Giovanni Pontano (1429-1503) : Fantasmes de vieillard amoureux

Qui est Giovanni Pontano ?


Qu’un dieu me fît de marbre, ici, fussé-je pierre
Que foulerait aux pieds ma cruelle Fannie !
Chaque fois que gagnant le seuil sacré du temple,
Par mes membres de pierre elle cheminerait,
Et les processions passant aux jours de fête,
Elle irait à son seuil afin de regarder.
Alors, bien que fait marbre et insensible pierre,
Je jouirais, foulé sous ses pieds gracieux :
Car il n’existe rien sous les contrées du ciel
Qui sache renoncer à ce qui le délecte.
Amour, flèches d’amour : si s’en moquent d’aucuns,
Que telle dureté se coule dans mon corps !
Contraint, suis-je privé deux jours de ta présence,
Mon être malgré moi décline et s’ensauvage.
Un jour sans t’avoir vue est bien assez, Fannie :
Je semble avoir perdu l’usage de mes sens.
Je crains, le lendemain, d’abhorrer la lumière,
Et d’être masse inerte au lieu de qui je suis !
– Quitte à muer, Fannie, et pour te mieux servir :
Puissé-je devenir au moins ta gorgerette¹.


¹ : Il s’agit de l’ancêtre du soutien-gorge…

Hic me marmoreum faceret deus, hic ego saxum,
__Quod premeret pedibus Fannia dura suis;
Nam quotiens sacri peteret pia limina templi,
__Per mea membra suum saxea ferret iter,
Et quotiens festis redeunt sua sacra diebus,
__Limine prodiret conspicienda suo.
Tunc ego, marmoreus quamvis nec sensile saxum,
__Gauderem nitidis ipse premi pedibus;
Nam nihil est caeli subter regione creatum,
__Quod non delicias norit habere suas.
Quod, siquid venerem Veneris seu spicula nescit,
__Durities artus induat illa meos;
Et si te biduum cogar caruisse, necesse est
__In speciemque abeat nostra figura rudem.
Una dies tantum est, qua te non, Fannia, vidi,
__Et sine iam videor sensibus esse meis;
Altera, quam vereor, ne sit lux invida nobis,
__Et sim de nostro nomine pondus iners.
Quicquid ero, merear cum de te, Fannia, maius,
__O saltem strophium possit id esse tuum.

(in Parthenopeus siue Amores)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


 

Giovanni Pontano (1429-1503) : La tombe de Myrtile

Chactas embrassant les jambes d'Atala (Girodet De Roussy, vers 1808)

Chactas embrassant les jambes d’Atala (Girodet De Roussy, vers 1808)


C’est le malheureux amant de la jeune Myrtile qui parle, en proie à son délire, devant la tombe de cette dernière. On est saisi par l’usage d’un latin dédié à des fins d’expression bien éloignées de la simple imitation des Anciens, par la dynamique − énonçant la folie− des répétitions, par la personnification des éléments (laurier, myrte, pierre tombale), annonciatrice du style baroque, et par la rhétorique, profondément renouvelée, de la métamorphose.

J’ai seul ici le droit de pleurer ; laurier, myrte,
Là, vous deux ; et toi, pierre ‒ au peu de mots gravés.
Honorée de fleur fraîche et d’encens de Saba,
Courte pierre où je prie tantôt, tantôt je pleure,
Tu recouvres, hélas, en ce pauvre tombeau,
Ma joie, et tu te ris de ma douleur, sadique !
Ô cruelle, rends-moi mes amours, rends-les-moi !
À quoi donc m’est-il bon de te mouiller de pleurs ?
‒ Sois mouillée, qu’il soit bon de te mouiller, tant que,
Pour avoir tant pleuré, mes yeux ne sont pas secs …
Mais accepte mes pleurs ‒ non, je ne me plains pas ‒,
Reçois parfums et dons tout embrouillés de larmes.
Onguents et roses, vite ! et costus, jeunes filles,
Offrez la violette et les présents d’avril,
Les présents d’Arabie ! ‒ Moi, mes pleurs ; bois-les, pierre,
Vous, mes yeux, devenez une source nouvelle.
Qu’elle humecte le sol qui recouvre les os,
Les os, pieux défunts ! les os, et ma déesse.
Vous autres, laurier vert au persistant feuillage,
Myrte qui conféras son prénom à Myrtile,
Parsemez le tombeau de fleurs odoriférantes,
De verdure pérenne, et croissez sous mes pleurs,
Croissez ! Je me fais eau, ru clair, je suis fluide !
‒ Fluide et cependant tout embrasé d’amour.


Hic soli mihi flere licet ; tu laurus et una
myrtus ades, paucis et lapis icte notis.
Parve lapis, quem flore novo, quem thure Sabaeo,
et veneror multa tum prece, tum lacrima,
tu mea, tu miseri tumulo male contegis isto
gaudia, et exsultas, saeve, dolore meo ;
redde meos, mihi redde meos, redde, improbe, amores.
Quid juvat e lacrimis immaduisse meis ?
Immadeas, maduisse juvet, si non mea flendo
lumina siccatas deficiunt lacrimas ;
sed lacrimas tibi habe, nec enim queror, accipe odores,
accipe cum fletu munera mista suo.
Unguenta atque rosam et costum properate, puellae,
et violam et cunctas spargite veris opes,
spargite opes Arabum ; lacrimas ego ; tu, lapis, illas
ebibe, et in rorem, lumina, abite novum.
Rore novo madeat tellus, quae contegit ossa,
ossa pios manes, numen et ossa meum.
At tu perpetua, laurus, quae fronde virescis,
tu myrtus, de qua Myrtila nomen habet,
fundite odoratos flores silvamque perennem
ad tumulum, lacrimis crescite et usque meis,
crescite : jam in latices, liquidum jam solvor in amnem,
jam fluo ; sed fluidum me tamen urit amor.

(in De tumulis libri duo [1502])


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


 

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