
Amour et Psyché (W.-A. Bouguereau, 1890)
Je fus tout jeune encore, et n’ayant jamais craint
Ni rien senti de tel, victime du cruel
Amour : par une fille – oh si belle et plus fraîche
Que fruit sous la rosée ! –, par ses noires prunelles
Charmé : d’elle, amoureux, hélas ! à en mourir.
J’aimais être charmé, les chaînes m’étaient douces
Plus que la liberté. Mêmes regards avides :
Elle et moi, nous buvions d’une ardeur appelée
À longuement brûler au fond de nos entrailles.
Nos maisons se touchaient. Rien ne nous empêchant,
Nos cœurs, d’un même cœur, en dehors de chez nous,
Vagabondaient – savoir qui de l’un, qui de l’autre,
Brûlait plus ardemment… Silence sans relâche,
Prudence des regards, et cette flamme aussi
Enclose dans nos cœurs, plus grande que notre âge
N’en pouvait contenir… Que dirais-je de plus ?
Nos yeux plaidaient leur cause, et de chaque côté
L’amour vainqueur touchait sa récompense insigne…
Cela dura six mois, brûlant d’un même feu…
Je dus contre mon gré partir – Non, je dis faux,
Partit mon enveloppe, et demeura mon âme :
Quel baume au fil du temps, quels lieux peuvent guérir
La blessure chérie d’une âme déchirée ?
Il n’est point de remède à cette maladie,
L’Amour ne guérit point. Passèrent trois étés :
Venue en âge d’homme, un fort beau mariage
Lui permit de rejoindre une illustre famille.
Je fus de cendre et glace ensemble, et je ne sais
Comment je ne mourus d’un bloc. – La malheureuse,
Qui ne m’oubliait pas, périt de plaies de l’âme
Et de graves tourments, de douleurs sans espoir,
La torche d’hyménée la mena au bûcher…
Quel dieu n’ai-je blâmé, quel homme ? – Je n’avais,
Malheureux, plus ma tête ; oh, qu’ai-je donc pleuré,
Qu’ai-je poussé de cris ! Sur son sépulcre, alors,
J’ai déposé plaisirs, gâteries, badinage,
Déposé tout espoir, et déclaré la guerre
Aux amours : j’ai depuis, dans mon cœur insensible,
Pour toujours un silex, un cœur de diamant.
Vénus pourrait sur moi se ruer tout entière,
Ou, voulant de nouveau concourir pour la pomme,
Me prier d’en juger le trio de déesses,
Rien ne réchaufferait l’hiver de mon cœur froid.
Pourquoi sur le tombeau d’Achille mis à mort
Pyrrhus immola-t-il la fille de Priam ?
Injuste cruauté ! J’ai fait mourir d’amour
Las ! une malheureuse : ah, ne devais-je pas
Tuer en moi l’amour ? – Jamais il n’est tombé
Aucune plus funeste et plus pure victime.
Et me saevus Amor tunc puerum et nihil
Tale unquam veritum, vulnera nec prius
Expertum feriit. Roscido acerbior
Pomo et pulchra nimis Virgo nigerrimis,
Heu me perdite amans, cepit ocelluli.
Gaudebamque capi, vinclaque erant mihi
Libertate magis dulcia. Sic ego
Sic illa aeque avidis luminibus diu
Arsuram penitis visceribus facem
Potabamus. Erant contiguae domus.
Hinc nullo unanimes obice identidem
Nativis animae sedibus exules
Errabant ; dubiumque alter an altera
Arderet gravius. Juge silentium,
Cautique intuitus, flammaque pectore
Plusquam aetas caperet clausa. Quid amplis ?
Egerunt oculi causam, et utrimque amor
Insignem retulit victor adoream.
Semiannus parili nos face torruit ;
Mox non sponte abii. Mentior heu ! mei
Pars externa abiit, restitit intima.
Nam quae balsama vel temporibus, aut loci
Sanent cara animae vulnera sauciae ?
Nulla est arte lues haec medicabilis ;
Non sanatur Amor. Tertius arserat
Jam caelo Procyon, cum viro idoneam
Illustri egregius junxit Hymen thoro.
Arsi una et rigui, nec scio cur ego
Non totius perii. Sed miseram mei
Non sane immemorem plaga animi et gravis
Cura, exspesque dolor Manibus intulit,
Extremique comes taeda fuit rogi.
Quem Divum, atque hominum mentis inops miser
Non culpavi ego tunc ? Quas lacrimas dedi !
Quas voces ! tumulum tunc ego ad illius
Omnes delicias et genium et jocos,
Spemque omnem posui, bellaque amoribus
Indixi, rigido stat mihi perpetim
Exin corde silex, corque adamantinum,
In me tota ruat nec si etiam Venus,
Nec pomum tripices rursus ob aureum
Si certare velint, judice me, Deae.
Bruma unquam tepeat pectoris algidi.
Occisi ad tumulum Pyrrhus Achillei
Mactavit sobolem qui Priameiam ?
Poena injusta et atrox. At si ego perdidi
Affectu miseram, nonne meos modo
Affectus jugulem ? Nulla nocentior,
Nulla unquam cecidit purior hostia.
(in Opere di Vicenzio (sic) da Filicaja Senatore Ferentino [1817] tomo secondo, pp. 29-30)
Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.
Quelle traduction !! Ce poème magique raconte drôlement mon Histoire, une histoire que j’avais cessé de dire il y a 15 ans … Ma considération haute à « l’auteur » et au « traducteur » ….
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