Martial (40-104 ap. J.-C.) : Gradation des plaisirs


J’ai joui nuit durant d’une chaude Fanchon,
‒ Elle n’a pas d’égale en polissonnerie ‒
Lassé d’autrement faire, « Y vais-je à la garçon… ? »
Sitôt dit, sitôt fait, pas besoin qu’on l’en prie !
Lui demande en riant, rougissant, plus grivois :
J’ai l’accord illico de la belle outrancière.
Mais ne l’ai pas souillée ; et le sera par toi
Eschyle, si tu veux à vil prix cette affaire.


NB : Il en va d’une gradation dans les plaisirs accordés par la dame (sans doute de très petite vertu), puisque l’on commence par les polissonneries (nequitiae) avant d’aborder toutes les positions possibles (mille modi) de l’amour puis la sodomie (illud puerile, « comme on fait aux garçons »). La dernière demande, qui aux yeux des Romains n’a rien d’un préliminaire, est d’une fellation (c’est l’ultime sort, le fellator étant soumis à l’irrumator, réservé, dans la Priapée, aux pilleurs de jardins). La fin du texte est loin d’être claire et fait depuis longtemps débat parmi les commentateurs : peut-être Martial veut-il dire qu’Eschyle souillera la « lasciva puella » en lui proposant, en contrepartie de sa gâterie, de lui rendre la pareille (et donc en se faisant cunnilingus) – ce qui possiblement aura pour conséquence une baisse des tarifs pratiqués par la catin.

Lascivam tota possedi nocte puellam,
_cuius nequitias vincere nulla potest.
fessus mille modis illud puerile poposci:
_ante preces totas primaque verba dedit.
inprobius quiddam ridensque rubensque rogavi:
_pollicitast nulla luxuriosa mora.
sed mihi pura fuit; tibi non erit, Aeschyle, si vis
_accipere hoc munus conditione mala.

(in Epigrammaton liber IX, 67)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Martial (40-104 ap. J.-C.) : Inclusions dans l’ambre (fourmi, abeille, vipère)

La fourmi :

Comme errait la fourmi sous l’ombrage d’un tremble,
L’insecte s’englua dans une goutte d’ambre :
Lui qui, de son vivant, fut l’objet de mépris,
Devint, après sa mort, un objet de grand prix.

L’excellent Clément Marot (1496-1544)
traduit la même épigramme comme suit,
selon le procédé, en vigueur à son époque, de la « paraphrase » :


L’abeille : 

Claire et close au secret de résine de tremble,
L’abeille semble incluse en son propre nectar.
C’est le prix mérité de ses peines si grandes,
On croirait qu’elle-même a choisi son départ.

Variante non rimée mais plus proche du latin :

Claire et close au secret de cette goutte d’ambre,
L’abeille semble incluse en son propre nectar.
Sa récompense est à hauteur de sa besogne,
Et l’on croirait qu’elle a voulu mourir ainsi.


La vipère :

Comme elle serpentait sous un tremble languide,
Une vipère fut ‒ de l’ambre en dégouttait ‒
Surprise d’être prise en ce poisseux liquide
Qui durcissant soudain, l’enserrant, la figeait !
‒ Cléopâtre, fais fi de ta tombe princière :
Plus noble est le tombeau où gît cette vipère.


Dum Phaetontea formica vagatur in umbra,
__Implicuit tenuem, succina gutta feram.
Sic modo quae fuit vita contempta manente,
__Funeribus facta est, jam preciosa suis.

(in Epigrammaton liber VI, 15)

Et latet et lucet Phaethontide condita gutta,
__Ut videatur apis nectare clusa suo.
Dignum tantorum pretium tulit illa laborum:
__Credibile est ipsam sic voluisse mori.

(in Epigrammaton liber IV, 32)

Flentibus Heliadum ramis dum vipera repit,
__Fluxit in obstantem sucina gutta feram:
Quae dum miratur pingui se rore teneri,
__Concreto riguit vincta repente gelu.
Ne tibi regali placeas, Cleopatra, sepulcro,
__Vipera si tumulo nobiliore jacet.

(in Epigrammaton liber IV, 59)


Ces traductions originales, dues à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Martial (40-104 ap. J.-C.) : Supplique à Priape


Toi dont le vit fait peur aux gars, la faux aux tantes,
Aie à l’œil ce lopin qu’isolent toutes sentes :
En ton clos, de voleurs, n’entreront pas de vieux,
Mais des minets, et des beautés aux longs cheveux.


Petite glose : Ce texte est incompréhensible (ce qui pose la question de sa réception contemporaine) sans un minimum de culture latine. Il s’agit d’une adresse à Priape, dieu gardien des jardins et des troupeaux, traditionnellement représenté dans l’état considérable qu’on lui voit sur la statuette ci-dessus, censé décourager les voleurs de tout larcin, leur punition passant par l’usage actif de cette démesure – laquelle pourrait agréer à certains (les cinaedi, que je traduis par les tantes), mais qui seront alors chassés à coups de faux, autre attribut traditionnel du dieu.
Comme toujours dans les échanges hommes-dieux dans l’Antiquité gréco-romaine, la requête relève du donnant-donnant : « Si tu protèges mon potager qui, à l’écart des autres champs, est facile à marauder, je prierai pour que seules pénètrent en tes propres jardins de jeunes et belles personnes, auxquelles il te sera, plus qu’à de vieilles, agréable de faire subir le sort qu’elles auront mérité. »

Tu qui pene viros terres et falce cinaedos,
__Jugera sepositi pauca tuere soli.
Sic tua non intrent vetuli pomaria fures,
__Sed puer et longis pulchra puella comis.

