Virgile : Invitation aux plaisirs


[…] Sois sage, allonge-toi, bois du frais dans du verre
Ou le cristal, si c’est ton goût, de coupes neuves.
Repose ta fatigue à l’ombre, allons ! de pampres,
Noue à ta tête lourde une coiffe de roses,
Et cueille, joli cœur, la bouche d’un tendron…

Ah, maudit soit qui fronce un sourcil d’un autre âge !
Quoi, des fleurs parfumées pour une cendre ingrate ?
Veux-tu donc qu’une tombe en porte les couronnes ?
Pose vins, dés. Maudit qui pense aux lendemains !
La mort nous prend l’oreille et dit : « Vivez, j’arrive ».


[…] Si sapis, aestivo recubans te prolue vitro,
Seu vis crystallo ferre novos calices.
Hic, age, pampinea fessus requiesce sub umbra,
Et gravidum roseo necte caput strophio,
Formosus tenerae decerpens ora puellae.

A ! pereat cui sunt prisca supercilia !
Quid cineri ingrato servas bene olentia serta?
Anne coronato vis lapide ista legi?
Pone merum et talos. Pereat qui crastina curat !
Mors aurem vellens : « Vivite » ait, « venio ».

(extrait [vers 29-38] de Copa, La fille d’auberge)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

L’oreille qui siffle (attribué à Pétrone ; ou à Sénèque ; ou à Virgile)

parler à l'oreille


« Toute la nuit l’oreille et me babille et siffle ;
Tu dis que c’est quelqu’un ‒ qui donc ? ‒ qui pense à moi ?
― Tu veux savoir qui c’est ? Si l’oreille te siffle,
Siffle toute la nuit : c’est Délie qui te parle. »
Aucun doute : Délie me parle ‒ un faible souffle
Me parvient, qui frémit, doux, d’un léger murmure.
C’est ainsi qu’à voix basse et dans un chuchotis,
Délie rompt le silence intime de la nuit,
Ainsi qu’en accolant du tendre de ses bras
Elle coule ses mots dans l’oreille attentive.
C’est elle : j’ai perçu l’écho de sa vraie voix,
Un son plus caressant tinte en ma fine oreille.
De grâce, continue, susurre tout du long !
Je déplore, en parlant, déjà que tu te taises.


‘Garrula quod totis resonat mihi noctibus auris,
Nescio quem dicis nunc meminisse mei?’
‘Hic quis sit, quaeris? resonant tibi noctibus aures:
Et resonant totis: Delia te loquitur.’
Non dubie loquitur me Delia : mollior aura
Venit et exili murmure dulce fremit.
Delia non aliter secreta silentia noctis
Submissa ac tenui rumpere uoce solet,
Non aliter teneris colium complexa lacertis
Auribus admotis condita uerba dare.
Agnoui: uerae uenit mihi uocis imago,
Blandior arguta tinnit in aure sonus.
Ne cessate, precor, longes gestare susurros!
Dum loquor haec, iam uos opticuisse queror.

(in Anthologia latina [Alexander Riese éd. 1869])


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Virgile, L’Énéide, livre IV / Vergilius, Aeneis liber IV : Les affres de Didon / Didonis dolor

Après avoir promis de l’épouser, Énée vient d’annoncer à Didon, reine de Carthage, qu’il doit la quitter pour accomplir son destin. Cela ne va pas sans troubles ni colère…


C’était la nuit, toutes fatigues sur la terre
Cueillaient un doux repos, tout était coi, forêts,
Flots cruels, à cette heure médiane où les astres
Infléchissent leur course, où se taisent les plaines :
Troupeaux, oiseaux jaspés, hôtes des lacs limpides,
Des champs et des buissons, dormaient dans la nuit muette.
Mais il n’est de sommeil qui libère Didon
De ses affres, ses yeux et son âme à la nuit
Sont soustraits, redoublant son angoisse – et recroît,
Cruel, l’amour – La brûle, irrésolue, son ire.
Puis cessant, retournant ces pensées dans son cœur :
« Que ferai-je ? risée de mes anciens promis,
Demander à genoux que m’épouse un Nomade
Dont tant de fois j’ai refusé d’être la femme ?
Ou suivre les Troyens, me mettre à leur merci ?
Je les ai secourus, je peux m’en prévaloir :
Les obligés d’un jour ne sont point des ingrats…
Mais quand je le voudrais : qui me prendrait, haïe,
Sur son altier vaisseau ? – Ne sais-tu, malheureuse,
Ne sens-tu que ces gens d’Ilion sont parjures ?
M’enfuir seule, escorter ces marins triomphants ?
Ou entourée des Tyriens, de mes soldats,
De tous ceux à grand’ peine arrachés de Sidon,
De nouveau prendre mer, et donner voile au vent ?
– Tue plutôt ta douleur, sans tarder, ce t’est dû […]
Que n’ai-je donc vécu, sans crime, sans amant,
Farouche, et préservée de semblables tourments ! […]


Nox erat et placidum carpebant fessa soporem
corpora per terras, silvaeque et saeva quierant
a
equora, cum medio volvuntur sidera lapsu,

cum tacet omnis ager, pecudes pictaeque volucres,
quaeque lacus late liquidos quaeque aspera dumis
rura tenent, somno positae sub nocte silenti.
at non infelix animi Phoenissa, neque umquam
solvitur in somnos oculisve aut pectore noctem
accipit: ingeminant curae rursusque resurgens
saevit amor magnoque irarum fluctuat aestu.
sic adeo insistit secumque ita corde volutat:
‘en, quid ago? rursusne procos inrisa priores
experiar, Nomadumque petam conubia supplex,
quos ego sim totiens jam dedignata maritos?
Iliacas igitur classis atque ultima Teucrum
jussa sequar? quiane auxilio juvat ante levatos
et bene apud memores veteris stat gratia facti?
quis me autem, fac velle, sinet ratibusve superbis
invisam accipiet? nescis heu, perdita, necdum
Laomedonteae sentis perjuria gentis?
quid tum? sola fuga nautas comitabor ovantis?
an Tyriis omnique manu stipata meorum
inferar et, quos Sidonia vix urbe revelli,
rursus agam pelago et ventis dare vela jubebo?
quin morere ut merita es, ferroque averte dolorem. […]
non licuit thalami expertem sine crimine vitam
degere more ferae, talis nec tangere curas. […]

(Énéide, livre IV [vers 522-551] / Aeneis liber IV [versus DXXII-DLI])


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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