Nicolò D’Arco (1479-1546) : Trois épigrammes bachiques

Épigramme votive 1 :

Burmatus, vigneron, t’offre, Bacchus, ces grappes,
Et de ce vin nouveau qu’il verse en tes patères,
Et prie que le raisin foulé dans son pressoir
Lui embrouille la langue et lui rompe les jambes.

Épigramme votive 2 :

Ces raisins frais tranchés du sarment, Sylvius
Te les offre, Bacchus, en l’automne pampré,
Priant qu’à pleine cuve écume sa vendange
Et qu’à pleine futaille il lui coule du vin.
Embrochez, paysans, sur du coudre ce bouc
Et louangez Bacchus dans le respect du rite :
Que du divin nectar il emplisse nos caves,
Et que de ses bienfaits soient pleines toutes choses.

La vendange de baisers :

Pourquoi, garçons, vous plaisez-vous,
À enivrer les jolies filles ?
Que peut, de plaisir, volupté,
En retirer la fille tendre ?
Des baisers, trois coups de languette !
Par le cou se tenir l’un l’autre !
Caresser leurs tétinets beaux !
Imiter les pigeons de Chypre,
Plus lascifs que moineaux d’avril !
S’étreindre, s’échauffer l’un l’autre
– La forte étreinte pour modèle
Dont l’arbre est ceinturé de lierre !
Car c’est la loi des fêtes ivres
Que soit plus dense que tous pampres
Cette vendange de baisers.


Vinitor hos tibi Bumastus dat, Bacche, racemos
Et libans pateris dat nova musta tuis
Et rogat ut calcata suo vindemia praelo
Illius linguam vinciat atque pedes.

Has modo decerptas ex palmite Sylvius uvas
Pampineo autumno dat tibi, Bacche pater,
Et rogat ut pleno spumet vindemia lynthre
Atque illi musto dolia plena fluant.
Agricolae, hunc hircum verubus torrete colurnis
Et Baccho laudes dicite rite suas,
Impleat ut nostras divino nectare cellas
Et sint plena suis omnia muneribus.

Quid vos tinguere Bacchico liquore
Formosas, iuvenes, iuvat puellas?
Quae solatia deinde, quae voluptas
Aut hinc quid tenerae ferunt puellae?
Ite in basia lingulis trisulcis,
Per colla utraque mutuis lacertis;
Pertractate papillulas venustas;
Cyprias imitamini columbas
Vernis passeribus salatiores.
Amplexus date, mutuo fovete
Amplexumque hederam simul tenacem
Quae circumligat arbores referte:
Nam lex hoc madidi iubet Lyaei,
Ut sit densior omnibus racemis
Haec vindemia basiationum.

(in Nicolai Archii Comitis Numerorum libri IV [1762])


Ces traductions originales, dues à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Marcantonio Flaminio (1498-1550) : la santé par le vin.

Nature morte avec quatre cruches (Van Gogh, 1884)

Nature morte avec quatre cruches (Van Gogh, 1884)


O vin léger, ambré, vin doux
Comme le nectar ! Vin des dieux,
Secours de ma fuyante vie !
Tu primes la liqueur d’Ausone*
Et tous remèdes salvateurs
Du découvreur des médecines.
J’avais, gisant, mal au côté ;
À demi mort ; fièvre brûlante
– Feu de fournaise –, et vers le dur
Seuil du trépas m’acheminais,
Quand, fluant en mon corps languide,
Tu soulages mon mal, liqueur
Céleste, et me rends la vie ! Docte
Damian**, ton vin et ta vigne,
Maman de mon ambré mignon,
J’en dirai de bien jolies choses
Tant que j’aurai de vie ; priant
Assidûment tous les ans Dieu
Que vent ni pluie ni sécheresse,
Grêle ou voleur hardi, ne lèse
La maman de l’ambré mignon.

*: Le vin chanté par le poète Ausone, né à Bordeaux ;
**: Damianus Damianius était un « docte » médecin sicilien.

О Vinum tenue, aureum, suave,
Instar nectaris ! o merum Deorum,
Vitae praesidium meae fugacis !
Cedant Paeonii tibi liquores,
Et quicquid remedii salubrioris
Ostendit medicae repertor artis.
Jacebant lateris dolore membra
Semimortua ; febris aestuabat
Ut fornacibus ignis, ipse plantas
Leti limina dura transferebam,
Cum tu languidulos fluens in artus,
Caelestis liquor, et levas dolorem,
Et vitam mihi reddis. Ergo, docte
Damiane, tuum merum, tuamque
Vineam aureoli mei parentem
Dulci carmine concinam, recepta
Vita dum superat mihi ; et rogabo
Votis assiduis Deum quotannis,
Ne venti, pluviaeve, siccitasve
Aut vis grandinis, improbive fures
Laedant aureoli mei parentem.

(in Marci Antonii, Joannis Antonii et Gabrielis Flaminiorum Carmina [1743] liber sextus, carmen LIX, p. 195)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Alexandre Neckam (1157-1217) : Éloge de Bacchus

triomphe de Bacchus

Le Triomphe de Bacchus (Ciro Ferri, XVIIe s.)