(in Epigrammaton liber VI, 16)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Martial (40-104 ap. J.-C.) : Ersatz


― L’ami Sotadès qui risque sa tête !
― C’est au tribunal qu’on lui fait sa fête ?
― Non, mais c’est fini pour lui de bander,
Alors Sotadès s’est mis à lécher…


Un certain monsieur Simon traduisait comme ci-dessous en 1819.
Comme eût dit mon regretté professeur, le cher Henri Bardon,
« Dieu qu’en termes galants… »


Periclitatur capite Sotades noster.
reum putatis esse Sotaden? non est.
arrigere desît posse Sotades: lingit.

(in Epigrammaton liber VI, 26)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Virgile : Énéide, livre X : La Mort de Pallas (474-489) ; Le Simulacre d’Énée (633-642)

Pallas lance une pique avec toutes ses forces
Et du fourreau creux tire une épée qui fulgure.
Elle, vole où se dresse, au plus haut, l’épaulière,
Tombe, fraie son chemin au bord du bouclier
– Même en fin touche un peu le grand corps de Turnus.
Alors Turnus un fer fixé au rouvre, aigu,
Fait longtemps tournoyer, à Pallas jette et dit :
« Vois si le mien, de trait, ne pénètre pas mieux ! »
Se tait. Le bouclier bardé de fer, d’airain,
Que la peau, tant de fois, couvre et ceint, d’un taureau,
L’impact vibrant du pieu au milieu le traverse,
Et la cuirasse obstante, et la large poitrine.
Il tire – en vain – le trait cuisant de la blessure :
Avec, par même voie, sang et vie vont suivant.
S’effondre sur sa plaie, dessus ses armes bruissent,
Terre hostile ! où il croule, et meurt – sa bouche saigne.


Ayant ainsi parlé, sitôt du haut ciel elle*
s’élance et meut l’hiver, nimbée, à travers souffles,
gagne l’armée troyenne et le camp des Laurentes.
Usant du creux nuage : une ombre ténue, grêle,
qui semble Énée – à voir, c’est prodige étonnant –
des traits dardaniens elle orne ; écu, panache
du divin chef imite, et donne des mots vides,
donne une voix sans âme, et copie pas, démarche
– la mort venue : ainsi, dit-on, volent fantômes
ou songes qui se jouent de nos sens endormis.

* : il s’agit de Junon.


At Pallas magnis emittit uiribus hastam
uaginaque caua fulgentem deripit ensem.
Illa uolans umeri surgunt qua tegmina summa
incidit atque uiam clipei molita per oras
tandem etiam magno strinxit de corpore Turni.
Hic Turnus ferro praefixum robur acuto
in Pallanta diu librans iacit atque ita fatur :
« Adspice, num mage sit nostrum penetrabile telum. »
Dixerat ; at clipeum, tot ferri terga, tot aeris,
quem pellis totiens obeat circumdata tauri,
uibranti cuspis medium transuerberat ictu
loricaeque moras et pectus perforat ingens.
Ille rapit calidum frustra de uolnere telum :
una eademque uia sanguis animusque sequuntur.
Corruit in uolnus, sonitum super arma dedere
et terram hostilem moriens petit ore cruento.


Haec ubi dicta dedit, caelo se protinus alto
misit, agens hiemem nimbo succincta per auras,
Iliacamque aciem et Laurentia castra petiuit.
Tum dea nube caua tenuem sine uiribus umbram
in faciem Aeneae, uisu mirabile monstrum,
Dardaniis ornat telis clipeumque iubasque
diuini adsimulat capitis, dat inania uerba,
dat sine mente sonum gressusque effingit euntis,
morte obita qualis fama est uolitare figuras
aut quae sopitos deludunt somnia sensus.


Ces traductions originales, dues à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


D'autres extraits
de Virgile sur ce blog :

Martial / Marcus Valerius Martialis (40 – 104 [?]) : Épigrammes 2

Un conseil : fuis les coups fourrés de Grande Pute,
Ô Gallus, plus léger que conques de Cythère !
Tu comptes sur ton cul ? – L’époux n’est pas culbute,
Et ne fait que deux trucs : il suce, ou se fait mettre.


Tu n’as souvent qu’un sou dans tout ton réticule
Et plus usé, Hyllus, que le trou de ton cul :
En verra la couleur ni boulanger ni queux
Mais qui sera nanti d’une imposante queue.
Ton pauvre ventre voit ton cul faire bombance :
Misère ! il meurt de faim ; l’autre s’emplit la panse.


