Girolamo Angeriano / Hieronymus Angerianus (1470-1535) : extraits de l’Erotopaegnion (2)

Angeriano 1 jpegL’Erotopaegnion est un recueil (publié pour la première fois en 1512) composé de quelque 200 épigrammes largement inspirées des auteurs de l’Antiquité grecque et latine. Angeriano y relate les relations (pour le moins compliquées) de la très belle et très cruelle Célie (Celia) et d’un narrateur consumé par une passion hélas mal partagée.  Les topoi s’enchaînent et s’enchevêtrent sous les modalités d’un baroque poussé jusqu’aux extrêmes, reflet de son époque, et qui fonde, dans son exaspération, l’originalité de l’ensemble.


Apostrophe à la rose

Rose, tu dures peu de temps
Et peu de temps ta beauté dure :
Pour toi donc vont s’équivalant
Durée de vie, et beauté pure.

Pulchra brevi duras, rosa, tempore forma brevique
Tempore, sic formæ par, rosa, tempus habes.


Vénus sans feu

Voyant sans feu Vénus, « Rallume à mon corps, dis-je,
Ton feu ! » Elle : « De feu, ton cœur n’a que vestige ;
Que si je veux du feu, les deux yeux de Célie
Sont où je m’en procure – et les dieux j’incendie. »

 Cum Venerem aspicerem sine flammis, « accipe, » dixi,
« De nostro flammam corpore. » at illa mihi,
« Sunt versa in cinerem tua pectora. si volo flammam,
Dat flammam ex oculis Caelia, et uro deos. »


Distique à Célie

Tu me soustrais tes yeux, craignant ma mort : erreur,
Par eux je vis. Si tuent tes yeux ? – qu’ainsi je meure.

Ne peream, avertis tua limina. falleris, illis
Vivo magis. perimunt lumina? sic peream.


Rends-moi le souffle qui me fait vivre !

Je vivais, je me meurs : le souffle qui jadis
Me régissait le corps a fait demeure ailleurs.
Rends-le-moi, si tu veux que je vive sur terre,
Ou à sa place, accorde-moi ton âme : ainsi
Tu me rendras à moi, et toi à toi, Célie,
Dans un pareil amour nous serons tous deux joints.
Inflexible et sans joie, tu nous es double perte,
Pour moi qui aime trop, pour toi qui n’aimes point ;
À l’aune de l’amour plus haut que n’est la haine
Tu accomplis ton crime en achevant qui t’aime.

Vivebam, nunc dispereo; qui spiritus artus
Rexerat hos, sedes incolit ille alias.
Si vis in terris ut vivam, redde mihi illum;
Aut, si non illum, redde tuam, oro, animam.
Sic mihi me reddes, sic te tibi, Caelia, reddes;
Ambo sic parili iuncti in amore erimus.
At si dura manes, nec gaudes, perdis utrumque,
Me, quia amo nimium, te, quia amas nihilum;
Et, quanto est odiis amor excellentior, ipsa
Tanto interfecto crimen amante facis.


(in Erotopaegnion [1512 ])


Ces traductions originales, dues à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


D'autres épigrammes d'Angeriano 
tirées de l'Erotopaegnion sur ce blog :

Girolamo Angeriano / Hieronymus Angerianus (1470-1535) : extraits de l’Erotopaegnion (1)

L’Erotopaegnion est un recueil (publié pour la première fois en 1512) composé de quelque 200 épigrammes largement inspirées des auteurs de l’Antiquité grecque et latine. Angeriano y relate les relations (pour le moins compliquées) de la très belle et très cruelle Célie (Celia) et d’un narrateur consumé par une passion hélas mal partagée.  Les topoi s’enchaînent et s’enchevêtrent sous les modalités d’un baroque poussé jusqu’aux extrêmes, reflet de son époque, et qui fonde, dans son exaspération, l’originalité de l’ensemble.


