Alexandra Bernhardt (née en 1974) : Signal / Fanal



Je suis l’arbre
que l’on a sacrifié
quand trop peu fructifère

j’ai été abattu
tel un signe
de vent doux

j’ai été mis à bas
et mes os
semés loin jonchent le bois

Seul les voit le soleil
qui sans hâte sans à-coups
s’acharne à les blanchir1

1 : Le texte allemand dit littéralement : les rend / lentement progressivement constamment blancs. Je ne suis pas sûr que pour garder la souplesse de l’original une traduction française ne doive pas transposer syntaxiquement ces adverbes, légers en allemand mais très lourds en français.


Ich bin der Baum
den man geopfert
als er zuwenig Früchte trug

Ich ward geschlachtet
als ein Zeichen
milden Winds

Ich bin gefällt
und meine Knochen
liegen weit verstreut im Wald

Allein die Sonne sieht
auf sie und bleicht sie
langsam mählich stetig weiss

(in Weisse Salamander, 2020)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Alexandra Bernhardt (née en 1974) : Scheiding / Septembre



Comblé par la splendeur sublime de l’été
Tu entames l’automne. Vois tomber le feuillage,
Un sauvage ballet de feuilles mordorées –
Dont le spectacle a glané ton regard.

Mais que fade à présent te semble cette danse,
Qu’elle est donc, cette lune, une pâle compagne
À l’aune des couleurs du mois des fenaisons.
L’automne, c’est ainsi qu’il perturbe les sens.

Car ce qui doit sans heurt se scinder pour au neuf
Céder l’espace dû dans le cycle annuel
Nous paraît coloré toujours plus en automne
Et beaucoup plus vivant maintenant qu’il se meurt.


Beglücket von des Sommers berückend’ Pracht
Beginnst den Herbst du. Siehe das Laub: es fällt,
Ein wilder Reigen güld’ner Blätter –
So hat das Schauspiel dein Blick geerntet.

Doch ach! wie schal erscheint dieser Tanz dir nun,
Was ist doch dieser Mond ein Geselle bleich
Gemessen an des Heuets Farben.
Solcherart trübet der Herbst die Sinne.

Denn das, was glücklich scheiden muß, Neuem den
Geziemend’ Platz zu schaffen im Jahreskreis,
Scheint Herbstens stets noch bunter uns und
Weitaus lebendiger jetzt: im Vergeh’n.

(in Weisse Salamander, 2020)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Alexandra Bernhardt (née en 1974) : Début février / Anfang Februar


Le givre le matin s’étend dessus les herbes,
le soleil le dissipe au moment qu’il renaît
tandis que l’escargot depuis longtemps se cloître.

Les arbres lumineux hébergent les corbeaux,
fossoyeurs à l’attente.
Ils savent que l’hiver s’en va bientôt mourir.
L’un d’eux parfois prend son envol.
Le ciel alors se tient ouvert
et le monde se fait demeure.


Auf den Gräsern liegt am Morgen Rauhreif,
der in der wiedergeborenen Sonne schwindet,
während die Schnecke lange schon heimgekehrt ist.

Die Krähen sitzen in den lichten Bäumen
wie wartende Totengräber.
Sie wissen, daß der Winter bald stirbt.
Manchmal fliegt eine von ihnen auf.
Dann steht der Himmel offen,
und die Welt wird ein Haus.

(in Weisse Salamander, edition offenes feld [2020])


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


 

Alexandra Bernhardt (née en 1974) : Januaria


Sans bruit la lumière
– un souffle – pénètre
dans l’aube qui se lève
le calme vieux d’un rêve
crépusculaire

Dans le double visage
des poissons s’agitent
dans l’air leurs nageoires
remuent des écailles

plus tard une horloge
reste sans bouger

mais non pas le temps


Stille bricht
ein Atem von Licht
herein in die Frühe
die alte Ruhe
dämmernden Traums

Im Zwiegesicht
bewegen sich Fische
ihre Flossen schwingen
Schuppen in Luft

Später bleibt
ein Uhrwerk stehen

Nicht aber die Zeit

(inédit)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


 

Alexandra Bernhardt (née en 1974) : confinement : un modèle / Isolationsmodell


La croix de la fenêtre
surplombe la pièce et son vide
comme la Croix du Sud
l’hémisphère inversé

il n’est ici de cataracte qui s’épuise
dans le silence du cyclone

de nuit se tient un timonier
près du beaupré : d’actes anciens
revenant rescapé


Das Kreuz des Fensters
steht über der Leere des Zimmers
wie das Kreuz des Südens
über der verkehrten Hälfte der Erde

Es ist kein Katarakt das sich hier
in der Stille der Mallung erschöpft

Nächtens steht ein Rudergast
am Bugspriet : einstigen Tuns
abgewetterter Wiedergänger

(inédit)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


 

Alexandra Bernhardt (née en 1974) : Merle / Amsel


Au petit matin : toi
ma claire beauté noire
toi l’oignant cri d’éveil
m’ôtant à ma torpeur

comme je m’émerveille
encore somnolente
de ta force

inflexible
tu me flûtes
du Magma dans l’oreille

Je deviens merle
_______________et me réveille


Frühmorgens : du
meine helle Schönschwarze
du salbender Ruf der Weckung
aus meiner Ohnmacht

Wie bewundere ich
dämmernd noch
deine Kraft

Unbeugsam
flötest du mir
Magma ins Ohr

Ich werde Amsel
_______________und bin wach

(inédit)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


 

Alexandra Bernhardt (née en 1974) : Stances urbaines / Städtische Stanze


Le soleil est à nu, le goudron des rues fond,
Un épervier, cri creux, laisse échapper ses peines.
Dans l’été pâle et chaud, les hachements de sons
D’un marteau-burineur, tambourant ses rengaines.
Comme un affolement sur moi tout à coup fond —
L’épervier fait gonfler, les agitant, ses pennes
Et prend, silencieux, son essor, éperdu,
Comme s’il recelait ce qu’ici j’ai perdu.


Versengt der Straße Teer, die Sonne nackt,
Ein Sperber schreiet hohl sein Sehnen nieder,
Und in der sommerbleichen Hitze hackt
Ein Preßlufthammer trommelnd seine Lieder.
Wie mich mit einem Mal das Grauen packt —
Der Sperber spreizt und schüttelt sein Gefieder
Und hebet sich in stummem Gram empor,
Als bärge er, was ich gerad’ verlor.

(in Et in Arcadia ego. Klagenfurt am Wörthersee: Sisyphus, 2017)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.