Hermann Adler (1911-2001) Corbeaux / Raben

Qui est Hermann Adler ?

(Écrit en 1942 au ghetto de Vilnius)

Serons-nous, nous aussi, pressés d’aimantes mains
Quand nos yeux se cloront dans l’ultime sommeil ?
Le malheur trouve-t-il son terme dans la mort ?
Gagnerons-nous aussi le repos éternel ?
Enfin répandra-t-on la terre polonaise
Sur nous ? Frères – ici, nous vécûmes quand même !
Bien qu’on nous interdît pendant longtemps d’y vivre –,
Nous donnera-t-on, morts, en son giron la paix ?

Plus loin que ne portent les yeux,
Gisent des morts sans sépulture ;
Des colonies de corbeaux vieux
Font des cadavres leur pâture !
Voyez planer les colonies,
Sur le ghetto, de vieux corbeaux
Scrutant déjà nos agonies
Pour y quêter des mets nouveaux !

Paix sur terre, à quoi tant nous croyons, espérants
Et pleins de ton désir – ne viens-tu pas bientôt ?
Messagères de paix, où donc sont les colombes,
N’y a-t-il que corbeaux, que corbeaux dans les bois ?
De repos, plus jamais ne devrons-nous avoir ?
Dieu n’existe-t-il plus pour ouïr nos suppliques ?
N’y a-t-il que corbeaux, que corbeaux, que corbeaux ?
Le monde a-t-il donc tant de pestes à nourrir ?

Plus loin que ne portent les yeux,
Gisent des morts sans sépulture ;
Des colonies de corbeaux vieux
Font des cadavres leur pâture !
Voyez planer les colonies,
Sur le ghetto, de vieux corbeaux
Scrutant déjà nos agonies
Pour y quêter des mets nouveaux !


(1942 im Ghetto Wilna geschrieben)

Drücken auch uns einst liebende Hände,
Wenn wir entschlafen die Augen dann zu?
Findet das Elend im Tode ein Ende?
Kommen auch wir einst zu ewiger Ruh?
Deckt man dann endlich die polnische Erde
Über uns? Brüder – wir lebten doch hier!
Wenn man uns längst auch das Leben verwehrte -,
Gibt man uns Toten dann Frieden in ihr?

Weiter als die Blicke reichen
Liegen Tote unbegraben;
Riesenschwärme alter Raben
Nähren sich mit Fleisch von Leichen!
Seht, wie überm Ghetto heute
Schwärme alter Raben fliegen,
Denn in unsern Todeszügen
Äugen sie schon neue Beute!

Friede auf Erden, an den wir so glauben,
Hoffend und sehnsuchtsvoll – kommst du nicht bald?
Wo sind die Boten des Friedens, die Tauben,
Gibt es nur Raben, nur Raben im Wald?
Dürfen wir Ruhe denn niemals mehr haben?
Lebt nicht mehr Gott, der das Flehen erhört?
Gibt es nur Raben, nur Raben und Raben?
Hat denn die Welt so viel Aas, das sie nährt?

Weiter als die Blicke reichen
Liegen Tote unbegraben;
Riesenschwärme alter Raben
Nähren sich mit Fleisch von Leichen!
Seht, wie überm Ghetto heute
Schwärme alter Raben fliegen,
Denn in unsern Todeszügen
Äugen sie schon neue Beute!

(in Welch ein Wort in die Kälte gerufen. Die Judenverfolgung des Dritten Reiches im deutschen Gedicht. [Directeur de publication : Heinz Seydel, Berlin, 1968])


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Immanuel Weissglas (1920-1979) : IL / ER

Nous levons des tombes en l’air et occupons
Avec femme et enfant l’endroit qu’on nous impose.
Fermes, nos pelletées ; eux autres au crincrin,
On excave une tombe et on part en dansant.

IL veut que plus impudemment sur ces boyaux,
L’archet passe, sévère ainsi qu’est son visage,
Joue tout doux de la mort, c’est un maître allemand,
Qui pareil au brouillard se glisse à travers champs.

Et quand, au soir, s’enfle sanglant le crépuscule,
J’ouvre en quête de sang une bouche opiniâtre,
Creusant pour tous une demeure dans les airs,
Aussi large qu’est le cercueil, aussi bornée
Qu’est l’heure de la mort.

IL joue dans la demeure avec des serpents, tonne,
et rédige des vers. Le soir en Allemagne
Tombe, il a la couleur des cheveux de Margot.
La tombe dans les nuages n’est pas étroite,
Car le trépas vaste était un maître allemand.

***

Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. 
Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

***

Wir heben Gräber in die Luft und siedeln
Mit Weib und Kind an dem gebotnen Ort.
Wir schaufeln fleißig, und die andern fiedeln,
Man schafft ein Grab und fährt im Tanzen fort.

ER will, daß über diese Därme dreister
Der Bogen strenge wie sein Antlitz streicht:
Spielt sanft vom Tod, er ist ein deutscher Meister,
Der durch die Lande als ein Nebel schleicht.

Und wenn die Dämmrung blutig quillt am Abend,
Öffn’ ich nachzehrend1 den verbissnen Mund,
Ein Haus für alle in die Lüfte grabend:
Breit wie der Sarg, schmal wie die Todesstund.

ER spielt im Haus mit Schlangen, dräut und dichtet,
In Deutschland dämmert es wie Gretchens Haar.
Das Grab in Wolken wird nicht eng gerichtet:
Da weit der Tod ein deutscher Meister war.

[1] Le Nachzehrer est, dans les légendes allemandes, une sorte de vampire qui, sans sortir de sa tombe, se nourrit du sang d’autrui.

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