Célie, l’abeille et l’Amour

Célie sommeillait, lasse, au bruit d’une charmante
Fontaine et le terrain brillait de fleurs diverses
Une abeille y butine : autour des lèvres roses
Volant, et repoussée souvent, contre sol tombe,

Se meurt, mais mourant dit : « Quelle fleur dans les champs !
Du fait de cette fleur qu’il m’est doux de mourir ! »
L’Amour, après ces mots, lui fit un tombeau d’herbe,
Et mit sur le tombeau cette courte épitaphe :
« Douceur des lèvres ou du souffle ? on ne sait pas
De quoi l’abeille est morte. » (Elle est morte des deux).


Célie et le peintre

Se voyant peinte nue dans un cadre doré,
Célie se réjouit du tableau qu’elle empaume.
« Peintre, dis-moi », fait-elle, « où donc m’as-tu vue nue,
Où donc ma cuisse blanche et sans défaut ? Dis-moi,
Où mes jambes, mes pieds, ma poitrine et le reste,
Peints avec tant de force et de véracité ?
Le peintre : « Que crois-tu ? M’en a instruit celui
Qui, fidèle amoureux, te voue un cœur sincère. »
Elle : « Mon soupirant, comment m’a-t-il vue nue ?
Car son amour est repoussé de toute part ! »
Le peintre, alors : « Chez lui, douleur, pâleur, ardeur
Montrent le haut degré de ta beauté physique. »
Elle : « Étant si revêche et si donc j’éconduis
Mes poursuivants, pourquoi m’avoir peinte gentille ? »
Le peintre : « Ton visage est empreint d’amour quiet ;
Nul ne voit ce que cache un cœur silencieux.
Veux-tu montrer la cruauté de tes appas ?
Inscris sur tes sourcils ces féroces paroles :
« Va-t’en, passant : plus qu’ourse pleine suis féroce.
Pierre suis : qui me veut rentrera les mains vides. »


Célie et son miroir

À son miroir, Célie se parait. Le miroir
Lui dit : « Plus vif qu’en ton miroir est ton éclat,
Plus belle est la partie que tu négliges, douce
Célie ». « Point ne me sers qu’à me parer, fit-elle.
Tu l’as dit, je suis belle, et belle veux paraître.
Sur terre, quoi de plus charmant qu’un beau visage ? »
Souriant le miroir de dire à l’orgueilleuse :
« Ne crois pas mes propos – te voici bien hautaine ! –,
Foin de ta vanité ! Belle ni sage n’est
Celle qui ne ressent la besogne d’Amour.


Portrait de l’artiste

Pour peindre mon portrait sur un tableau ténu,
Le peintre allait peignant toutes parts de mon corps.
Mais, n’étant que pâleur sur mon visage mort,
On dit dans le public : « Travaille la pâleur ».
Opinant, il peignait de tons pâles la forme
Ténue. « Pourquoi ne peins-tu pas les larmes », fis-je,
« Les flammes, les soupirs ? Pourquoi ne peins-tu pas
Ces plaintes ? Ce sont là les fléaux qui me nuisent. »
Mais lui, me voyant vivre un funeste destin,
Sur un bûcher ardent peignit un corps inerte.


 Célie prenant les eaux

Comme à Baïes – aux bains fameux – la légendaire
Célie plongeait son corps dans l’onde salutaire,
On vit l’eau bouillonner sous des giclées de flammes.
« D’où vient tant de vapeur ? » s’effare le quidam.
« À peine a-t-il, dit-on, vu Célie dénudée,
Que, caché sous ce roc, l’Amour s’est embrasé. »


Envoi de fleurs

Je t’envoie, ma chérie, faite de fleurs diverses
Et que j’ai de mes mains tressée, une couronne :
Ceins-en tes cheveux blonds, et que cernant tes tempes
Elle chatoie ! C’est là l’apport d’un printemps doux :
Voici (regarde donc !) : lis riants, beaux narcisses,
Et, jacinthe, la tienne et belle chevelure,
Et les fleurs maculées par le sang de Vénus,
Et celles dont la terre a tout juste accouché.
« Le sens, demandes-tu, d’un tel don ? » – La couronne
Est verte peu de temps : de même la beauté.


