Giovanni Pontano (1429-1503) : Épitaphes (extraites des « De tumulis libri »)

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses…

Tes parents, t’appelant Rose, jolie fillette,
T’ont moins donné un nom que donné un destin :
De plus bref, plus caduc qu’une rose, il n’est rien
– Aussi rapide et brève est passée ta formette.

À peine as-tu vécu, charmante, dix décembres,
Au printemps rose née : las !, en décembre morte.
Pas le temps : c’est le froid des brumes qui t’emporte,
Pas l’été : c’est le froid d’hiver qui te démembre.

Sans fleurir en hiver, loin des pluies délétères :
Tu es rose en ce tertre, hélas ! Rose – et prospères.


Épitaphe, en forme de dialogue,
de Laurine, ensevelie sous un laurier

Laurine : « Je tire, morte, un grand renom de ce laurier,
D’où j’ai tiré jadis, vivante, un nom célèbre.
Je gis, sous ce laurier, Laurine ensevelie :
Laurier couvre mes os et se paît de mes restes.
Il vit ainsi de moi, Laurier ; je vis Laurine
En Laurier – ménagers d’une vie réciproque.
De Laurier, mère et fille je suis et Laurier
Me compose un renom, me compose un tombeau. »

Le poète : « Vivez conjointement sous l’écorce fleurie,
Et toi, sois de Laurier la fille et sois la mère. »


Épitaphe, en forme de dialogue,
d’une jeune fille devenue roses 

La jeune fille morte : « Ne me tient enterrée ni le marbre ni l’urne :
Blanche, m’en suis allée, devenue rose blanche.
Je dormais d’aventure entre rose et troène,
Favorisée de brise et de sein maternel,
Quand blême, une nuée soudain glissant du ciel
M’enlève – et me sublime en brise impondérable ;
Ma mère qui me cherche en son giron, sous l’aulne,
Au lieu de son enfant trouve des roses blanches…
Que nul ne me déplore ou ne me fasse offrande,
Ni m’entombe : à mes yeux, les jardins sont des tombes. »

Le poète : « Heureux qui au printemps pour sépulcre a des roses
Et des brises, semant fleurs ici, là zéphyrs… »

Épitaphe d’une jeune fille nommée Violine

Les prairies pour tombeau ; les violettes jonchent
Mon sépulcre – Étonnant ? J’ai pour nom Violine.
D’encens, nard, nul besoin, ni de myrrhe arabique :
Violettes me sont myrrhe, nard et encens.


Épitaphe de sa fille Lucie

Tu as laissé dans l’ombre, ma Lucie, ton père,
De lumière faite ombre, ô fille à moi ravie !
– Mais non, non : pas « faite ombre » : ayant toi-même l’ombre
Laissée, tu resplendis lucide au plein soleil,
Je te vois, fille, au ciel, et ton père, ma fille,
Tu vois… – Se leurre-t-il d’illusions, ton père ?

Réconfort de ta mort de malheur, ce tombeau
Te recouvre. Nul sens ne pénètre la cendre.
Mais s’il demeure un peu de toi : ma fille, avoue
Que c’est dans le bonheur que te prend l’âge prime.
– Pour moi, je traînerai dans l’ombre vie et deuil.


Paroles, devant sa tombe, d’une mère
à son fils Aurélien, mort en bas âge

Ces larmes, ces sanglots, tiens-les pour mes seins, fils,
Pour ma poitrine – prends ces larmes pour mes seins ;
Chants près de ton berceau, berceuses de naguère
Désormais sont mes pleurs et mes gémissements.
Ces larmes, désormais, bois-les, ce sont mes seins,
Mes lamentations te sont jeux et berceuses,
Ces fleurs et ces bouquets de fleurs que je te donne,
Qu’ils soient pour toi cheveux, chevelure flottante…

Que la terre, Aurélien, te soit légère et que
De ton petit tombeau crocus, roses, s’exhalent.


