Enregistrement du poème en latin (strophe asclépiade A) :
Gros de fruits abondants, déjà le bon automne Prépare le retrait précipité des brises ‒ Voici venir les froids ‒, et retire du cœur _____Des arbres les feuilles qui tombent.
Délivrés des travaux, c’est l’heure que te chantent, Bacchus, les paysans, que leur intempérance Au murmure plaintif de la flûte où l’on souffle, _____Entraîne aux plaisirs de la danse.
Le retour de ce temps de l’année nous remet Sous le joug, qu’il est doux de porter, de la Muse ; Au cours des longues nuits, les astres nous engagent _____À nous saisir du jour ailé.
Troupe docile, allons ! marchons à pas rapides Par les hauts du Parnasse au double mamelon, Où, libre de vieillesse et de tombeau, nous hèle _____La gloire à partager des dieux.
Que je vous accompagne ou vous y guide – jeunes,
À votre gré ! – je viens ! Fatigue ni mollesse Du pied ne mèneront qui cherche à pénétrer _____Aux tréfonds de l’âpre vertu.
Jam cornu gravidus praecipitem parat afflatus subitis frigoribus fugam Autumnus pater, et deciduas sinu ____frondes excipit arborum.
Cantant emeritis, Bacche, laboribus te nunc agricolae, sed male sobrios ventosae querulo murmure tibiae ____saltatu subigunt frui.
Nos anni rediens orbita sub jugum Musarum revocat, dulce ferentibus ; porrectisque monent sidera noctibus ____carpamus volucrem diem.
I mecum, docilis turba, biverticis Parnassi rapidis per juga passibus, expers quo senii nos vocat et rogi ____consors gloria caelitum.
Nam me seu comitem seu, juvenes, ducem malitis, venio : nec labor auferet quaerentem tetricae difficili gradu ____virtutis penetralia.
(in Odae)
Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.
La métrique de cette ode, composée à l’occasion de la mort de Laurent de Médicis (1449-1492), semble ne correspondre à aucune de celles répertoriées chez les poètes antiques : elle me paraît fondée moins, comme de coutume, sur l’alternance des syllabes longues et brèves que sur leur nombre (strophe de 3 octosyllabes suivis de 2 pentasyllabes) et des effets de sonorités. J’en ai tenu compte dans ma traduction, j’essaie de le rendre sensible dans mon enregistrement :
Qui changera ma tête en eau, Qui me transformera les yeux En une source de sanglots __Que de nuit je pleure __Que de jour je pleure ?*
Ainsi la tourterelle veuve, Ainsi le cygne qui se meurt, Ainsi se plaint le rossignol, __Las, malheur, malheur, __Ô douleur, douleur !
Le laurier** frappé par la foudre, Ce laurier, oui, sitôt se couche, Ce laurier fréquenté de toutes __Les Muses qui dansent, __Les Nymphes qui dansent.
Sous l’étendue de sa ramure La lyre tendre de Phébus Et la voix douce retentissent ; __Et là : tout se tait, __Et là : tout est sourd.
Qui changera ma tête en eau…
* Paraphrase de Jérémie, 9, dans le texte de la Vulgate
** Jeu de mots sur Laurus (laurier) et Laurentius (Laurent) ; selon certaines croyances, la foudre ne frappait jamais le laurier : la mort de Médicis relève en quelque sorte de l’exception.
Sic turtur viduus solet, sic cycnus moriens solet, sic luscinia conqueri. __Heu miser, miser ! __O dolor, dolor !
Laurus impetu fulminis illa illa jacet subito, Laurus omnium celebris __Musarum choris, __Nympharum choris.
Sub cujus patula coma et Phoebi lyra blandius et vox dulcius insonat ; __nunc muta omnia, __nunc surda omnia.
Quis dabit capiti meo…
(in Epigrammata)
Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.
Les 8 premiers vers du texte latin (le mètre est le sénaire iambique) :
Iambes, vite, vite, arrachez-moi ‒ mordez ! ‒, Cette vieillarde en proie aux furies du désir ! Empriapée, la chienne ! en chaleur, et cracra, Catarrheuse et flétrie, et puante et rancie, Cadavérique, au front rugueux, chenue du crâne, Dégarnie du cheveu, décillée des paupières Et glabre du sourcil, croulante de la lippe, Rubiconde de l’œil, larmoyante des joues, Édentée (mis à part deux chicots lui restant, Noirs, crasseux), à l’oreille exsangue de tout sang Et flasque, à la narine exsudant la pituite, Au rire à postillons, à l’haleine putride, Aux mammes distendues, avachies de vieillesse, Arentelées, choyant, sans rien à l’intérieur, Ulcéreuse du con, vermoulue de l’anus, À la fesse chétive, aride et squelettique, Et sèche de la jambe, et sèche des deux bras, Aux genoux bien saillants, pareil pour les chevilles, Aux talons gravement alourdis d’engelures : Rien de plus méprisable et de plus dégoûtant, Et de plus monstrueux, de plus pestilentiel ! Boulangers, bistrotiers, larbins et débardeurs, Camelots et bouchers, maîtres des hautes œuvres, Maquignons, marmitons, tous, ils l’ont culbutée, Jadis, comme une grue, une pure cocotte. Personne ne veut plus la voir ni lui parler, Dégoût de tout le monde, objet de moquerie Que la vieille éperdue de récentes chaleurs ! Mais qui ose, impudique ‒ oui, qui ose, impudique, La cochonne effrontée, la plus morte que vieille, Chaque fois qu’en chaleur (ses chaleurs, c’est toujours) ‒ Vouloir que je la touche et pour elle aie la gaule, Comme un verrat, un âne, ou même comme un chien. Du balai, du balai, la vieille, va au diable, Du balai, l’assassine obscène ! que tu sois Vraie vieille, épouvantail ou spectre de charnier ! À tout prendre, morbleu ! j’aimerais mieux baiser Une truie, une ânesse, une chienne ! ‒ que toi.
