Horace : Un homme de quarante ans (Intermissa, Venus, diu rursus bella moves?, in Odes, IV, 1)

____Tu ranimes, Vénus, des guerres
finies depuis longtemps ? Grâce, je t’en supplie !
____J’ai bien changé depuis le règne
de ma gentille Cinara… Oublie, cruelle
____mère des douces passions,
un cœur rétif de quarante ans bientôt, renonce
____à lui dicter tes ordres tendres :
réponds donc aux appels enjôleurs des blondins !____
____Va – c’est plus de saison –, Ailée
*
aux cygnes éclatants, chez Paulus Maximus,
____avec tous ceux qui t’accompagnent,
si tu veux enflammer un cœur digne de toi ;
____car c’est un noble et beau garçon,
qui sait combler de mots l’accusé qui s’inquiète ;
____qui a de multiples talents ;
qui portera bien loin l’aigle de tes milices ;
____et quand, éclipsant les présents
d’un prodigue rival, il aura ri de lui,
____il placera près des lacs d’Albe**
sous des ais de citrus ton effigie de marbre.
____Là-bas, vers tes narines, maint
encens s’élèvera, tu prendras du plaisir
____aux sons mêlés de lyre et flûte
de Bérécynte, avec aussi le chalumeau.
____Là-bas, deux fois le jour, garçons,
fillettes, te loueront pour ta divinité,
____et frapperont d’un pied candide
trois fois la terre, ainsi que font les Saliens***.
____Femme ou garçon, je n’en veux plus,
ni du crédule espoir d’un amour réciproque,
____je ne veux plus jouter de vin,
ni couronner non plus mes tempes de fleurs fraîches.
____ Hélas, Ligurinus, pourquoi
ces larmes qui parfois me mouillent le visage ?
____Pourquoi ma langue, d’éloquente,
entre les mots défaille et fait un laid silence ?
____Voici qu’en mes rêves nocturnes
t’ayant pris, je te tiens, que je te suis, rapide,
____courant sur le gazon du Champ
de Mars, nageant, cruel, dans les roulantes eaux.

*

* : Vénus est dite « ailée » du fait de sa rapidité ; les cygnes sont ses attributs. ** : Les lacs d’Albe (à proximité de Rome) étaient réputés pour leurs temples ; *** : prêtres de Mars, dont les rituels s’accompagnaient entre autres de danses et de bonds rythmiques (tripudium : frapper trois fois du pied le sol).


____Intermissa, Venus, diu
rursus bella moves? Parce precor, precor.
____Non sum qualis eram bonae
sub regno Cinarae. Desine, dulcium
____mater saeva Cupidinum,
circa lustra decem flectere mollibus
____iam durum imperiis: abi,
quo blandae iuvenum te revocant preces.
____Tempestiuius in domum
Pauli purpureis ales oloribus
____comissabere Maximi,
si torrere iecur quaeris idoneum;
____namque et nobilis et decens
et pro sollicitis non tacitus reis
____et centum puer artium
late signa feret militiae tuae,
____et, quandoque potentior
largi muneribus riserit aemuli,
____Albanos prope te lacus
ponet marmoream sub trabe citrea.
____Illic plurima naribus
duces tura, lyraque et Berecyntia
____delectabere tibia
mixtis carminibus non sine fistula;
____illic bis pueri die
numen cum teneris virginibus tuum
____laudantes pede candido
in morem Salium ter quatient humum.
____Me nec femina nec puer
iam nec spes animi credula mutui
____nec certare iuvat mero
nec vincire novis tempora floribus.
____Sed cur heu, Ligurine, cur
manat rara meas lacrima per genas?
____Cur facunda parum decoro
inter verba cadit lingua silentio?
____Nocturnis ego somniis
iam captum teneo, iam volucrem sequor
____te per gramina Martii
campi, te per aquas, dure, volubilis.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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Horace : Vivre simplement (Tyrrhena regum progenies, in Odes, III, 29)

Postérité des rois de Tyrrhénée, pour toi,
j’ai du vin doux et pur dans une jarre close,
et j’ai des fleurs, Mécène, de rosier,
de l’huile de gland pour ta chevelure,

depuis longtemps chez moi. Cesse de différer :
fraisTibur, Éfula et sa plaine déclive,
il n’en faut plus rêver, ni des sommets
de Télégone qui tua son père.