Non nomen tibi, quin omen fecere parentes,
Dixerunt cum te bella puella Rosam.
Utque rosa brevius nil est, aequeve caducum,
Sic cito, sic breviter et tua forma perit.
Implesti denos vix nam formosa decembres,
Vere rosa, heu, nata es, mense decembre cadis.
Non aestus, sed te rapuerunt frigora brumae,
Non aestas, sed te frigora solvit hiems.
Ergo non hiemi flores, non rapta per imbrem.
Frondescis, tumulo sed male Rosa rosa es.


– Haec Laurus mihi dat titulos, famamque sepultae,
Quae quondam vivae, nomina clara dedit.
Sub lauru Laurina tegor, mea vestit et ossa
Laurus, et ipsa meo vescitur e cinere.
Per me igitur vivit Laurus, Laurinaque vivo
In Lauru et vitae mutua cura sumus.
Ipsa eadem lauro materque et filia. Laurus
Ipsa mihi est titulus, ipsa quoque est tumulus.

– Vivite frondenti pariter sub cortice junctae,
Ipsaque sis Lauro filia sisque parens.


– Nec me marmor habet, nec me tegit urna sepultam;
In niveas abii candida versa rosas.
Forte interque rosas interque ligustra quieram,
Aura fovet flatu, mater at ipsa sinu,
Pallida cum coelo nubes delapsa repente
Me rapit, inque auras dissipor ipsa leves;
Dum natam mater gremio, dum quaerit in ulnis,
Pro nata niveas reperit ecce rosas.
Ne mihi, ne lacrimas quisquam, ne munera donet,
Aut tumulos; horti sunt mihi nam tumuli.
– O felix, cui vere rosae atque aestate sepulcrum
Sunt aurae, hinc flores fundis et hic Zephyros.


Prata mihi tumulum praebent violaeque sepulcrum
fronde tegunt : mirum si Violina vocer ?
Non mihi thure opus est aut nardo aut Arabe myrra :
myrra mihi et nardus thuraque sunt violae.


Has tibi pro mammis lacrimas proque hubere fletum,
Nate, cape; has lacrimas hubera nostra puta;
Quique tibi ad cunas cantus, quae naenia quondam,
Hi tibi nunc questus, hic tibi sit gemitus,
Has bibe nunc lacrimas, haec, haec nunc hubera sume,
Naeniolae et lusus nostra querela tibi est,
Quosque dedi flores et quas de flore corollas,
Hi tibi sint crines, haec tibi fusa coma.
Aureli, tibi sit tellus levis, ac brevis urna
Afflet et usque crocos, spiret et usque rosas.


Liquisti patrem in tenebris mea Lucia, postquam
E luce in tenebras filia rapta mihi es.
Sed neque tu in tenebras rapta es. Quin ipsa tenebras
Liquisti, et medio lucida sole micas
Caelo te natam aspicio, num nata parentem
Aspicis. An fingit haec sibi vana pater ?
Solamen mortis miserae, te nata sepulcrum
Hoc tegit. Haud cineri sensus inesse potest.
Si qua tamen de te superat pars, nata fatere
Felicem quod te prima juventa rapit.
At nos in tenebris vitam luctusque trahemus.

(in De tumulis libri duo [1502])


Ces traductions originales, dues à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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Giovanni Pontano (Joannis Pontanus) (1429-1503) : La jeune fille à la peau sombre / Loquitur puella fuscula

J’ai la peau sombre, et tirant vers le noir, et même
Sur mon sombre avant-cœur sont noirs mes mamelons :
Et donc ? La nuit est noire, et sombre la ténèbre,
On rend culte à Vénus par ténèbres nocturnes,
La nuit brigue Vénus, et Vénus les ténèbres,
Et les nuits, de Vénus, enténébrées, font les
Délices, quand nichée dans le sein des garçons
Elle excite leurs jeux et leurs effronteries.
Aussi, dans ces ténèbres dissimulatrices,
Dans ces dissimulations enténébrées,
Du long sur quelque couche, unis dans le repos,
Faisons venir Vénus : et vaincus de plaisirs,
Composons la ténèbre, attendant que du somme
Nous éveille Vénus au lever du soleil.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


