Giovanni Battista Pigna (1529-1575) : Requête à Marcantonio Flaminio

Joueur de luth faisant la cour à une jeune femme tenant un roemer dans la main (Hendrick ter Brugghen, début XVIIe)


Pour l’entendre en latin :

Gloire, Flaminio, des Nymphes d’Apollon,
Toi qui peux, de tes vers, freiner le cours rapide
Du Tibre et contenir le fougueux Aquilon
___‒ Comme au Notus passer la bride ;

Ô toi qui amadoues, des sons de ta cithare,
Le tigre, même hostile, et la sauvagerie ;
Qui d’un plectre latin sais toucher le barbare,
___Et charmer l’homme au cœur impie ;

Si tu peux à jamais arrêter en chantant
Les fleuves et laver le ciel de sa nuée
Quand les grands vents partout y vont retentissant
___‒ Et calmer l’âme remuée :

Mets le plectre à ta lyre, et joue de ces accords
Que d’une oreille amie ira bien vite entendre
Lygide, trop cruelle et rude en ses abords
___‒ Afin qu’elle me soit plus tendre.

Tu en recueilleras plus de célébrité,
Et en tireras plus ‒ aussi ‒ de sympathie,
Que d’avoir de tes vers, ton luth et ton doigté,
___Apaisé la mer en furie.


Nympharum decus, o Flamini Apollinis
cursum qui rapidi carmine Tibridis,
spirantemque morari boream potes ;
___nec non praecipitem notum.

Qui lenis cithara, sint licet asperae,
tigres, atque ferarum genus omnium ;
Latinoque movens pectine barbaros,
___mulces corda virum impia.

Si sic dum canis et sistere flumina
possis perpetuo, et nubila tergere
cum venti celeres undique perstrepunt,
___et sedare animos probe,

plectro tange lyram ; dicque modos quibus
crudelis nimium saevaque Lygida
sic aures modo amicas satis applicet,
___ut jam sit mihi lenior.

Nam si feceris id, te mage redditum
cognosces celebrem, teque magis pium ;
quam si versiculis arteque barbiti
___placasses rabiem maris.

(in Io. Baptistae Pignae carminum lib. quatuor [1553] p. 23)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Celio Calcagnini (1479-1541) : à la nuit / ad noctem

 

Tableau de François Cachoud (1866-1943)

Tableau de François Cachoud (1866-1943)


Heureux astres du ciel, ô Lune favorable
___– Et toi, confidente jadis
De ma douleur, déesse au secret des ténèbres,
___Ô mère du grand Cupidon :
Embrassant toute chose en ton vaste sein, tu
___Rappelles l’image aux mortels
Du Chaos d’autrefois, dont, doublement lié,
___En sa volante promptitude
L’Olympe originel craint pour soi le retour.
___Ô nuit prodigue de repos,
Tu mets comme de juste un terme à notre peine,
___Supplées aux forces épuisées.
Tirant de notre sein l’anxiété mordante,
___Tu viens à bout de nos sanglots.
Tu imposes un terme à nos profonds soupirs,
___Soulages nos tristes poitrines.
Secours des champs brûlés par de trop longs soleils,
___Tu les humectes de rosée,
D’un souffle printanier ravivant toutes choses
___Consumées de chaleur ardente,
Indiquant au colon les temps de grand plaisir
___Où se doit faire la moisson.


Beata caeli sidera, et felix iubar
__Phoebes, et olim conscium
Nostri doloris numen abditum chao
__Magni parens Cupidinis :
Tu cuncta uasto complecteris sinu, et refers
__Imaginem mortalibus
Molis uetustae, cuius horrent ambitum
__Connexa uinclo duplici.
In sese olympi praepetis primordia,
__O nox quietis prodiga
Tu das labori iure nostro terminum,
__Haustasque uires suggeris.
Curas edaces summoues a pectore,
__Sedasque tandem lacrimas.
lmponis altis teminum suspiriis,
__Moerore corda sublevans
Exusta longis arua solibus foves
__Madore ruris humidi.
Et tosta fervidis caloribus
__Vernantis aurae spiritu
Afflas, colonis pro terendis messibus
__Pergrata monstras tempora.

