Deux scènes rustiques
1 — Que se taisent bois dense, et fontaines sourdant
Du roc et cris mêlés de la bêlante troupe !
Pan qui vague en montagne aime enfler la ciguë,
Sur le chaume assemblé portant rondes ses lèvres ;
Danses à son entour, par dryade aux pieds lestes
Et naïade ordonnées. Chut aussi, rossignol !
2 — À Pan le ruricole, et au bon Lyéus,
Et aux nymphes, le vieux Biton d’Arcadie offre :
À Pan, la jeune chèvre, avec sa grasse mère,
Folâtre ; à Bromius, la couronne de lierre,
Aux nymphes, maintes fleurs tirées d’arbres fruitiers,
Et feuilles qu’ensanglante, épanouie, la rose.
Accroissez son avoir, Pan d’un lait continu,
Toi Bacchus, de raisins, et vous d’eau, les Naïades.
Deux épigrammes bachiques
1 — Des amis de Bacchus, les satyres m’extirpent :
C’est la seule façon d’avoir un cœur de pierre.
Moi qui servais du vin, j’habite avec les Nymphes,
Et me fais maintenant majordome d’eau fraîche.
Marche d’un pas de loup, que cet enfant¹, tiré
De son calme sommeil, ne te provoque, armé.
¹ Sans doute s’agit-il de Bacchus, qu’on représente à l’occasion sous les traits d’un tout jeune garçon (comme ici, par exemple). NB (20/10/2018) : à reprendre ce texte, je pense qu’il s’agit plutôt de Cupidon, fréquemment appelé « puer » en poésie latine et traditionnellement représenté armé d’un arc, de flèches et de foudres. Le sens serait alors, dans ce qui pourrait être un dialogue de Baïf avec lui-même : Maintenant que je ne bois plus, je me dois, pour vivre heureux, d’éviter de tomber amoureux.
2 — Ô mon bon, tu t’endors, mais ces coupes t’appellent !
Debout, sans succomber à de pauvres études !
Plonge sans lésiner, Dieudonné, dans de longues
Rasades, bois du vin jusqu’aux genoux qui tremblent !
Un jour, nous cesserons de boire : vas-y donc !
Déjà la neige blanche a éclairci nos tempes.
Heic sileant densumque nemus, saxoque fluentes
___fontes, balantis mixtaque vox pecoris.
Quandoquidem Pan montivagus inflare cicutam
___gaudet junctilibus labra terens calamis ;
et teneris circum pedibus statuere choreias
___et Dryas et Nais. Vel Philomela tace.
Ruricolae Pani pariter, Patrique Lyaeo
___et nymphis Arcas dona Biton dedit haec.
Pani senex teneram pasta cum matre capellam
___ludentem ; Bromio serta retecta hederae ;
nymphis fructifera varios ex arbore flores,
___et folia expansae sanguine tincta rosae.
Pro quibus hanc augete domum, Pan lacte perenni,
___Bacche uva, nymphae flumine Naiades.
Me Bromii comitem satyrum manus exprimit arte,
___qua sola lapidi spiritus inseritur.
Cum Nymphis habito ; qui quondam vina solebam
___fundere, nunc gelidae fio minister aquae.
Sensim ferto gradum, somno ne sorte quieto
___hic puer excitus, te petat arma movens.
O bone dormiscis, verum haec tibi pocula clamant.
___Surge, neque oblectes te studio misero.
Tu ne parce, sed in largum Diodore Lyaeum
___lapsus genua tenus² lubrica, vina liques.
Tempus erit quo non potabimus. Ergo age, perge :
___jam canent alba tempora nostra nive.² triple curiosité philologique : genu (le genou) avec « e » long, alors qu’il est donné court par tous les dictionnaires ; synérèse de « ua » quand on attendrait, comme d’ordinaire, la diérèse ; enfin, tenus (jusqu’à) construit avec l’accusatif (les constructions admises sont avec le génitif et l’ablatif) : selon Forcellini, « Olim putabatur [tenus] copulari posse etiam cum Accusativo ; sed loca quae afferebantur unice debentur falsae lectioni ».
(in Carminum Jani Antonii Baiffi Liber I [1577])
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