Laisse là les dégoûts de l’abondance ainsi
qu’un bâtiment qui touche aux nuages abrupts,
oublie la belle et l’opulente Rome,
et ses fumées, ses bruits et son argent.

Le changement souvent est agréable aux riches,
et des dîners proprets sous le lare modeste
de pauvres gens, sans tentures ni pourpre,
savent dérider les fronts soucieux.

Le père d’Andromède, étincelant, déjà
montre un feu qu’il cachait ; Procyon et l’étoile,
déjà, du Lion furieux font rage,
et le soleil ramène les jours secs ;

le pasteur au troupeau nonchalant, cherche, las,
déjà l’ombre, le ru, les buissons de l’hirsute
  Sylvain ; le rivage silencieux
n’est plus aux prises des vents vagabonds.

Toi, te tracasse le statut de la cité ;
pour la ville inquiet, tu crains ce qu’échafaudent
les Sères, Bactres où régna Cyrus,
le Tanaïs en proie à la discorde.

L’issue de l’avenir, le dieu, dans sa prudence,
la tient environnée d’une nuit ténébreuse,
et rit, si un mortel, outrepassant
ses interdits, tressaille. Le présent,

songe à en disposer en sage ; tout le reste
est charrié, pareil au fleuve qui tantôt
coule égal et paisible vers la mer
étrusque et qui tantôt roches rongées,

troncs arrachés, bétail, demeures, tout entraîne
en ses roulis – et les montagnes retentissent
de son vacarme, et la forêt voisine –
quand un déluge affreux vient irriter

le calme de ses eaux. Il est maître de soi
– et il vivra heureux – celui qui chaque jour
peut dire « J’ai vécu », que Jupiter
demain place au ciel un nuage noir

ou un soleil sans tache – et peut-il abroger,
d’ailleurs, rien du passé ? donner forme nouvelle
à rien, rien abolir de ce que l’heure
a dans sa course avec elle emporté ?

La Fortune se plaît à des œuvres cruelles,
obstinée, elle joue à des jeux insolents,
plaçant çà, là, les honneurs incertains,
tantôt me comble, et tantôt comble un autre.

Demeure-t-elle, je la loue ; qu’à tire d’aile
elle s’envole, je résigne ses faveurs,
dans ma vertu je m’enveloppe et cherche
une pauvreté probe et non dotée.

Que si mon mât mugit sous les trombes d’Afrique,
cela n’est pas mon fait d’en venir à prier
piteusement, de marchander mes vœux,
craignant que des denrées de Chypre et Tyr

ne s’enrichisse encor l’avarice des mers :
à pareille heure, assis dans ma barque à deux rames,
m’iront poussant sur la houle égéenne
la douce brise et le Gémeau Pollux.


Tyrrhena regum progenies, tibi
non ante verso lene merum cado
cum flore, Maecenas, rosarum et
pressa tuis balanus capillis

iamdudum apud me est: eripe te morae
nec semper udum Tibur et Aefulae
decliue contempleris arvom et
Telegoni iuga parricidae.

Fastidiosam desere copiam et
molem propinquam nubibus arduis,
omitte mirari beatae
fumum et opes strepitumque Romae.

Plerumque gratae divitibus vices
mundaeque parvo sub lare pauperum
cenae sine aulaeis et ostro
sollicitam explicuere frontem.

Iam clarus occultum Andromedae pater
ostendit ignem, iam Procyon furit
et stella vesani Leonis
sole dies referente siccos;

iam pastor umbras cum grege languido
rivomque fessus quaerit et horridi
dumeta Siluani caretque
ripa vagis taciturna ventis.

Tu civitatem quis deceat status
curas et urbi sollicitus times
quid Seres et regnata Cyro
Bactra parent Tanaisque discors.