Hyllus, mon gars, tu fous la femme d’un soldat,
Et de peine ne crains que ce qu’on fait aux gars.
Malheur à toi ! Jouant, seras castré ! – Tu dis :
« C’est pas permis ! » Tes faits, Hyllus, ils sont permis ?


Subdola famosae moneo fuge retia moechae,
levior o conchis, Galle, Cytheriacis.
Confidis natibus? Non est pedico maritus;
quae faciat duo sunt: irrumat aut futuit.


Unus saepe tibi tota denarius arca
cum sit et hic culo tritior, Hylle, tuo,
non tamen hunc pistor, non auferet hunc tibi copo,
sed si quis nimio pene superbus erit.
Infelix venter spectat convivia culi,
et semper miser hic esurit, ille vorat.


Uxorem armati futuis, Puer Hylle, tribuni,
supplicium tantum dum puerile times.
Vae tibi! dum ludis, castrabere. Jam mihi dices
‘Non licet hoc’. Quid? tu quod facis, Hylle, licet?


(in Epigrammatum libri II [47 ; 51 ; 60])


Ces traductions originales, dues à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


D'autres épigrammes 
de Martial sur ce blog :

Martial / Marcus Valerius Martialis (40 – 104 [?]) : Épigrammes 1

L’abeille dans l’ambre

Claire et close au secret de cette goutte d’ambre,
L’abeille semble incluse en son propre nectar.
Sa récompense est à hauteur de sa besogne,
Et l’on croirait qu’elle a voulu mourir ainsi.


 La chasteté de Thaïs

Personne du peuple et dans toute la ville
Ne se targuerait d’avoir baisé Thaïs
(Maint pourtant la désire et l’en requiert).
– Thaïs est si chaste ? – Non pas, elle suce.


 Le zizi de Papile

Si long est ton zizi, Papile, et long ton nez
Qu’à chaque bandaison tu peux te le flairer.


 Les maris de Galla

Tu épousas, Galla, de six à sept tarlouzes
Dont te plaisaient cheveux et barbe bien peignés ;
Puis éprouvant leurs reins et leur pine pareille
Au cuir mouillé (ta main lassée de la raidir),
Tu désertas l’hymen eunuque et maris mous.
Tu retombes pourtant dans ces mêmes amours…
Cherche qui n’ait au bec que mâles d’anciens temps,
Un hirsute, un farouche, un plouc, un dur à cuire :
On trouve ; mais la horde a aussi ses tarlouzes :
Difficile, Galla, d’épouser un vrai mec…


Et latet et lucet Phaethontide condita gutta,
Ut videatur apis nectare clusa suo.
Dignum tantorum pretium tulit illa laborum:
Credibile est ipsam sic voluisse mori.


Non est in populo nec urbe tota
a se Thaida qui probet fututam,
cum multi cupiant rogentque multi.
Tam casta est, rogo, Thais? Immo fellat.


Mentula tam magna est, tantus tibi, Papile, nasus
Ut possis, quoties arrigis, olfacere.


Jam sex aut septem nupsisti, Galla, cinaedis,
dum coma te nimium pexaque barba iuvat;
deinde experta latus mandidoque simillima loro
inguina nec lassa stare coacta manu,
deseris imbelles thalamos mollemque maritum,
rursus et in similes decidis usque toros.
Quaere aliquem Curios semper Fabiosque loquentem,
hirsutum et dura rusticitate trucem:
invenies; sed habet tristis quoque turba cinaedos:
difficile est vero nubere, Galla, viro.

(in Epigrammatum libri IV [32 ; 85), VI [36], VII [58])


Ces traductions originales, dues à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


D'autres épigrammes 
de Martial sur ce blog :

Martial / Marcus Valerius Martialis (40 – 104 [?]) : la Demande de Phyllis

Moins une belle infidèle qu’une actualisation des propos de Martial (40 – 104 de notre ère), les références antiques étant gommées (mais conservées dans leur esprit) au profit de références contemporaines. D’autres traductions du même texte, et dans la même orientation, sont à lire ici.

La superbe Phyllis durant toute une nuit
M’avait fort largement prodigué tous déduits.
Je pensai, vers le jour, à lui faire un cadeau :
Un flacon de parfum, Chanel ou Shiseido ?
Mohair de qualité, en coupon de bon poids ?
À moins que dix louis d’or à l’effigie du roi… ?
– Mais m’embrassant le col et de très longs baisers
Me mignonnant comme en leurs noces les ramiers
Phyllis me demanda… un fût de romanée…


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.


Formosa Phyllis nocte cum mihi tota
Se praestitisset omnibus modis largam,
Et cogitarem mane quod darem munus,
Utrumne Cosmi, Nicerotis an libram,
An Baeticarum pondus acre lanarum,
An de moneta Caesaris decem flavos :
Amplexa collum basioque tam longo
Blandita, quam sunt nuptiae columbarum,
Rogare coepit Phyllis amphoram vini.

(in Epigrammatum liber XII [65])


D'autres épigrammes 
de Martial sur ce blog :