Quod sim fuscula, quod nigella, et ipsae
fusco in pectore nigricent papillae,
quid tum ? Nox nigra, fusculae tenebrae,
nocturnis colitur Venus tenebris,
optat nox Venerem, Venus tenebras,
et noctes Venerem tenebricosae
delectant, pueri in sinu locata
lusus dum facit improbasque rixas.
Ergo his in tenebris latebricosis,
his nos in latebris tenebricosis,
lecto compositi, quiete in una,
ductemus Venerem, toroque vincti
condamus tenebras, sopore ab ipso
dum solis Venus excitet sub ortum.

(in Hendecasyllabi [1.20], première édition : 1505)


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Giovanni Pontano (Joannis Pontanus) (1429-1503) : Pour Terina / Ad Terinam

Avec toi je voudrais, si je puis, Terina
– Chat ou pas dans la gorge, et goutte au nez ou pas –,
Avec toi réchauffer toutes nuits de frimas.

Ô nuits où j’atteindrai jusqu’au septième ciel !
Ô sommeils sans limite et titillés d’envies !
Moi que, ma Terina, sur ta couche attiédie,
Moi que réchaufferont tes brassées fraternelles,
Moi que, coquinement, de tes lèvres rosées
Tu suceras tandis… que tu seras baisée.
– Ô nuits où j’atteindrai jusqu’au septième ciel !

N’y va pas, Terina, d’un doigt qui soit féroce,
N’y va pas, Terina, d’une canine rosse.
Ah oui, faisons tomber au sol le couvre-lit,
Faisons danser au lit la danse de saint-guy !
N’y va pas Terina, d’aucune cruauté,
Ou alors voici l’art dont tu peux y aller
(Et procède avec moi suivant cette leçon) :

Souffre tantôt d’être vaincue, et tantôt non,
Prodigue tes baisers, puis refuse-les-moi.
Mêle aux larmes le rire, aux chichis les émois,
Et tempère d’amer le sucre de tes mots.

À terme, tu pourras, ô Terina, bientôt
Te livrer avec moi à des jeux apaisés,
Et ceignant le vieillard de tes tendres brassées
Lui donner des plaisirs un peu plus délicats,
Lui tenir des propos un tantinet grivois,
Modeler la débauche en moule plus fripon,
T’adonner à des jeux gentiment polissons,
Et consacrer la nuit à d’amoureux ébats
Jusqu’au point du sommeil tiré de tes yeux las.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


Tecum, si liceat, velim, Terina,
(me tussis licet et premat gravedo)
tecum has frigidulas fovere noctes.

O noctes mihi ter quater beatas,
o somnos sine fine prurientes,
me cum sub tepido, Terina, lecto,
me cum sub teneris fovebis ulnis,
me cum roscidulis procax labellis
et suges simul osculaberisque.
O noctes mihi ter quater beatas.

Ne tu, ne digitis, Terina, saevi,
ne saevi aridulo, Terina, dente.
Ah quid pallia lectulo excidere?
Ah quid lectulus ipse subtremescit?
Ne saevi, rogo, ne, Terinna, saevi.
Sic, sic, o mea, saevias licebit,
hac mecum ratione litigato:

nunc vinci patiare, nunc repugna,
et nunc oscula porge, nunc negato.
Nunc risum lacrimis iocisque fletum
misce et dulcia verba tinge amaris.

Haec cum feceris, o Terina, mox te
ad lusus placidos resolve mecum,
complexa et teneris senem lacertis
ludas delicias venustiores,
dicas blanditias procaciores,
fingas nequitiam proterviorem,
et ludos, age, fac licentiores
et noctem quoque duc amantiorem,
dum lassis sopor instet ex ocellis.

(in Amores, 1513)


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