Ces traductions originales, dues à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


De Caelia, ape et Amore

Lassa quiescebat prope murmura fontis amoeni
Caelia, ubi vario flore nitebat humus.
Mellificans it apes, et, circum roscida labra
Dum volat, in terram, saepe repulsa, cadit.
Iam moritur, sed ait moriens, « flos qualis in arvis
Nascitur! ex flore hoc quam mihi dulce mori! »
Haec ut dixit, Amor tumulum de caespite fecit,
Atque illi tumulo haec carmina pauca dedit:
Ambiguum est, an apes sit dulci mortua labro,
An dulci flatu. mortua utroque fuit.


 De Caelia et pictore

Se nudam aurato dum spectat Caelia panno,
Et picturatum tangere gaudet opus,
« Dic, ubi me, pictor, vidisti corpore nudo? »
Fatur, « ubi candens et sine labe femur?
Dic, ubi crura, pedes, mammas et cetera membra,
Quae tam veridico scripta colore vigent? »
Sic pictor: « dubitas quid nunc? sum doctus ab illo
Qui tuus est vero corde fidelis amans. »
« Quo pacto », illa refert, « me nudam vidit amator?
Illius, ex omni parte, fugatur amor! »
Tunc pictor: « maeror pallorque illius et ardor
Ostendit, quantum sit tua forma decens. »
« Si sum tam taetrica, et qui me sectantur amantes
Expellens, mitis cur ego pingor? » ait.
Cui pictor, « placidum facies tua signat amorem;
Quod latet in tacito pectore nemo videt.
Saevitiam in pulchris si vis ostendere membris,
Pinge superciliis haec fera verba tuis:
I procul hinc, hospes: sum feta saevior ursa.
Sum lapis, et qui me poscit, inanis erit.


De Caelia et speculo

Ante suum ornatur speculum dum Caelia, dixit
Sic speculum: « speculo clarior ipsa tuo,
Quae pars neglegitur, pars illa decentior, alma
Caelia. « non utor te modo ut orner, » ait.
« Sum pulchra, ut dixti; cupio sic pulchra videri.
Quid pulchro in terris gratius ore viget? »
Subrisit speculum, iactanti et talia fatur:
« Ne credas dictis, facta superba, meis,
Nec tibi sic placeas. non est formosa puella
Nec prudens, quae non sentit Amoris opus.


De sua pictura

Pingeret ut tenui in tabula mea corpora pictor,
Coeperat a membris pingere membra meis;
Sed, quoniam absumpto nisi pallor stabat in ore,
E populo unus ait, « sit tibi pallor opus. »
Approbat, et tenuem pallenti chromate formam
Pingebat. « cur non, » dico ego, « pingis aquas?
Cur non et flammas? cur non suspiria? cur non
Hos gemitus? haec sunt quae mihi damna nocent. »
Ille autem, infausto cernens me vivere fato,
Pinxit in ardenti corpus inane rogo.


De Caeliae balneo

Inclita laudatas peteret cum Caelia Baias,
Atque salutiferis membra lavaret aquis :
Vidimus ejectis undantia balnea flammis.
Miramur quid sit tantus, et unde vapor.
Quidam inquit, « simul ac visa est hic Caelia nuda,
Hac cum rupe latens protinus arsit Amor. »
Pinxit in ardenti corpus inane rogo.


Mittit corollam ad amicam

Floribus intextam diversis mitto corollam,
Quam feci manibus nunc tibi, vita, meis,
Ut cingat flavos crines, et tempora circum
Fulgescat. tepidi munera veris habes.
Sunt hic (ecce! vides) ridentia lilia, pulchri
Narcissi, atque tuae pulchrae, hyacinthe, comae
Necnon Idalio maculati sanguine flores,
Atque alii, tellus quos modo feta tulit.
Si quaeris, « donum quid vult sibi tale? » corolla
Ut viret haec parvo tempore, forma viret.


(in Erotopaegnion [1512 ])


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