Huc huc, iambi ! arripite mi jam mordicus anum hanc furenti percitam libidine, tentiginosam, catulientem, spurcidam, gravedinosam, vietam, olentem, rancidam, cadaverosam, fronte rugosa, coma cana atque rara, depilatis palpebris, glabro supercilio, labellis defluentibus, oculis rubentibus, genis lachrymantibus, edentulamque (ni duo nigri et sordidi dentes supersint), auriculis exanguibus flaccisque, mucco naribus stillantibus, rictu saliva undante, tetro anhelitu, mammis senecta putridis praegrandibus araneosis deciduis inanibus, cunno ulceroso, verminante podice, natibusque macris aridis et osseis, utroque sicco crure utroque brachio, talo genuque utroque procul extantibus, calcaneoque pernionibus gravi ; ut nil sit aspernabilius, nil tetrius monstrosiusque aut nauseabundum magis : quam pistor olim, caupo, calo, bajulus, et institores, et lanius, et carnifex, et muliones permolebant et coci, ceu prostitutam et sellulariam meram ; nunc nemo jam vult visere nemo colloqui, fastidit unusquisque et habet ludibrio anum subante perditam prurigine : sed audet impudens tamen, audet impudens, procax, proterva, nec jam anus sed mortua, utcumque prurit (prurit autem jugiter), se postulare ut comprimam, sibi ut arrigam, quasi ipse verres quasi asinus sim vel canis. Abi hinc, abi, anus, in maximam malam crucem, abi scelesta, obscaena ; sive vera anus seu terriculum es seu larva bustuaria. Nam si optio mi detur, aedepol magis scrofam futuam quam te vel asinam vel canem.
(in Epigrammata)
Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.
Si je pouvais ôter le lacs qui me collette, Et libérer mes pieds des chaînes qui les lient ! Mon chant surpasserait celui de ces oiseaux Que nourrit le Caytros aux plaines qu’il traverse. Mais tel un jars parmi les cygnes de Phébus, Je lance, à gorge rauque, une fruste clameur ; Mais serais, Médicis, vite libre et chantant, Dès lors que tu dirais : « Politien, viens-t’en ! »
O ego si possem laqueo subducere collum, __et pedicis vinctos explicuisse pedes ! Haud equidem dubitem volucres superare canendo __quas aluit campis unda Caystra suis. At nunc, Phoebeos inter velut anser olores, __agrestem rauco gutture fundo sonum. Sed facile expediar, Medices, fiamque canorus, __si modo tu dicas : Politiane, veni.
(in Epigrammata)
Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.
Tu séduis, tu bannis ; tu suis, fuis, tendre et dure,
Me veux, ne me veux pas ; me tortures et m’aimes.
Promets – « n’as rien promis », espoir repris, donné.
Je préfère subir, Tantale, ton supplice :
Terrible est d’endurer la soif auprès d’eaux vives,
Mais plus de l’endurer plongé dans le nectar.
*
Sur une horloge, dans une église
Ainsi le temps furtif flue, trompant maintes gens,
Ainsi vient à sa fin tout ce qui est au monde.
Malheur ! – Le temps passé ne s’en retourne pas,
Malheur ! – La mort approche à pas silencieux.
*
Les rêves
Oh, que de joies me donnez-vous, songes spécieux !
– J’envie, Endymion, la roche où tu t’endors.
Si le sommeil n’est qu’effigie de froide mort,
La mort sur toutes joies l’emporte : vie, adieu !
____________________________________________________________ Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.
In amicam
Allicis, expellis ; sequeris, fugis ; es pia, et es trux :
Me vis, me non vis ; me crucias, et amas.
Promittis, promissa negas, spem mi eripis, et das :
Jamjam ego vel sortem, Tantale, malo tuam.
Durum ferre sitim circum salientibus undis ;
Durius in medio nectare ferre sitim
*
In horologium in aedes Mariae Novellae
Sic fluit occulte, sic multos decipit aetas,
Sic venit ad finem quidquid in orbe manet.
Heu, heu, praeteritum non est revocabile tempus !
Heu propius tacito mors venit ipsa pede !
*
In somnos
O mihi quanta datis fallaces gaudia somni !
Invideo, Endymion, Latmia saxa tibi.
Jam si nil sopor est gelidae nisi mortis imago,
Omnia mors superat gaudia : Vita, vale !
(in Carmina illustrium poetarum italorum tome 7 [Florence, 1720])