(in Caelii Calcagnini carmina libri III, in Io. Baptistae Pignae carinum libri quatuor, 1553, p. 186) 


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Girolamo Balbi (1450-1535) : Épigrammes

Paul Signac

Paul Signac

Des pommes, des poèmes

Poète, tu m’envoies des pommes et des vers,
En témoignage d’infrangible amitié.
Les vers réjouissent l’âme, et les pommes la bouche ;
Les uns flattent l’esprit, les autres les papilles.
Pommes valent mieux qu’or, et vers mieux que joyaux :
Fait d’or et de joyaux, ton présent serait moindre.
Je n’aurais eu d’Alcinoos de telles pommes,
Ni d’Apollon des vers si joliment tournés.


Démocratisation de la poésie

On voit, cher Jean, partout d’assez fameux poètes,
Le laurier tressé couronne toutes têtes :
Des poètes en Inde et en Grande-Bretagne,
En Scythie, en Lybie, Arabie, Gaule, Espagne.

À peine le marmot va-t-il sur ses cinq ans
Qu’il balbutie des vers de son caquet perçant.
Quoi d’étonnant ? Jadis, le laurier fut fleur
Du Parnasse, à présent tous les champs ont le leur.


Misisti nobis et poma , et carmina , vates,
Indelibatae pignus amicitiae.
Carmina sic animum pascunt , uti poma palatum ;
Illa lepore juvant : ista sapore placent.
Poma aurum vincunt ; vincunt et carmina gemmas:
Aurum da, et gemmas ; deteriora dabis.
Poma nec Alcinous misisset talia nobis
Carmina nec Clarius tam bene culta Deus.


Joannes, Clarios nunc cernimus undique vates ;
Et decorant omnes laurea ferta comas.
India dat yates ; dat terra Britanna poetas ;
Dat Scythicus, Libycus, Gallus, Iberus, Arabs.

Parvulus ad lustrum cum primum venerit infans,
Arguto blaesos concinit ore modos.
Quid mirum? tenuit antiquo tcmpore lauros
Parnasus : Lauros nunc habet omnis ager.

(in Carmina illustrium italorum poetarum tome II, pp. 13, 14, 19 [Florence, 1719]) 


Ces traductions originales, dues à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

D'autres poèmes de Girolamo Balbi sur ce blog :

 

Angelo Poliziano (1454 – 1494) : Trois épigrammes

À son amie

Tu séduis, tu bannis ; tu suis, fuis, tendre et dure,
Me veux, ne me veux pas ; me tortures et m’aimes.
Promets – « n’as rien promis », espoir repris, donné.

Je préfère subir, Tantale, ton supplice :
Terrible est d’endurer la soif auprès d’eaux vives,
Mais plus de l’endurer plongé dans le nectar.

*

Sur une horloge, dans une église

Ainsi le temps furtif flue, trompant maintes gens,
Ainsi vient à sa fin tout ce qui est au monde.
Malheur ! – Le temps passé ne s’en retourne pas,
Malheur ! – La mort approche à pas silencieux.

*

Les rêves

Oh, que de joies me donnez-vous, songes spécieux !
– J’envie, Endymion, la roche où tu t’endors.
Si le sommeil n’est qu’effigie de froide mort,
La mort sur toutes joies l’emporte : vie, adieu !

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Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

In amicam

Allicis, expellis ; sequeris, fugis ; es pia, et es trux :
Me vis, me non vis ; me crucias, et amas.
Promittis, promissa negas, spem mi eripis, et das :
Jamjam ego vel sortem, Tantale, malo tuam.
Durum ferre sitim circum salientibus undis ;
Durius in medio nectare ferre sitim

*

In horologium in aedes Mariae Novellae

Sic fluit occulte, sic multos decipit aetas,
Sic venit ad finem quidquid in orbe manet.
Heu, heu, praeteritum non est revocabile tempus !
Heu propius tacito mors venit ipsa pede !

*

In somnos

O mihi quanta datis fallaces gaudia somni !
Invideo, Endymion, Latmia saxa tibi.
Jam si nil sopor est gelidae nisi mortis imago,
Omnia mors superat gaudia : Vita, vale !