Prudens futuri temporis exitum
caliginosa nocte premit deus
ridetque, si mortalis ultra
fas trepidat. Quod adest memento

componere aequus; cetera fluminis
ritu feruntur, nunc medio aequore
cum pace delabentis Etruscum
in mare, nunc lapides adesos

stirpisque raptas et pecus et domos
volentis una, non sine montium
clamore vicinaeque silvae,
cum fera diluvies quietos

inritat amnis. Ille potens sui
laetusque deget cui licet in diem
dixisse: ‘Vixi’, cras vel atra
nube polum Pater occupato

vel sole puro; non tamen inritum,
quodcumque retro est, efficiet neque
diffinget infectumque reddet
quod fugiens semel hora vexit.

Fortuna saevo laeta negotio et
ludum insolentem ludere pertinax
transmutat incertos honores,
nunc mihi, nunc alii benigna.

Laudo manentem; si celeris quatit
pinnas, resigno quae dedit et mea
virtute me involvo probamque
pauperiem sine dote quaero.

Non est meum, si mugiat Africis
malus procellis, ad miseras preces
decurrere et votis pacisci,
ne Cypriae Tyriaeque merces

addant avaro divitias mari;
tunc me biremis praesidio scaphae
tutum per Aegaeos tumultus
aura feret geminusque Pollux.


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Horace : Quintilius est mort (Quis desiderio sit pudor aut modus, in Odes, I, 24)

Est-il honte ou mesure à donner au regret
d’une tête si chère ? – Enseigne-moi des chants
lugubres, Melpomène : à toi donna ton père
______une voix claire et la cithare.

Quintilius est donc sous l’éternel sommeil
pressé ? Mais quand Pudeur et Justice, sa sœur,
l’intègre Bonne Foi et la Vérité nue,
______trouveront-elles son égal ?

Il est parti, digne des pleurs des bonnes gens,
plus digne de tes pleurs, Virgile, que d’aucuns.
Ta piété réclame en vain Quintilius
______aux dieux – à cela point voué.

Que si de sons plus doux que ceux d’Orphée de Thrace,
tu cadençais la lyre écoutée par les arbres ?
Le sang reviendrait-il à une ombre sans corps
______quand de sa baguette effroyable,

revêche à qui le prie de rouvrir aux destins,
Mercure l’a poussée parmi le noir troupeau ?
Dur ! Mais la patience aide à rendre moins lourd
______tout ce qu’on ne peut corriger.


Quis desiderio sit pudor aut modus
tam cari capitis? Praecipe lugubris
cantus, Melpomene, cui liquidam pater
___vocem cum cithara dedit.

Ergo Quintilium perpetuus sopor
urget? Cui Pudor et Iustitiae soror,
incorrupta Fides, nudaque Veritas
___quando ullum inveniet parem?

Multis ille bonis flebilis occidit,
nulli flebilior quam tibi, Vergili.
Tu frustra pius, heu, non ita creditum
___poscis Quintilium deos.

Quid si Threicio blandius Orpheo
auditam moderere arboribus fidem?
Num vanae redeat sanguis imagini,
___quam virga semel horrida,

non lenis precibus fata recludere,
nigro compulerit Mercurius gregi?
durum: sed levius fit patientia
___quicquid corrigere est nefas.


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Horace : Eh oui, tu vieillis, Lydie… (Parcius iunctas quatiunt fenestras, in Odes, I, 25)

Ils secouent moins souvent tes fenêtres fermées
les grêlant de cailloux, les jeunes sans vergogne,
ils ne t’arrachent plus au sommeil et ta porte
________en pince pour ton seuil

– elle qui remuait, jadis, si lestement
ses gonds ! – tu les entends de moins en moins  te dire :
« Je suis tien, je me meurs de longues nuits durant,
________et toi tu dors, Lydie ? »

À ton tour de pleurer, seule au fond de ruelles,
le dédain des coureurs, vieille de peu de chose !
– et par un ciel sans lune, un vent soufflant de Thrace
________fera ses bacchanales,

et ils t’iront brûlant, l’amour et le désir
qui mettent en folie les juments poulinières,
ils séviront tous deux dans ton foie ulcéré,
________tu n’iras pas sans geindre

que l’allègre jeunesse éprouve plus de joie
à la verdeur du lierre et au sombre du myrte,
et consacre à l’Eurus, compagnon de l’hiver,
________les rameaux desséchés.


