feres timoris.

(in The Delights of the Muses [1646])

Richard Crashaw (1613 [?] – 1649) : Élégie / Elegia

Coulez, mes pleurs, coulez : j’y consens. Mais laissez,
De grâce, libre cours à ma parole en peine.
Puissé-je insuffler mots à mes douleurs plaintives,
Et à tout le moins dire : « Ah, mon amour n’est plus » !

– Ils refusent, mes pleurs, ils refusent, rebelles,
Et vont précipitant leur course irréfrénée.
Tu veux donc, mon aimé, qu’on te parle en silence,
Et que l’amour, muet, pleure à sanglots sans fin ?

Il pleurera : toujours embue, l’urne boira
Ses larmes, recelant des eaux toujours fidèles.
– Vous autres, cependant : ne criez pas miracle,
Si les pleurs, les vrais pleurs, ne savent pas parler.

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Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Ite maea lacrimae (nec enim moror) ite. Sed oro
Tantum ne miserae claudite vocis iter.
O liceat querulos verbis animare dolores,
Et saltem ah periit dicere noster amor.
Ecce negant tamen, ecce negant, lacrimaeque rebelles
Indomita pergunt, praecipitantque via.
Visne (ô care) igitur Te nostra silentia dicant ?
Vis fleat assiduo murmure mutus amor ?
Flebit, et urna suos semper bibet humida rores,
Et fidas semper, semper habebit aquas.
Interea, quicumque estis ne credite mirum
Si verae lacrimae non didicere loqui.

(in The Delights of the Muses [1646])

François Pétrarque (1304 – 1374) : A quelle condition devenir un oiseau ?

Il en va d’un dialogue fictif entre Saint-Louis, demeuré en Avignon, et Pétrarque, de retour en Italie.

– Si ta sublime Laure aujourd’hui se couvrait
De blanc duvet – planant, bel oiseau, sur la mer –,
N’aurais-tu pas désir d’adopter sa tournure,
Demeurant qui tu es dans ta métamorphose ?
Conçois-tu le bonheur de suivre ses envols,
Vaguant puis ci, puis là, sur la vague, avec elle,
Flanquant ta bien aimée, qu’elle vole ou se pose,
Partageant à jamais, tous deux, pareille vie ?

– J’aimerais, je l’avoue ; mais voudrais que se joigne
À nous mon cher ami, avec sa chère amie :
Plus doux serait de vivre à quatre cette vie
D’oiseaux, rien ne donnant plus prise à nulle peine.

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Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. 
Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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– Candida si niveis se nunc tua Laurea pennis
induat et pelago pulcra feratur avis,
nonne voles simili te transformasse figura,
mente manente quidem, sed variante coma?
Nonne libens quocumque gradum feret illa sequeris,
hac illac secum per freta cuncta vagus,
dilectaeque comes nanti simul atque volanti,
ut similis semper vita duobus eat?

– Sic fateor, sed plura petam: mihi dulcis amicus
haeret et lateri dulcis amica suo.
Gratior haec avibus contingat vita quaternis,
nil animos usquam quod nimis angat erit.

(in Carmina)

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