(in Carmina illustrium poetarum italorum tome 7  [Florence, 1720])

D’autres poèmes d’Angelo Poliziano sur ce blog :

Francesco Maria Molza (1489 – 1544) : Un grillon en cadeau / gryllus

J’ai enfermé pour toi, Délie, en ce roseau
Un grillon stridulant, garant de mon repos
– Car, lorsqu’à m’endormir ne parvenaient l’Auster
Ni la plainte de l’eau (même plus qu’argent pure),
Répétant le refrain qui lui est ordinaire,
Il a fait plus que vent, plus qu’onde, et leur murmure.
Bientôt, moissons finies, t’offrirai davantage :
De notre amour, c’est un chevreau qui sera gage.

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Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Argutum inclusi junco tibi, Delia, gryllum,
Cuius saepe mihi munere parta quies.
Nam mihi nec somnum veniens cum duceret Auster,
Argento vel quae purior unda gemit;
Hic veterem instaurans propius de more querelam
Plus venti, et lymphae murmure plus potuit.
Mox etiam majora feres, cum messe peracta
Capreolus nostri pignus amoris erit.

(in Carmina illustrium poetarum italorum [tome 6], 1747, p. 363)

D’autres poèmes de Giovanni Matteo Toscano sur ce blog :

Marcantonio Flaminio (1498-1550) : Paroles de fontaine / Fons Nicolai Rodulphi cardinalis

Qui est Marcantonio Flaminio ?

Flaminio fait s’exprimer la fontaine
du cardinal (de Florence) Nicolas Rodulphe :

« Moi dont le cours fluait entre de hauts taillis
Je hante le palais d’une auguste lignée :
Grâces t’en soient rendues, grand Rodolphe, toi qui
M’as parmi le sein dur des montagnes guidée
Pour me faire, connue à peine des troupeaux,
Laver les mains des rois, leur face, de mes eaux. »


Quod solitus silvis liquido pede currere in altis
Nunc celebro augustae regia tecta domus,
Gratia magna tibi, magne Rodulphi; meam tu
Per duri montis viscera ducis aquam:
Ut qui vix fueram pecori bene cognitus ante,
Nunc regum lymphis ora manusque lavem.

(in Carminum libri VIII [1727], liber II , p. 73)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Marcantonio Flaminio (1498 – 1550) : à sa mère Veturia et ses frères Jules et Fauste, tous les trois décédés

Ô mère bienheureuse, et vous, bienheureux frères,
Qui me voyez, ravis en d’amères obsèques,
Lamenter votre deuil dans le noir des ténèbres
– Qu’au soleil rie la terre éclairée brillamment
Ou qu’apporte la nuit le tranquille sommeil :

Ayez pitié de moi, et suppliez le père
Des dieux que, défaisant mes chaînes corporelles,
Il me laisse voler jusqu’à votre séjour :

Il ne me reste rien d’aimable, rien qui puisse
Calmer l’affliction de mon esprit malade,
Hors les pleurs, les sanglots et les soupirs issus
Du profond de mon cœur.

…………………………………En ce temps qu’il lui tarde
De vous rejoindre, si mon âme ne craignait
De devoir à jamais, bannie loin des morts pieux,
Souffrir de votre absence, un coup de ce poignard
Aurait tôt fait de me défaire de mon corps.

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Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Mater candida, candidique fratres,
Qui me funere rapti acerbo, in atris
Lugentem tenebris videtis, et cum
Sol terras hilarat nitente luce,
Et cum nox placidum refert soporem,
Jam mei miserescite, et deorum
Supplicate parenti, ut exuens me
Vinclis corporeis, volare vestros
Ad manes sinat; est enim relictum
Nihil dulce mihi, nihil quod aegrum,
Et maerentem animum levare possit,
Praeterquam lacrimae, et querelae, ab imo
Et suspiria corde tracta. Quod ni
Timeret mea mens, adire dum vos
Urget, ne, procul a piis repulsa,
Vobis perpetuo careret, ipsum
Ferrum jam mihi corpus exuisset.

(in Carminum libri VIII [1727], liber I, p. 26)

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