Rainer Maria Rilke (1875-1926) : Les anciens dieux / die großen niemals werbenden Götter


Notre vieille amitié pour les dieux sans requête
devons-nous la bannir, au motif que l’acier
dur que stricts nous dressons, ne les a point en tête,
ou sur la carte improviser de la chercher ?

Eux qui prennent nos morts, ces amis tout puissants
ne viennent nulle part mouvoir nos engrenages.
Nos banquets et nos bains désertent leurs parages,
nous devançons toujours, jugés depuis longtemps

trop lents, leurs messagers. Nous nous voyons dépendre
en tout d’autrui, plus seuls, sans rien savoir d’autrui,
nous n’allons plus sur des sentiers à beaux méandres, 

mais droits. Les feux anciens n’activent aujourd’hui
que, de plus en plus gros, des marteaux à vapeur.
Mais nous, nous faiblissons, pareils à des nageurs.


Sollen wir unsere uralte Freundschaft, die großen
niemals werbenden Götter, weil sie der harte
Stahl, den wir streng erzogen, nicht kennt, verstoßen
oder sie plötzlich suchen auf einer Karte?

Diese gewaltigen Freunde, die uns die Toten
nehmen, rühren nirgends an unsere Räder.
Unsere Gastmähler haben wir weit –, unsere Bäder,
fortgerückt, und ihre uns lang schon zu langsamen Boten

überholen wir immer. Einsamer nun auf einander
ganz angewiesen, ohne einander zu kennen,
führen wir nicht mehr die Pfade als schöne Mäander,

sondern als Grade. Nur noch in Dampfkesseln brennen
die einstigen Feuer und heben die Hämmer, die immer
größern. Wir aber nehmen an Kraft ab, wie Schwimmer.

(in Die Sonette an Orpheus [I, 24] 1923)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Rainer Maria Rilke (1875-1926) : Éloge de la lenteur


Nous allons de l’avant.
Mais le temps qui s’empresse
qu’il vous soit petitesse
dans le toujours constant.

Ce qui fait diligence
s’en va bientôt passer ;
seule la permanence
peut nous initier.

Ne mets ton cœur, garçon,
dans la rapidité ;
en vol, que veux-tu vivre¹ ?

Tout est suspension :
le sombre et la clarté,
la fleur comme le livre.

¹ : L’allemand dit : « dans les tentatives de vol » ; je traduis un peu différemment pour amener la rime.
NB : On trouve ici deux autres traductions du même sonnet, 
dû l'une à Charles Dobzynski, l'autre à Armel Guerne.

Wir sind die Treibenden.
Aber den Schritt der Zeit,
nehmt ihn als Kleinigkeit
im immer Bleibenden.

Alles das Eilende
wird schon vorüber sein;
denn das Verweilende
erst weiht uns ein.

Knaben, o werft den Mut
nicht in die Schnelligkeit,
nicht in den Flugversuch.

Alles ist ausgeruht:
Dunkel und Helligkeit,
Blume und Buch.

(in Die Sonette an Orpheus [I, 22] 1923)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

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