Je te reviens Bacchus, et te loue volontiers,
Sans appréhension prodiguant ta louange.
Heureuse Thèbes, crois-je – elle t’a mis au monde !
Tu primeras toujours sur Hercule ton frère.
Je place Sémélé avant Alcmène, qui
Voulut être ta mère – et Jupiter ton père.
Tu sus instruire l’Inde à cultiver la vigne ;
Thèbes sous ta conduite a été protégée.
Les rois t’ont fui, vainqueur de l’Inde, en temps de guerre,
Te venant librement lorsque règne la paix.

Bacchus, repos heureux des hommes, joie, plaisir,
Secours incontestable et salut savoureux,
Doux réconfort des dieux, délectable puissance,
Bacchus, père de joie et fleuron de la table,
Tu égaies plaisamment de plaisante chaleur
Les corps froids, plaisamment réchauffant tous leurs membres.
Bonne est Cérès, flanquée du joyeux Lyaeus !
Mais c’est lui le plus grand : dieu il est, déesse elle.

Veille à l’intégrité, pampre, des généreux
Fruits ; le Génie te loue pour ta besogne utile.
Car l’ample écu réchauffe et protège les grappes,
En contenant, Eurus, tes contournants assauts.
L’effeuillage ouvre au chaud, à la rosée, les grappes
Qu’il mûrit – Bacchus œuvre ainsi à nos délices.
L’eau dilate, le chaud monte et gagne le haut :
Tout ainsi croît, qu’enjoint la puissante Nature.
Ainsi le cep étend ses rameaux – et l’amour
Inné les entrelace en accord de tendresse.
Le sarment fait son fier sous son faix de bourgeons
Précieux, pour la joie du digne corps des dieux.
Les dieux exultent quand Bacchus vient enrichir
Leur table ; de ses dons, les déités s’enchantent.
La céleste assemblée bruit de joyeux échos
Quand, abondant, le vin de joie récrée les dieux. […]


Rursus, Bacche, tuas laudes describo libenter
Nec uereor laudis prodigus esse tuae.
Censeo felices Thebas, quae te genuere;
Fratre tuo semper Hercule maior eris.
Alchmene Semelen prepono. Quid? Tua mater
Atque tuus uoluit Iupiter esse pater.
Vt colerent uites, Indos prudens docuisti;
Vrbs quoque Thebarum te duce tuta fuit.
Indorum domitor, reges in Marte fugasti;
Allicis ingenue tempore pacis eos.

Bacche, quies hominum gratissima, laeta uoluptas,
Certum solamen, deliciosa salus,
Blandum lenimen superum, iucunda potestas,
Bacche, decus mensae, laetitiaeque pater,
Artus infrigidas placide, placidoque calore
Laetificas ; placide singula membra foues.
Grata Ceres laeto si sit sociata Lyaeo;
Maior hic est cum sit hic deus, illa dea.

Pampine, uulneribus confers custos generosi
Fructus; te genius utile laudat opus.
Ampla quidem facies uuas fouet atque tuetur.
Expicit insidias ambitus, Eure, tuas.
Parte fenestrata calor intrans decoquit uuas
Aut ros, quo Bacchi deliciantur opes.
Humor dilatat, surgit calor alta petendo;
Sic Natura potens crescere cuncta iubet.
Sic propago suos ramos extendit amorque
Innatus blando federe nectit eos.
Palmes honoratur oneratus tam precioso
Germine, quo superum gaudet honesta cohors.
Exultant superi, cum Bacchus ditat eorum
Mensas; numina sunt munere laeta suo.
Curia celestis laeto clamore resultat,
Cum superos recreat copia laeta meri. […]

(in Alexandri Neckam, Svppletio Defectvvm. Carmina Minora, cura et studio Peter Hochgürtel, Turnhout, Brepols, 2008, pp. 197 et sq.)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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Alexandre Neckam (1157-1217) : Éloge de la vigne et du vin

vendanges médiévales 4

Automne (Tacuinum Sanitatis, fin du XIVe siècle.)


Voici Bacchus le montagnard mène-Dryades,
Aux tempes couronnées de sarments et de pampres.
Mère de toute joie, la fière et noble vigne
Prime sur toute plante, ainsi que sur tout arbre.
Elle donne le vin : délicieux présent
De la nature, il plaît au ciel comme sur terre.
Pampre, sarment, tendron, les grappes, le verjus,
Présentent quantité de bienfaits naturels.
La vigne donne vie, car le vin, c’est la vie ;
Donnant, gardant santé : liqueur délicieuse !
Le vin, s’il est présent, rehausse un gai festin,
On apprécie d’abord sa couleur, puis son goût.


En Bacchus, coetus Dryadum dux, collis amator,
Palmite pampineo tempora cinctus adest.
Matris laetitiae, generosae gloria vitis,
Herbis praecellit arboribusque simul.
Haec generat vinum, naturae deliciosum
Munus, quod superis terrigenisque placet.
Pampinus et palmes, et turio, botrus, agresta,
Innatae multum commoditatis habent.
Vitis dat vitam, quia vinum vita ; salutem
Et das et servas, deliciose liquor.
Laetam nobilitat mensam praesentia vini,
Quod placidum reddunt, hinc color, inde sapor.

(in De laudibus divinae sapientiae)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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