C’est le malheureux amant de la jeune Myrtile qui parle, en proie à son délire, devant la tombe de cette dernière. On est saisi par l’usage d’un latin dédié à des fins d’expression bien éloignées de la simple imitation des Anciens, par la dynamique − énonçant la folie− des répétitions, par la personnification des éléments (laurier, myrte, pierre tombale), annonciatrice du style baroque, et par la rhétorique, profondément renouvelée, de la métamorphose.
J’ai seul ici le droit de pleurer ; laurier, myrte,
Là, vous deux ; et toi, pierre ‒ au peu de mots gravés.
Honorée de fleur fraîche et d’encens de Saba,
Courte pierre où je prie tantôt, tantôt je pleure,
Tu recouvres, hélas, en ce pauvre tombeau,
Ma joie, et tu te ris de ma douleur, sadique !
Ô cruelle, rends-moi mes amours, rends-les-moi !
À quoi donc m’est-il bon de te mouiller de pleurs ?
‒ Sois mouillée, qu’il soit bon de te mouiller, tant que,
Pour avoir tant pleuré, mes yeux ne sont pas secs …
Mais accepte mes pleurs ‒ non, je ne me plains pas ‒,
Reçois parfums et dons tout embrouillés de larmes.
Onguents et roses, vite ! et costus, jeunes filles,
Offrez la violette et les présents d’avril,
Les présents d’Arabie ! ‒ Moi, mes pleurs ; bois-les, pierre,
Vous, mes yeux, devenez une source nouvelle.
Qu’elle humecte le sol qui recouvre les os,
Les os, pieux défunts ! les os, et ma déesse.
Vous autres, laurier vert au persistant feuillage,
Myrte qui conféras son prénom à Myrtile,
Parsemez le tombeau de fleurs odoriférantes,
De verdure pérenne, et croissez sous mes pleurs,
Croissez ! Je me fais eau, ru clair, je suis fluide !
‒ Fluide et cependant tout embrasé d’amour.
Hic soli mihi flere licet ; tu laurus et una
myrtus ades, paucis et lapis icte notis.
Parve lapis, quem flore novo, quem thure Sabaeo,
et veneror multa tum prece, tum lacrima,
tu mea, tu miseri tumulo male contegis isto
gaudia, et exsultas, saeve, dolore meo ;
redde meos, mihi redde meos, redde, improbe, amores.
Quid juvat e lacrimis immaduisse meis ?
Immadeas, maduisse juvet, si non mea flendo
lumina siccatas deficiunt lacrimas ;
sed lacrimas tibi habe, nec enim queror, accipe odores,
accipe cum fletu munera mista suo.
Unguenta atque rosam et costum properate, puellae,
et violam et cunctas spargite veris opes,
spargite opes Arabum ; lacrimas ego ; tu, lapis, illas
ebibe, et in rorem, lumina, abite novum.
Rore novo madeat tellus, quae contegit ossa,
ossa pios manes, numen et ossa meum.
At tu perpetua, laurus, quae fronde virescis,
tu myrtus, de qua Myrtila nomen habet,
fundite odoratos flores silvamque perennem
ad tumulum, lacrimis crescite et usque meis,
crescite : jam in latices, liquidum jam solvor in amnem,
jam fluo ; sed fluidum me tamen urit amor.
(in De tumulis libri duo [1502])
Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.