Parcius iunctas quatiunt fenestras
iactibus crebris iuvenes proterui
nec tibi somnos adimunt amatque
_______ianua limen,

quae prius multum facilis movebat
cardines. Audis minus et minus iam:
‘Me tuo longas pereunte noctes,
_______Lydia, dormis?’

Invicem moechos anus arrogantis
flebis in solo levis angiportu
Thracio bacchante magis sub inter-
_______lunia vento,

cum tibi flagrans amor et libido,
quae solet matres furiare equorum,
saeviet circa iecur ulcerosum
_______non sine questu,

laeta quod pubes hedera virenti
gaudeat pulla magis atque myrto,
aridas frondes hiemis sodali
_______dedicet Euro.


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Horace : La génisse et le vieillard (Nondum subacta ferre iugum valet cervice, in Odes, II, 5)

Elle est trop jeune encor pour voir soumise au joug
son cou, trop jeune encor pour égaler l’effort
__d’un compagnon, pour d’un pesant taureau
__qui vers l’amour se rue s’accommoder.

Elle a l’esprit tourné vers les verts pâturages,
ta génisse ! et tempère en rivière les fortes
__chaleurs, parfois, et parfois sous l’humide
__bois de saules préfère avec les veaux

s’ébattre. Ton désir de raisins verts, il n’est
pas de saison : bientôt, le chamarrant automne
__de tons de pourpre – et à ton avantage –
__va diaprer les grappes olivâtres ;

et elle va bientôt te suivre : il court, vois-tu,
le temps féroce, et les années qu’il t’aura prises,
__il les lui donnera ; bientôt, d’un front
__fripon, va Lalagé chercher mari,

chérie plus que ne sont Pholoé la fuyante,
et Chloris dont l’épaule au teint pâle luit comme
__sur la nocturne mer la lune pure
__– plus que Gygès, le jouvenceau de Gnide :

lui, si tu l’introduis dans un chœur de tendrons,
à merveille il se joue du flair de tes convives,
__brouillant les différences, les cheveux
__flottants, portant l’équivoque au visage.


Nondum subacta ferre iugum valet
cervice, nondum munia comparis
__aequare nec tauri ruentis
__in venerem tolerare pondus.

Circa virentis est animus tuae
campos iuvencae, nunc fluviis gravem
__solantis aestum, nunc in udo
__ludere cum vitulis salicto

praegestientis. Tolle cupidinem
immitis uvae: iam tibi lividos
__distinguet autumnus racemos
__purpureo varius colore;

iam te sequetur; currit enim ferox
aetas et illi quos tibi dempserit
__adponet annos; iam proterva
__fronte petet Lalage maritum,

dilecta, quantum non Pholoe fugax,
non Chloris albo sic umero nitens
__ut pura nocturno renidet
__luna mari Cnidiusve Gyges,

quem si puellarum insereres choro,
mire sagacis falleret hospites
__discrimen obscurum solutis
__crinibus ambiguoque voltu.


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Horace : à Mécène (Maecenas atavis edite regibus, in Odes, I, 1)

Mécène, descendant d’une race de rois,
ô toi qui me soutiens, qui es ma douce gloire :

Certains, courant en char, se plaisent à cueillir
la poussière olympique ; et la borne évitée
par leurs roues surchauffées, la palme et son prestige,
les haussent jusqu’aux dieux, les maîtres de la terre ;
l’un, à se voir porté par la cohue volage
des Quirites aux trois échelons des honneurs ;
cet autre, à enfermer dans ses propres greniers
tout le grain qu’on récolte aux aires de Libye.

Qui aime ouvrir, sarcler la terre de ses pères,
lui donnât-on statut d’Attale – au grand jamais
ne la quittera pour, d’une proue faite à Chypre,

fendre, marin craintif, la mer bordant Myrtos.

Quand luttent l’Africus et les flots d’Icarie,
le marchand qui s’effraie loue le calme et les champs
de son bourg – et bientôt répare l’avarie
de son bateau, rétif à supporter la gêne.

Tel autre ne fait fi d’un vieux Massique en coupes,
ni de prendre sa part sur le total du jour
en s’allongeant tantôt sous le vert arbousier,
tantôt près d’une source exquise d’eau sacrée.
À maints plaisent les camps, les accents combinés
de trompette et clairon, et la guerre, des mères
détestée.

