Le miroir, tant qu’il est intact, renvoie un reflet unique à qui, seul, s’y regarde. Que le verre se brise : autant de brisures, autant de reflets. De même, dans les Saintes Écritures : autant d’expositions, autant de reflets d’intelligences. Mais, chose admirable : retirons le tain sous-tendant le verre : il n’est plus de reflet pour qui s’y regarde. Retirons de même l’arrière-plan de la foi, on ne se voit plus clairement dans les Saintes Écritures. Par tain, on peut entendre péché. Ainsi, dans le miroir des Saintes Écritures, se voit-on moins nettement, si on ne s’avoue pécheur – qui dit ne pas avoir péché s’égare, il n’est plus en lui-même de vérité.
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Si on se regarde dans un miroir concave, on se voit à l’envers ; dans un miroir plat, convexe, on se voit à l’endroit. Quelle explication à ce phénomène ?
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La pupille, de fort peu de matière, est elle aussi miroir, on s’y voit quand on y regarde. Chez l’homme, trois jours avant la mort, la pupille, de claire, devient opaque, et ces trois jours durant, qu’on y regarde on ne s’y voit plus.
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D’évidence, le reflet renvoyé par le miroir est à l’accord de celui qu’il reflète. Au rieur, il rit ; si on pleure quand on s’y regarde, le reflet pleure aussi. L’âme est ainsi le miroir de son Créateur, elle doit compatir à la passion du Christ, et se réjouir avec Lui de Sa résurrection et de Sa joie. Il nous faut, suivant les divers moments, assumer divers visages, sans jamais nous départir du visage de qui fait route vers Jérusalem.
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Homme ! que, prospère et flatteuse, la fortune te sourie, que t’applaudisse la faveur populaire : souviens-toi de ta fragilité. Si tu es beau, bien fait, garde-toi d’être, comme Narcisse, le jouet de ta propre beauté. Crois-m’en, ton corps ne va pas, comme celui de Narcisse, devenir fleur ‒ mais cendre. Si tu veux observer le miroir exact de ta condition : observe le crâne d’un mort décomposé, retourné en poussière. À l’infirmerie, scrute le visage de ton frère qui s’apprête à mourir, et imagine tes derniers instants. Que ton frère qui se meurt soit ton miroir – où tu te reconnaisses.
Dum integrum est speculum, unica uno solo inspiciente resultat imago ; frangatur in plures vitrum, quot sunt ibi fractiones, tot resultabunt imagines. Sic et in Sacra Scriptura, quot sunt expositiones, totidem relucent intelligentiae. Sed, mira res ! substrahe plumbum suppositum vitro, jam nulla resultabit imago inspicientis. Subtrahe et fundamentum fidei, jam teipsum in Sacra Scriptura non videbis dilucide. Potest et per plumbum intelligi peccatum. In speculo igitur Sacrae Scripturae minus limpide teipsum cernes, nisi te esse peccatorem fatearis. Si enim dixerimus quia pecatum non habemus, nos ipsos seducimus, et veritas in nobis non est.
In speculo concavo videtur inspicientis imago eversa, in plano et convexo recta. Quis rationem super hoc sufficientem assignabit ?
Pupilla etiam quae pusilla est substantia speculum est, in quo imago hominis inspicientis relucet. Triduo autem ante obitum hominis adeo jam obtenebratur claritas pupillae, ut in ea per tres dies imago inspicientis non resultet.Conformare se videtur imago resultans in speculo ei cujus est imago. Ridenti arridet, et dum flet inspiciens flere videtur imago. Anima igitur speculum est sui conditoris, et Christo patienti compati debet, resurgenti et gaudenti congaudere. Secundum diversitatem igitur temporum diversae facies sunt assumendae, dummodo semper habeamus faciem euntium in Hierusalem.
Arridet tibi, o homo, blandientis fortunae prosperitas, applaudet tibi favor popularis, fragilitatis tuae memor sis. Venustate elegantis formae praeditus es, vide ne cum Narcisso propria forma deludaris. Crede mihi, non mutabitur corpus tuum cum Narcisso in florem, sed in cinerem. Vis igitur expressum conditionis tuae speculum intueri, intuere testam capitis hominis jam putrefacti et in pulverem redacti. Vultum fratris tui in infirmaria in fata cedentis diligenter inspice, et memorare novissima tua. Frater moriens sit speculum tuum, in hoc teipsum agnoscas.
(in De naturis rerum libri II ,Livre II, chapitre 154 )
Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.
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