_________Il fait froid, mais le chasseur s’attarde,
et il ne pense plus à sa tendre épousée,
si un cerf a paru devant ses chiens fidèles,
si un sanglier marse a rompu ses rets fins.

Moi, le lierre qu’on donne au front des hommes doctes
me mêle aux dieux du ciel ; moi, fraîcheur des bocages,
Nymphes aux chœurs légers, Satyres, loin du peuple
me tiennent à l’écart, si Euterpe consent
à jouer de la flûte et si Polhymnie daigne
de tendre ses accords sur le luth lesbien.

Si tu me mets au rang des poètes lyriques,
de ma tête levée, j’irai toucher les astres.


Maecenas atavis edite regibus,
o et praesidium et dulce decus meum,
sunt quos curriculo pulverem Olympicum
collegisse iuvat metaque fervidis
evitata rotis palmaque nobilis
terrarum dominos evehit ad deos;
hunc, si mobilium turba Quiritium
certat tergeminis tollere honoribus;
illum, si proprio condidit horreo
quicquid de Libycis verritur areis.
Gaudentem patrios findere sarculo
agros Attalicis condicionibus
numquam demoveas, ut trabe Cypria
Myrtoum pavidus nauta secet mare.
Luctantem Icariis fluctibus Africum
mercator metuens otium et oppidi
laudat rura sui; mox reficit rates
quassas, indocilis pauperiem pati.
Est qui nec veteris pocula Massici
nec partem solido demere de die
spernit, nunc viridi membra sub arbuto
stratus, nunc ad aquae lene caput sacrae.
Multos castra iuvant et lituo tubae
permixtus sonitus bellaque matribus
detestata. Manet sub Iove frigido
venator tenerae coniugis inmemor,
seu visa est catulis cerva fidelibus,
seu rupit teretis Marsus aper plagas.
Me doctarum hederae praemia frontium
dis miscent superis, me gelidum nemus
Nympharumque leves cum Satyris chori
secernunt populo, si neque tibias
Euterpe cohibet nec Polyhymnia
Lesboum refugit tendere barbiton.
Quod si me lyricis vatibus inseres,
sublimi feriam sidera vertice.


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Horace : Dialogue d’ex… (Donec gratus eram tibi, in Odes, III, 11)

Horace :
Tant qu’à tes yeux j’eus quelque charme,

qu’à nul godelureau n’alla ta préférence
et à ses bras ta blanche nuque,
j’ai vécu plus heureux que le roi de la Perse.

Lydie :
Tant que plus fort tu ne brûlas

pour l’autre, et que Chloé n’eut le pas sur Lydie,
– Lydie : ce nom sur toutes lèvres… –
j’ai vécu plus connue qu’Ilia la Romaine. *

Horace :
J’aime à présent Chloé de Thrace

qui sait de doux refrains, qui joue de la cithare.
Pour elle je mourrai sans crainte,
si ma chère âme reste, épargnée par le sort.

Lydie :
Nous sommes pris d’un même feu,

Calaïs de Thuries, fils d’Ornytus, et moi.
Pour lui, je mourrai, re-mourrai,
si mon chérubin reste, épargné par le sort.

Horace :
Et si revient l’ancien amour,

qu’il pose un joug de bronze au cœur des séparés ?
– Si l’on renvoie Chloé la blonde,
et si la porte s’ouvre à Lydie l’éconduite ?

Lydie :
Même s’il est plus beau qu’un astre,

et toi léger plus que le liège et coléreux
plus que l’affreux Adriatique :
c’est avec toi que je voudrais vivre et mourir.

*

* : autre nom de Rhea Silvia, mère de Romulus et Remus, les mythiques fondateurs de Rome.


Horatius:
Donec gratus eram tibi

Nec quisquam potior bracchia candidae
Ceruici iuuenis dabat,
Persarum uigui rege beatior.

Lydia:
Donec non alia magis

Arsisti neque erat Lydia post Chloen,
Multi Lydia nominis,
Romana uigui clarior Ilia.

Horatius:
Me nunc Thressa Chloe regit,

Dulcis docta modos et citharae sciens,
Pro qua non metuam mori,
Si parcent animae fata superstiti.

Lydia:
Me torret face mutua

Thurini Calais filius Ornyti,
Pro quo bis patiar mori,
Si parcent puero fata superstiti.

Horatius:
Quid si prisca redit Venus

Diductosque iugo cogit aeneo,
Si flaua excutitur Chloe
Reiectaeque patet ianua Lydiae ?

Lydia:
Quamquam sidere pulchrior

Ille est, tu leuior cortice et inprobo
Iracundior Hadria
Tecum uiuere amem, tecum obeam lubens.


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Horace : Devenir un oiseau (Non usitata nec tenui ferar, in Odes, II, 20)

D’une plume volant ni commune ni frêle
dans le limpide éther, sans plus rester, poète
____biforme, sur la terre, et plus
____grand que l’envie, je quitterai

les villes. Non, moi rejeton d’une lignée
de pauvres, moi, Mécène, à qui tu dis « mon cher »,
____non, je ne mourrai pas, ni l’onde
____du Styx ne m’emprisonnera.

Déjà, déjà, des peaux rugueuses sur mes jambes
s’affaissent, et du haut je me fais oiseau blanc,
____et il me naît des plumes lisses
____aux doigts comme sur les épaules.

Déjà, plus vite que l’Icare de Dédale,
je vais voir du grondant Bosphore les rivages,
____oiseau chanteur, Syrtes gétules
____et plaines de l’Hyperborée.

Colche, Dace cachant sa peur des troupes marses,
Gélon de nos confins, sauront mon nom ; l’Ibère
____– ce connaisseur – et le buveur
____de Rhône étudieront mes chants.

Qu’on exclue les nénies de mes vaines obsèques,
le deuil et ses laideurs, les lamentations !
____Retiens les cris – et du sépulcre
____bannis les honneurs inutiles.


Non usitata nec tenui ferar
penna biformis per liquidum aethera
__vates neque in terris morabor
_longius invidiaque maior

urbis relinquam. Non ego pauperum
sanguis parentum, non ego quem vocas,
__dilecte Maecenas, obibo
_nec Stygia cohibebor unda.

Iam iam residunt cruribus asperae
pelles et album mutor in alitem
__superne nascunturque leves
_per digitos umerosque plumae.

Iam Daedaleo ocior Icaro
uisam gementis litora Bosphori
__Syrtisque Gaetulas canorus
_ales Hyperboreosque campos.

Me Colchus et qui dissimulat metum
Marsae cohortis Dacus et ultimi
__noscent Geloni, me peritus
_discet Hiber Rhodanique potor.

Absint inani funere neniae
luctusque turpes et querimoniae;
__conpesce clamorem ac sepulcri
_mitte supervacuos honores.


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Horace : A un arbre assassin (Ille et nefasto te posuit die, in Odes, II, 13)

Celui qui t’a d’abord, arbre, un jour de malheur
planté, puis cultivé d’une main sacrilège
____afin qu’à ses neveux tu nuises
____et sois l’opprobre du village,

sans peine je croirais qu’il avait étranglé
son père, fait couler au plus saint de ses aîtres
____le sang nocturne de son hôte,
____touché des poisons de Colchide

et de toutes horreurs qu’il se peut en tout lieu
concevoir, lui qui t’a dans mon champ repiqué,
____bois déplorable fait pour choir,
____assommer un maître innocent.

Face aux périls, on n’est jamais assez prudent :
du Bosphore, a grand-peur le marin de Carthage,
____il le franchit, sans craindre un sort
____aveugle et venant d’autre part.

Le soldat craint la flèche et la fuite rapide
du Parthe, et lui, le joug, la vaillance italiques ;
____mais la mort, c’est à l’improviste
____qu’elle prend et prendra les hommes.

J’ai failli voir la reine noire, Proserpine,
le tribunal d’Éaque, et le distinct séjour,
____asile des âmes pieuses ;
____et sur sa lyre éolienne

Sapho se lamentant des filles de chez elle ;
et toi, chantant d’un plectre d’or, à sons plus pleins,
____Alcée ! cruels malheurs de mer,
____malheurs d’exil, malheurs de guerre.

D’un silence sacré dire digne, admiré
des ombres ! – mais la foule, épaule contre épaule
____préfère boire de l’oreille
____combats et tyrans détrônés.

Faut-il donc s’étonner si la bête à cent têtes *
par leurs chants ébahie, baisse une oreille noire ?
____– si se reposent les serpents
____dans les cheveux des Euménides ?

Que dis-je ? – Prométhée, le père de Pélops, **
les sons harmonieux les distraient de leurs peines,
____Orion cesse de chasser
____les lions, les timides onces.

* : il s’agit de Cerbère, chien gardien des Enfers, que les auteurs décrivent à 3, 50, 100 têtes, selon leur fantaisie.
** : topos des grands criminels et de leurs condamnations post mortem.


Ille et nefasto te posuit die,
quicumque primum, et sacrilega manu
__produxit, arbos, in nepotum
_perniciem obprobriumque pagi;

illum et parentis crediderim sui
fregisse cervicem et penetralia
__sparsisse nocturno cruore
_hospitis, ille venena Colcha

et quidquid usquam concipitur nefas
tractavit, agro qui statuit meo
__te, triste lignum, te, caducum
_in domini caput inmerentis.

Quid quisque vitet, nunquam homini satis
cautum est in horas: navita Bosphorum
__Poenus perhorrescit neque ultra
_caeca timet aliunde fata,

miles sagittas et celerem fugam
Parthi, catenas Parthus et Italum
__robur; sed inprovisa leti
_uis rapuit rapietque gentis.

Quam paene furvae regna Proserpinae
et iudicantem vidimus Aeacum
__sedesque discriptas piorum et
_Aeoliis fidibus querentem

Sappho puellis de popularibus
et te sonantem plenius aureo,
__Alcaee, plectro dura navis,
_dura fugae mala, dura belli.

Utrumque sacro digna silentio
mirantur umbrae dicere, sed magis
__pugnas et exactos tyrannos
_densum umeris bibit aure volgus.

Quid mirum, ubi illis carminibus stupens
demittit atras belua centiceps
__auris et intorti capillis
_Eumenidum recreantur angues?

Quin et Prometheus et Pelopis parens
dulci laborum decipitur sono
__nec curat Orion leones
_aut timidos agitare lyncas.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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Horace : L’entre-deux vaut de l’or (Rectius vives, Licini, in Odes, II, 10)

La vie, Licinius, bien réglée, c’est au large 
ne pas toujours cingler, ni – si de la tempête,
frileux, l’on s’épouvante – approcher de trop près
______la côte et ses découpes.

L’entre-deux vaut de l’or, et qui en fait le choix
pour sa sécurité s’évite un toit sordide
et chancelant, par sa sobriété s’évite
______un palais qu’on jalouse.

Un gigantesque pin plus fréquemment s’agite
au vent ; haute, une tour d’une plus lourde chute
s’écroule ; et c’est à leur sommet que les montagnes
______sont frappées de la foudre.

Quand tout est difficile, un cœur bien préparé
espère un autre sort, qu’il craint quand tout va bien.
Le même Jupiter ramène les hivers
______qui déforment le monde

et les emporte. Non, le malheur d’aujourd’hui
ne sera pas toujours : Apollon quelquefois
sur sa cithare éveille une muette Muse,
______et débande son arc.

Montre-toi courageux et fort quand tout t’étrangle,
mais tout pareillement, fais preuve de sagesse,
et diminue ta voile à l’excès dilatée
______par le vent favorable.


Rectius vives, Licini, neque altum
semper urgendo neque, dum procellas
cautus horrescis, nimium premendo
______litus iniquum.

Auream quisquis mediocritatem
diligit, tutus caret obsoleti
sordibus tecti, caret invidenda
______sobrius aula.

Saepius ventis agitatur ingens
pinus et celsae graviore casu
decidunt turres feriuntque summos
______fulgura montis.

Sperat infestis, metuit secundis
alteram sortem bene praeparatum
pectus. Informis hiemes reducit
______Iuppiter, idem

summovet. Non, si male nunc, et olim
sic erit: quondam cithara tacentem
suscitat Musam neque semper arcum
______tendit Apollo.

Rebus angustis animosus atque
fortis appare; sapienter idem
contrahes vento nimium secundo
______turgida vela.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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